INTERVIEW. Le président de la Fnaim Jean-Marc Torrollion s'attaque dans une tribune au fléau des copropriétés dégradées, un mois après l'effondrement de deux immeubles à Marseille. Face à un arsenal législatif qu'il juge insuffisant, le président du premier syndicat de l'immobilier, interrogé par Batiactu, appelle à saisir l'opportunité des ordonnances de réforme du droit de la copropriété, pour donner davantage de responsabilités aux syndics.

Batiactu: Un mois après le drame de Marseille, vous avez réagi dans une tribune au sujet des copropriétés dégradées. Pourquoi cette prise de parole ?

 

Jean-Marc Torrollion: L'ouverture prochaine de la réforme du droit de la copropriété m'a motivé à rédiger cette tribune. Il s'agit là d'une séquence très importante, pour laquelle le gouvernement est habilité à légiférer par voie d'ordonnance. Nous sommes à un instant assez stratégique pour mettre à plat un certain nombre d'éléments, et à reconsidérer le positionnement du syndic dans certaines situations. La clé de la réforme de la copropriété est de considérer que le syndic est le pivot de la mise en œuvre d'une politique publique, et un filtre vis-à-vis de la copropriété.

 

Quelles propositions souhaitez-vous mettre sur la table ?

 

Le ministre Julien Denormandie nous demande de faire la police du logement en dénonçant les marchands de sommeil. Nous souhaitons pouvoir agir différemment, et activer des leviers juridiques en ce sens. Il me semble que le syndic devrait pouvoir, par voie judiciaire, obtenir un certain nombre de pouvoirs exceptionnels et dérogatoires dans l'administration de son immeuble, conformément à la loi de 1965.
Je pense également que nous n'avons absolument pas réfléchi au positionnement des fonds travaux instaurés par la loi Alur, qui sont une épargne contrainte pour des millions de copropriétaires. Il faut repenser notre approche de l'utilisation de ces fonds qui pourraient être utilement rassemblés pour financer par voie d'intérêt, ou être la contrepartie d'un fonds d'urgence que pourrait actionner la copropriété.

 

Vous souhaitez que les syndics soient dotés de pouvoirs dérogatoires, lesquels ?

 

Nous constatons parfois des difficultés à activer des travaux du fait d'un refus
systématique ou d'un lourd problème de financement, alors même que ceux-ci sont impératifs pour la sécurité de l'immeuble. Par le biais d'une requête, le syndic devrait avoir la capacité de prévenir les services de l'Etat, actionner des financements et mettre en œuvre des procédures d'urgence tout en conservant le lien avec les copropriétaires.

 

Loi Elan, Initiative copropriétés, autant de nouveaux textes qui concernent les copropriétés dégradées. L'arsenal législatif est-il suffisant désormais ?

 

Il ne suffit pas. Les procédures d'urgence doivent être accélérées, ce qui implique une forme de responsabilisation des syndics. La démarche "Initiative copropriétés" est excellente car elle procède d'une lecture évidente, même si j'estime qu'elle doit intégrer les collectivités locales. En ce qui concerne la loi Elan, celle-ci est en devenir puisque tout s'écrira en 2019 sur les copropriétés.

 

A l'échelle des copropriétés de grand volume, l'outil Orcod (Opération de requalification des copropriétés dégradées) vous paraît-il utile ? Faut-il le déployer davantage ?

 

L'outil est utile mais nous devons être attentifs à une chose : nous nous sommes focalisés sur les grands ensembles immobiliers avec les complexités juridiques qu'ils entraînent. Or, la réalité des dégradations - et le drame de Marseille le prouve - se trouvent dans ces petits immeubles des années 20-30 qui ont peu de lots, dont le pied d'immeuble est tombé en déshérence, où il n'y a pas eu de politique active de restructuration des quartiers. Cela créé des situations paradoxales où les valeurs d'actifs sont trop faibles par rapport au montant des travaux à réaliser. Le décalage est tel entre capacité contributive du copropriétaire et la valeur de son actif, que l'on se trouve dans une impasse de motivation et de moyens.

 

Cette problématique est prégnante chez les primo-accédants, éligibles à un crédit mais n'ayant pas les fonds nécessaires aux travaux ou mal informés sur ces coûts. Comment pallier cela ?

 

C'est un réel problème, qui nous laisse penser que mieux vaut des locataires que des propriétaires pauvres. L'usage du logement est en leur faveur en matière de taxe d'habitation, il n'y a pas d'enjeux énergétiques ou de travaux, le loyer est relativement encadré et les charges locatives sont maîtrisées. Dès que l'on parle en qualité de propriétaire, il faut envisager bien d'autres dépenses. C'est là que les syndics doivent repenser leur approche et inculquer une nouvelle culture au sein des copropriétés. Nous disposons d'outils que sont les diagnostics techniques globaux, les audits énergétiques, les fonds travaux et le plan pluriannuel de travaux. D'ici 5 à 10 ans, j'estime que l'acquéreur devra avoir une vision de l'épargne consacrée à la rénovation, et l'épargne en stock pour financer le plan pluriannuel de travaux. Cette construction existe aux Etats-Unis, et nous avons tous les outils en France pour faire de même.

