ENTRETIEN. Comment les CSPS vivent-ils les difficultés actuelles de reprise des chantiers ? Comment devraient-ils réagir ? Réponses avec Vincent Giraudeaux, directeur général d'Yseis et membre de la Fédération des acteurs de la prévention.

Batiactu : Au début du confinement, vous avez pris la parole publiquement en appelant à ne pas reprendre trop vite les chantiers. Plus d'un mois après, quelle est votre analyse de la situation alors que de plus en plus d'opérations redémarrent ?

 

Vincent Giraudeaux : Nous avions été un peu affolés par les propos de la ministre du Travail qui voulait que l'activité ne cesse pas : nous n'avions pas de masques, respecter la distanciation paraissait compliqué voire impossible dans certains cas... On demandait aux gens en général de rester chez eux, mais à certains d'aller travailler, c'était paradoxal. Tout s'est progressivement calmé par la force des choses. Chacun a pu digérer la situation, et compris que le virus était probablement là pour longtemps. Nous avons eu le temps de nous poser et de réfléchir, et aujourd'hui les chantiers redémarrent lentement. La distanciation sociale est plus facile à faire respecter du fait qu'il y a moins de monde sur le terrain.

 

Batiactu : Pensez-vous qu'il faille rendre obligatoire le port du masque 100% du temps ?

 

V.G. : Demander à un compagnon de porter le masque une heure ou deux, ça va. Mais toute la journée, cela me paraît problématique. Je rappelle d'ailleurs que dans les interventions où le masque est obligatoire (hors présence du covid-19), tous les salariés n'ont pas le droit de le porter ; par exemple, quand on est asthmatique, il faut l'éviter. Je dirais donc qu'il n'y a pas qu'une solution, mais plusieurs, à adapter au cas par cas : utilisons le masque ponctuellement, quand il n'est pas possible de faire autrement. Mais attention à ne pas rédiger des procédures obligeant à porter le masque durant huit heures, alors que l'on sait bien que cela ne sera pas possible.

 

"Nous devons jouer le jeu pour que le coût soit moindre pour le maître d'ouvrage"

Batiactu : De nombreux acteurs commencent à pointer la question des surcoûts. Qui paiera ? Quel peut être le rôle du CSPS dans cette situation ?

 

V.G. : Nous devons avoir cette donnée en tête et ne pas proposer tout et n'importe quoi en termes de procédures. Nous devons trouver, dans chaque cas, la solution la moins mauvaise, la moins coûteuse, et pour l'instant cela s'organise plutôt bien sur le terrain. Cette crise nous occasionne beaucoup de travail supplémentaire à nous, CSPS, et représente donc aussi un surcoût. Mais nous devons jouer le jeu pour que le coût soit le moindre pour le maître d'ouvrage.

 

 

Batiactu : Certains acteurs, notamment des entreprises, reprochent à des CSPS de ne pas prendre leur responsabilité, de ne pas jouer leur rôle de conseil auprès maître d'ouvrage, et d'ainsi bloquer l'activité encore plus. Qu'en pensez-vous ?

 

V.G. : Il est bien sûr nécessaire que le CSPS se positionne, même si c'est le maître d'ouvrage qui prend la décision. Nous devons aider le donneur d'ordres dans son choix d'opérer la reprise des activités ou non, en s'assurant que les conditions soient réalisables. Encore une fois, mettons-nous à la place des compagnons, sans nous contenter de rédiger des procédures qui ne fonctionneront pas. D'autant plus qu'en ce moment, il y a moins d'encadrants sur les chantiers, ceux-ci privilégiant, et c'est bien compréhensible, le télétravail. Parfois, certains chefs de chantiers 'à risque' sont remplacés au pied levé, ce qui désorganise un peu plus les équipes. On est clairement en mode dégradé, tenons-en compte.

 

Vincent Giraudeaux, DG de la société Yseis
Vincent Giraudeaux, DG de la société Yseis © VG

 

"Techniquement, le risque covid-19 n'est pas compliqué à gérer"

 

Batiactu : Certains CSPS peuvent craindre de relancer un chantier de peur que leur responsabilité soit mise en cause si un compagnon attrape le virus...

 

V.G. : Au lieu de subir le poids de ses responsabilités, le CSPS doit prendre ses responsabilités. Bien sûr, ce virus tue, on le voit malheureusement tous les jours. Mais il ne doit pas occulter tous les autres risques. Le covid-19, en outre, n'est pas, techniquement parlant, un risque compliqué à gérer comme le sont, par exemple, le risque amiante, la stabilité d'une tranchée, la stabilité d'une banche... Et puis, si l'on veut le risque zéro, c'est bien simple : restons chez nous et redémarrons les chantiers mi-2021.

 

Batiactu : Autre débat en cours : le cumul des fonctions de CSPS et de référent covid, notion introduite par le guide de l'OPPBTP. Quelle est votre position à ce sujet ?

 

V.G. : Le CSPS peut tout à fait être référent covid. En fait, d'une certaine manière, tout le monde peut l'être sur un chantier. Certains disent l'inverse, je le sais bien. Mais le code du travail dit que le CSPS ne peut pas cumuler deux fonctions. Mais être référent covid est une mission, non pas une fonction. Il faut donc laisser la porte ouverte. Notamment sur les petits chantiers où nous n'allons pas nommer un référent covid spécifique : n'est-il pas plus simple de nommer le CSPS, qui fera une ou deux heures de travail en plus pour assurer cette mission ? Bien sûr, sur un gros chantier on pourra faire autrement. Nous devrons adapter au cas par cas. Nous, CSPS, allons d'ailleurs publier un document sur la définition de ce référent covid.

 

"Espérons que cette crise aura démontré que nous avons besoin de tout le monde"

 

Batiactu : Que pensez-vous du guide de l'OPPBTP ? Est-il bien ficelé ?

 

V.G. : Il est bien fait, notamment compte tenu de l'urgence dans laquelle il a fallu le rédiger. Bien sûr, certains se plaignent de ne pas avoir été consultés avant sa publication : mais si nous avions tous été consultés, nous y serions encore ! Ils ont fait quelque chose d'assez large, qui permet d'être adapté à tous types de chantiers. Aujourd'hui, on le voit, les acteurs se sont appropriés ce document. Nous avons la chance d'avoir cet organisme dans le secteur : ils ont toute la légitimité pour produire ce genre de guides.

 

Batiactu : Que garderons-nous de cette crise dans l'organisation des chantiers ? Va-t-on progresser notamment sur les questions d'hygiène, de propreté ?

 

V.G. : Espérons qu'après cette crise l'hygiène ne sera plus un sujet - c'est encore, malheureusement, trop souvent le cas. J'espère aussi qu'après cette période les cantonnements seront nettoyés une fois par jour, systématiquement.

 

Mais ce que je retiens avant tout de cette crise, c'est le principe de concertation. Nous nous sommes tous confrontés ensemble au problème. Et cela nous a parfois permis d'aller au-delà de nos désaccords. Par exemple, prenez les chefs d'entreprises : des fois, nous nous 'bagarrons' avec eux au sujet de la sécurité-santé sur les chantiers. Dans ce cas, eux se sont battus pour ne pas envoyer leurs salariés au casse-pipe. Nous avons tenu une vraie concertation, car tout le monde voulait redémarrer l'activité. Espérons que cette crise aura montré à chacun que tous les maillons de la chaîne sont liés, et que nous avons besoin de tout le monde. A commencer par nous, CSPS, qui devons davantage nous demander comment être utiles à notre maître d'ouvrage.

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