CONJONCTURE. Alors que le déconfinement vient juste de s'amorcer et que l'exécutif prévient que nous ne sommes qu'au début de la vague de la crise économique qui s'annonce, les litiges entre professionnels ont explosé durant ces deux derniers mois. Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises, revient pour Batiactu sur les tendances générales et les caractéristiques du BTP en ces temps compliqués.

Plusieurs membres du Gouvernement, au premier rang desquels le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, ont prévenu que la crise économique et sociale qui découle de la pandémie de coronavirus et du confinement sanitaire risque d'être violente, et que nous n'en sommes qu'au début de la vague. Alors que le déconfinement de la population s'est officiellement amorcé ce 11 mai, les entreprises doivent maintenant relancer leur activité après deux mois de baisse drastique, voire d'arrêt pur et simple. Des spécialistes comme des institutions préviennent déjà, à l'image de la Banque de France, que les pertes d'activité enregistrées en mars et avril 2020 ne pourront être totalement compensées à l'avenir. Dans un tel contexte, les problématiques se multiplient pour le tissu économique, des litiges de contrats aux retards de paiement en passant par les baux commerciaux. Le Médiateur des entreprises, Pierre Pelouzet, revient pour Batiactu sur les principales tendances et sur celles concernant plus spécifiquement le BTP.

 

 

Batiactu : Au niveau des litiges à proprement parler et d'une manière générale, quelles sont les grandes tendances qui se dessinent ?
Pierre Pelouzet :
On a bien évidemment tout ce qui est lié aux paiements, l'explosion des retards de paiements depuis le début de la crise a amené une explosion des saisines du médiateur sur ce sujet. Nous avons eu en parallèle beaucoup de sujets liés aux ruptures et aux interruptions de contrats évidemment liées à la crise, pas forcément sur le principe mais sur la méthode : autant nous avons vu de bonnes choses, des gens qui se parlaient, autant nous avons vu des gens qui arrêtaient les contrats d'une manière extrêmement brutale. Il y a eu des comportements très brutaux, abusifs probablement même s'il n'y avait rien pour le qualifier juridiquement, mais en tout cas que ce soit juridiquement valable ou pas, c'est la méthode qui n'est pas bonne : quand on travaille avec des partenaires, même s'ils sont plus petits, on travaillait avec eux hier et on aura à travailler avec eux demain, donc jouer le rapport de force juste parce que c'est la crise ne me paraît pas intelligent ni constructif.

 

Avez-vous des chiffres plus précis sur le secteur du BTP ?
P. P. :
On va attendre de pouvoir respirer un petit peu pour faire des statistiques ! Au cours des dernières semaines, nous avons vu que le BTP représentait une partie non-négligeable des saisines et des sollicitations, de l'ordre de 10 à 15%, ce qui est quand même sur-représentatif par rapport au poids du secteur dans l'économie. Mais c'est aussi compréhensible compte-tenu de l'impact que la crise a eu et va continuer à avoir sur la construction. Le sujet qui monte dans le BTP, c'est évidemment la reprise, ce qui est une bonne chose mais la reprise a un coût, d'autant plus qu'elle se fait dans des conditions sanitaires spéciales. Tout le monde est conscient que cela a un coût, car on ne peut pas faire travailler les gens de la même manière, on ne peut pas les équiper et les organiser de la même façon. J'espère qu'il y aura de l'intelligence collective mais je pense qu'on aura tout de même pas mal de médiations. Il y a d'ailleurs un certain nombre de documents qui sont en train d'être rédigés, notamment dans le BTP, qui cadrent tout cela mais indiquent en même temps que la médiation sera la solution privilégiée pour résoudre les problèmes. J'espère que tout le monde aura le réflexe de venir nous voir parce qu'il y aura certainement beaucoup de discussions et de négociations autour de ce sujet : il y a un surcoût, et évidemment la question est de savoir qui paye, comment on organise ce paiement, comment on l'étale, et tout cela ne peut se faire que dans une discussion intelligente.

 

"Personne ne peut dire 'on reprend comme avant et on ignore la loi', mais d'un autre côté on comprend bien qu'il faut discuter sur ces coûts, sur cette organisation, et tant mieux si tout le monde arrive à le faire en bonne intelligence, mais s'il y a des difficultés la médiation est là pour aider à les résoudre, à créer un dialogue équilibré et organisé entre les différentes parties."

 

 

Pour les semaines et mois qui viennent, craignez-vous une nouvelle explosion des dossiers ?
P. P :
Je le crains. On lance beaucoup de messages d'intelligence, de solidarité... Si les gens raisonnent comme ça, en se demandant comment peut-on se parler, s'écouter, on n'aura pas d'explosion des saisines ou des difficultés ; si, à l'opposé, les gens jouent le chacun pour soi, alors oui on aura une explosion et je le regretterai. En fait, nous sommes déjà face à une explosion : nous faisons quasiment 10 fois plus de médiations que nous n'en faisions il y a encore deux ou trois mois, mais ça risque encore de rebondir parce que les besoins vont être là. En n'ayant pas de trésorerie il y a quelques jours encore mais en ayant les effectifs au chômage partiel ou en bénéficiant d'un PGE [Prêt garanti par l'Etat, NDLR] ou d'un décalage des charges, les entreprises étaient à 0 mais elles survivaient. Maintenant l'activité repart et elles ne peuvent plus se permettre d'avoir une trésorerie à 0 : elles ont besoin de réembaucher les gens et donc de les payer, de racheter des équipements, de rouvrir les usines et les ateliers... Nous sommes à la croisée des chemins : soit tout le monde est intelligent et nous avons une bonne chance de repartir et d'accélérer la reprise, soit tout le monde joue le chacun pour soi et la machine va gripper. Il faut être intelligent dans le partage de cette responsabilité et du coût qui va avec.

 

Êtes-vous en discussion avec les organisations représentatives du secteur de la construction pour mettre en place un guide de bonnes pratiques, afin d'aider les entreprises à s'y retrouver ?
P. P. :
On parle depuis des années avec tous les acteurs du secteur. Eux-mêmes ont engagé des discussions entre eux et un certain nombre de cadres sortent, dont un dans les Hauts-de-France, qui est en train de se propager dans le reste du pays et qui donne les clés d'un travail intelligent et collaboratif, en précisant que la Médiation des entreprises est là pour aider à résoudre les problèmes. Chacun est en train de regarder voire d'adopter ce cadre région après région, et je crois que c'est une très bonne chose que toutes les entreprises de la filière puissent se mettre d'accord sur un cadre vertueux pour la suite des évènements.

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