 


 

La tribune de Jean-Marc Torrollion

Quels sont les piliers de la sauvegarde de nos copropriétés ?

Une fois encore, il aura fallu un drame et des morts pour qu'on s'émeuve publiquement, jusqu'au sommet de l'État, du problème de ces immeubles en copropriété qui menacent de s'écrouler et tuer chaque instant. Il aura fallu qu'à Marseille, troisième ville de France -au coude à coude avec la deuxième, Lyon-, le numéro 63 et le numéro 65 de la rue d'Aumale disparaissent en quelques minutes, ensevelissant des habitants et des visiteurs, pour qu'on braque le projecteur sur ce cancer urbain. On le connaissait pourtant, et voilà qu'on exhume des rapports d'élus et d'experts, qui se sont multipliés depuis dix ans, pour diagnostiquer et prescrire. Voilà que tous se mobilisent plus que jamais, décrivant et dénonçant à tout-va.

 

La tristesse restera, mais elle ne doit ni nous conduire aux polémiques stériles ni nous dispenser d'analyser.

Quelques chiffres sur les copropriétés dégradées

Certes, les difficultés de milliers de copropriétés sont bien connues, au point que le gouvernement, quelque dix jours avant la chute des immeubles à Marseille, avait annoncé un plan curatif doté de 3 milliards d'euros sur dix ans, portant sur plus de 600 immeubles dans plusieurs villes du pays. On sait que le nombre de copropriétés en situation de grande précarité est bien plus important: sans doute 5% au moins des quelque 670 000 que compte la France si on ne prend en compte que les plus atteintes, et jusqu'au triple si l'on considère celles qui peuvent basculer.

L'immatriculation des copropriétés, un outil qui tarde à se mettre en place

L'appréciation fine des situations au coeur de nos villes et de nos campagnes -dont on ne parle jamais et dont la fragilisation du parc est pourtant préoccupante- dispose d'un outil, qui tarde à se mettre en place: l'immatriculation des copropriétés. La loi ALUR avait rendu obligatoire que chaque immeuble en copropriété, par l'intermédiaire du syndic, fasse l'objet d'une inscription à un registre central tenu par l'Agence nationale pour l'habitat, le référencement se doublant d'une description précise de la réalité financière et technique. Les plus importantes copropriétés ont ouvert le feu, les moins de cinquante lots fermant le ban avant le 31 décembre de cette année.

Des outils juridiques suffisants, mais sont-ils utilisés ?

L'arsenal est là, de la procédure d'alerte que les syndics doivent utiliser quand une copropriété est en situation d'impayés lourds empêchant notamment l'entretien et les travaux nécessaires, à l'arrêté de péril et jusqu'à la faculté de substitution de la mairie si les copropriétaires sont défaillants, de bonne ou de mauvaise foi. En revanche, la question de leur utilisation se pose, notamment par les municipalités. À Marseille, il est probable que la justice doive étudier ce point et estimer les responsabilités.

La mission primordiale et variée des syndics

Quant aux syndics, qui sont dans 90% des immeubles français de professionnels, quelle est leur mission? De prévenir et de traiter, justement en faisant le meilleur usage du droit et de l'ingénierie financière, mais surtout en ayant les bons réflexes au bon moment, en particulier de mobilisation des compétences et des moyens externes. Cela passe par la sensibilisation, par la formation et par la codification des pratiques. Une certification vient de voir le jour, sous le label QualiSR, comme « syndic de redressement », à laquelle la FNAIM s'est associée. Elle permet aux cabinets qui veulent acquérir ce savoir-faire spécifique d'acquérir les compétences, d'organiser leurs process en conséquence et de rendre visible leur spécialité aux yeux des parties prenantes, élus et conseils syndicaux.

 

En amont de cette spécialisation, les syndics professionnels sont aujourd'hui face à une responsabilité majorée depuis une génération: maîtriser et optimiser les charges de fonctionnement et de modernisation des immeubles. Leur mission est compliquée par le besoin de travaux de mises aux normes, énergétiques ou de sécurité, par la hausse des taxes locales, de l'énergie, face à des copropriétaires majoritairement accédants à la propriété et endettés lourdement. Les gestionnaires n'abdiquent pas : à l'inverse, ils se battent pour leurs mandants. Ils n'ont pas de prise en revanche contre les ruptures, licenciements, séparations, accidents de la vie, qui peuvent en quelques semaines compromettre l'équilibre de la communauté de fait et de droit qu'est la copropriété. Aux côtés des élus locaux, de l'État, des associations actives dans l'univers des immeubles collectifs, la FNAIM, qui en rassemble le plus grand nombre, s'engagera de plus en plus pour guérir les plaies ouvertes de la copropriété.

 


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