EUROPE. Si le modèle français du logement social connaît depuis plus de deux ans une importante restructuration, entre regroupement des bailleurs, nouveaux prélèvements et baisse des APL, il reste à l'échelle européenne, un secteur encore bien loti, a contrario de l'Italie, l'Allemagne ou le Royaume-Uni. Historique et comparatif de leurs politiques de logement social.

Alors que des grèves se poursuivent contre la réforme des retraites, dont le modèle français reste singulier à l'échelle européenne voire mondiale, il est un autre secteur qui brandit haut et fort les couleurs bleu blanc rouge, celui du logement social. Un financement par l'épargne sur le livret A, encadré par des plafonds de revenu, avec une production minimale inscrite par la loi ... la production du logement social en France reste en avance par rapport à ses voisins européens, même si elle n'est pas en tête du podium.

 

Loin d'être assis sur ces acquis, le monde HLM est, depuis trois ans, par une importe restructuration de son modèle : regroupement de bailleurs, nouveaux prélèvements avec la réduction du loyer de solidarité, réduction des APL, vente HLM. Si les acteurs du logement social sont arrivés à arracher quelques économies dans le cadre de la clause de revoyure, leurs objectifs de construction et de rénovation restent conséquents et s'interrogent sur leur capacité à les atteindre.

 

Ce qui exacerbe leur crainte de devoir vendre les meubles, surtout lorsque l'on connaît l'impact de ces politiques en Allemagne ou en Angleterre. Lors d'une matinée consacrée à ce sujet, organisée par la Fédération des entreprises sociales pour l'habitat (ESH) le 4 décembre 2019, l'occasion était donnée de questionner la place de la France, en comparaison avec ses voisins allemand, anglais et italien.

 

Allemagne : la grande braderie du logement locatif social

 

Au sortir de la Seconde guerre mondiale, l'Allemagne se réveille au milieu des ruines, et se confronte immédiatement aux besoins massifs de relogement. Dans les pics d'activités, le pays parvient à construire 200.000 logements sociaux par an. Aujourd'hui, le stock allemand est "réduit à peau de chagrin", exprime Charles-Henri Arnould du cabinet 1630 Conseil, "désormais à 1,2 million de logements, par rapport aux 8 millions initiaux".

 

Comment en est-on arrivés là ? En Allemagne, l'appellation "sociale" du logement n'est que temporaire, puisque dès lors que le conventionnement est arrivé à son terme, l'habitat retombe dans le marché privé. Les Länder, compétents en matière de logement, préférant consacrer leurs fonds fédéraux à d'autres volets. La raison est également à chercher dans l'histoire. En novembre 1989, ce n'est pas que le mur de Berlin qui tombe mais aussi tout un modèle de financement du logement locatif social, voyant disparaître le statut "d'utilité publique". "En une nuit, ces sociétés sont devenues privées" , illustre Charles-Henri Arnould.

 

Depuis la réunification, et face à un besoin de désendettement, l'Allemagne cède massivement son patrimoine locatif social. Une anecdote le résume assez bien, avec la vente en 2006 par la société Woba (Dresde) de l'intégralité de son parc de 48.000 logements, 1.500 locaux, un parking et un centre sportif à un fonds de pension américain pour la modique somme de 1,7 milliard d'euros. A l'échelle macroscopique, cette fonte du stock de logements sociaux se traduit par une fuite annuelle d'environ 113.000 unités par an.

 

Angleterre, 50 nuances de déclin

 

Si le logement social en Angleterre n'était pas sur les mêmes volumes qu'en France, les observateurs retiennent le début des années 80 comme marqueur du déclin de la production, associé à une modification régulière du statut du logement locatif social. En 1979, les conservateurs arrivent au pouvoir, Margaret Thatcher en cheffe de file, et ouvrent un vaste mouvement de vente du parc social auprès de ses locataires et donne la possibilité aux collectivités de céder la gestion de leur parc de logements au secteur associatif, dont le statut sera progressivement modifié pour qu'il devienne dépendant des financements privés.

 

Si l'on peut saluer la volonté d'un gouvernement à permettre l'accession sociale à la propriété, ces logements seront assez vite aspirés par le marché privé et ses fluctuations, puisque les propriétaires anciennement locataires modestes, les revendront au prix du marché. Résultat: des classes moyennes qui quittent peu à peu les centres-villes, "nous avons vu en 2017 dans un petit quartier londonien, 25.000 candidats s'écharper autour d'un des 588 logements sociaux disponibles", illustre Charles-Henri Arnould.

 

Le modèle italien du "1 cigarette par jour"

 

Comme l'Allemagne, l'Italie est confrontée à l'impérieuse urgence de reconstruire après la Seconde guerre mondiale. A cette époque, émerge un duo Etat-entreprises pour bâtir le stock de logements sociaux. L'État est alors dans un rôle interventionniste, contribuant à hauteur de 180 millions d'euros dans un chantier de 14 ans. Le premier plan "Ina Casa" s'étend de 1949 à 1962 et inclut une participation financière des entreprises, un dispositif qui pourrait s'apparenter au 1% Logement, mais surnommé le "1 cigarette par jour".

 

L'année 1962 marque la fin de l'interventionnisme étatique, avec une décentralisation de la politique du logement social aux mairies, "chargées de la rédaction et la planification du volume et des zones de construction", développe Noemi Gallo, de l'agence territoriale pour le logement du Piémont. Aux années 80, l'Italie est en voie de devenir un pays de propriétaires, avec 73,6% des ménages qui ont acquis leur logement.

 

Gescal prend la relève du plan Ina Casa, en tant qu'opérateur chargé de la construction de logements sociaux. Face à un ralentissement de la croissance, le modèle de la cigarette commence à se consumer : les cotisations des entreprises baissent, et ses fonds ne sont pas tous dévolus au logement abordable. La vente fait son arrivée dans les années 90, et plutôt que de soutenir la mixité sociale, réduit la possibilité pour les ménages modeste de se loger dans un parc abordable. Selon Noemi Gallo, il faudrait 800.000 nouvelles unités pour reconstituer une offre de logements sociaux en phase avec la demande actuelle. Pour l'heure, l'Italie, dont les régions sont désormais compétentes en la matière, sont sur une production annuelle de 20.000 logements.

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