"On ne peut pas s'arrêter de construire des tours à cause d'actes de guerre. Ce serait accorder au terrorisme un pouvoir insupportable sur le plan éthique", a déclaré l'architecte français Jean Nouvel, à propos des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis.

Jean Nouvel, célèbre pour la réalisation de l'Institut du Monde Arabe à Paris et de l'Opéra de Lyon, a estimé lors d'un entretien à Tokyo qu'il y avait "beaucoup de bêtises dites sur le lien entre les attentats et l'architecture".

L'architecte était au Japon notamment pour la remise du "Praemium Imperiale", prix décerné par la Fondation japonaise pour les Arts (patronnée par la famille impériale) qui se veut l'équivalent d'un Nobel des arts et est doté de 15 millions de yens (environ 140.000 euros) par lauréat.

Mis à part Jean Nouvel, les heureux vainqueurs étaient cette année le Coréen Lee Ufan en catégorie peinture, la Française d'origine hongroise Marta Pan en sculpture, le saxophoniste américain Ornette Coleman en musique et l'écrivain américain Arthur Miller pour le théâtre/cinéma.

"Contrairement à ce que j'ai lu ici ou là, les attentats ne vont pas changer radicalement notre façon de faire la ville. De toute façon, le terrorisme peut prendre d'autres formes, biologiques, bactériologiques", a estimé Jean Nouvel.

L'un des gros chantiers actuels de cet architecte, connu pour ses travaux sur la matière et la lumière, est le siège de l'agence de publicité nippone Dentsu, un immeuble de verre haut d'environ 200 mètres et long de 140 mètres, qui sera terminé dans un an dans le quartier de Shiodome, à Tokyo.

"L'architecture ne peut pas répondre aux actes de guerre par la solidité", a expliqué M. Nouvel, en excluant à propos du crash de deux avions sur les tours jumelles du World Trade Center à New York qu'un immeuble puisse résister à un tel impact.

L'architecte a cependant jugé possible "des réglementations particulières pour des immeubles symboliques par leur échelle et leur place dans la ville comme les deux tours du WTC qui étaient à la fois les plus hautes de New York et le symbole du quartier financier".

"Si l'on créée des 'hypersymboles', on pourrait prévoir des normes de construction très strictes empêchant qu'un avion puisse pénétrer très profondément dans une tour", a-t-il estimé. Il a souligné que les deux immeubles du WTC se sont effondrées surtout en raison des incendies déclenchés et de la chaleur.

"Mais on ne peut pas arrêter de construire des immeubles très hauts. Il y a tellement de tours-symboles dans le monde. Je ne vois pas pourquoi cela devrait changer", a-t-il lancé, en estimant que "ce serait indigne pour l'architecture qui doit continuer à marquer la ville".

A la place du WTC, il suggère de bâtir "un témoignage fort du début du 21ème siècle". "Il ne faut pas reconstruire à l'identique, ni adopter un profil bas, ce qui n'empêche pas de créer aussi un mémorial pour les victimes et leurs familles", selon lui.

Le Japon est une source d'inspiration très forte pour Jean Nouvel depuis plus de vingt ans, a précisé l'architecte lors de la conférence de presse de présentation des lauréats du Praemium Imperiale.

"J'ai trouvé au Japon certaines notions qui n'existent pas chez nous, de la vibration, du dosage de la lumière", a-t-il raconté, disant appliquer des principes tirés du roman de Junichiro Tanizaki, Eloge de l'ombre ("sur l'émergence de l'or dans l'obscurité") et de ses voyages dans l'archipel.

La villa impériale Katsura à Kyoto, ses maisons de thé "si légères" et le "côté vibrant" du paysage l'ont profondément ému mais il trouve aussi au Japon "l'expression d'une modernité urbaine, un grand collage de signes commerciaux, calligraphiques, enseignes lumineuses, autoroutes urbaines, fils électriques, préfiguration de beaucoup de villes planétaires".

"L'immeuble Dentsu joue avec la symbolique japonaise de l'immatérialité et de la lumière", a raconté Jean Nouvel qui a précisé avoir "joué sur la blancheur et la translucidité, en interprétant le thème du shoji", la cloison japonaise traditionnelle de papier opaque.

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