MIS À JOUR. Le décret tertiaire issu de la loi Elan vient enfin de paraître au Journal officiel du 25 juillet 2019. Si de nombreux acteurs s'en félicitent, d'autres regrettent que le "garde-fou" en énergie primaire ait visiblement sauté. Industriels, élus locaux et entreprises de la distribution ont commenté cette publication.

La nouvelle mouture du décret tertiaire, tirée de la loi Elan promulguée en novembre 2018, est enfin parue au Journal officiel du 25 juillet 2019. Pour rappel, sa première version avait été retoquée en 2017 par le Conseil d'État. Comme il avait été expliqué lors de l'assemblée générale du plan bâtiment durable, ce texte, qui entrera en vigueur au 1er octobre 2019, précise les modalités de mise en œuvre de l'obligation d'actions de réduction des consommations d'énergie dans les bâtiments à usage tertiaire.

 

Des réactions contrastées

 

Les objectifs fixés sont ceux de réduire la consommation d'énergie finale "pour l'ensemble des bâtiments soumis à l'obligation d'au moins 40% en 2030, 50% en 2040 et 60% en 2050 par rapport à 2010", confirme le décret. Les immeubles concernés sont ceux d'une surface supérieure à 1.000 m². Le décret "doit être complété par un arrêté d'application contenant les seuils chiffrés de performance énergétique, un guide d'utilisation et la structuration d'une base de données où les propriétaires ou utilisateurs devront rendre compte chaque année de leur niveau de consommation", expliquait Jérôme Gatier, directeur du plan bâtiment durable.

 

 

Plusieurs organisations se sont félicitées de la publication si attendue du texte, comme les entreprises de la transition énergétique et numérique (Serce) qui a publié un communiqué de presse saluant une "bonne nouvelle pour le climat". "Il reste encore à finaliser l'arrêté fixant les seuils de performance à atteindre et les conditions de modulations prévues", précise l'organisation. "Il faut que l'ambition soit à la hauteur de l'enjeu en fixant des valeurs cibles qui permettront d'avoir un parc tertiaire hautement efficace. [...] Le Serce estime que si le taux de rénovation des bâtiments tertiaires passait de 1,5% environ à 2,5% par an, cela représenterait un potentiel de 40.000 emplois."

 

Le verrou énergie primaire saute, le verrou carbone est maintenu

 

D'autres acteurs s'indignent toutefois de la disparition d'une phrase qui pourrait paraître anodine, mais qui était prévue dans le projet de décret : "En cas de changement de source d'énergie, celui-ci ne devra pas entraîner une dégradation du niveau de consommation exprimée en énergie primaire, ni aggraver le niveau d'émission en gaz à effet de serre." Ce 'verrou' en énergie primaire a sauté, et devrait notamment raviver la guerre gaz-électricité, de la même manière que le débat autour de la modification du facteur d'énergie primaire pour l'électricité.

 

Un décret "aveugle sur l'énergie consommée"

 

L'association d'élus Amorce, qui pressentait la disparition de cette dimension du texte (la DHUP avait visiblement informé les acteurs en amont), regrettait récemment que le décret tertiaire soit "aveugle sur l'énergie consommée, au type d'énergie utilisé". "Ainsi, une école chauffée au fioul ou à la chaufferie bois aura les mêmes objectifs à remplir", expliquait Nicolas Garnier, délégué général d'Amorce, qui concluait : "Quand on parle en énergie finale, cela avantage forcément les solutions de chauffage électrique."

 

Le garde-fou concernant la dimension carbone, lui, a été conservé par les pouvoirs publics, puisqu'on peut lire dans le texte final que "le changement de type d'énergie utilisée ne doit entraîner aucune dégradation du niveau des émissions de gaz à effet de serre".

 

Les élus locaux se réjouissent des "souplesses" de la dernière version du décret

 

Du côté de l'Association des maires de France (AMF), on se félicite que le décret relatif à la rénovation thermique des bâtiments tertiaires, bien qu'il ait fait l'objet "d'un long bras de fer entre l'Etat et les associations d'élus", débouche finalement sur "un texte beaucoup plus acceptable". L'organisation approuve notamment que le principe de "proportionnalité" permette de moduler les obligations de réduction des consommations énergétiques, tout en se réjouissant que l'obligation de résultats prenne le pas sur l'obligation de moyens, ce qui pourra se traduire dans les faits par d'autres solutions que des travaux d'isolation coûteux. Des dispositifs de contrôle et de gestion active, l'adaptation des sites à une utilisation sobre en énergie ou même le comportement des usagers des locaux, sont autant de mesures qui "permettront aux collectivités d'obtenir dès les premières années une réduction significative de leur consommation d'énergie", d'après le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN).

 

Ce dernier, au sein duquel siègent des élus locaux, a aussi noté que "l'impact financier considérable des mesures imposées par le décret (environ 43 milliards d'euros sur 30 ans)" sera compensé par "les gains générés par les économies d'énergie", qui "seront bien supérieurs" : le ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales table effectivement sur quelques 62 milliards d'euros d'économies. L'AMF rappelle par ailleurs que les travaux de mise en conformité seront éligibles à différentes aides et subventions, du Grand plan d'investissement à la prime énergie en passant par des prêts de la Caisse des dépôts et consignations.

 

"Le diable est dans les détails"

 

Le syndicat Perifem, regroupant les enseignes de la grande distribution, du commerce spécialisé et des centres commerciaux, a également réagi à la publication du décret tertiaire. "Le texte que nous avions eu en consultation a été bien remanié par le Conseil d'Etat. Nous sommes satisfaits sur certains points et plus largement sur l'écoute des pouvoirs publics, mais pour d'autres points nous restons sur notre faim, voire même déçus que certaines de nos propositions n'aient pas été reprises", explique le délégué général du Perifem, Franck Charton, à Batiactu. "Par exemple, nous sommes surpris que les conditions aient été durcies sur les critères de superficie, avec un seuil établi à 1.000 m². Cela va créer une différence de traitement entre les sites assujettis et les non-assujettis." Les professionnels de la grande distribution ont aussi noté que les parkings allaient être pris en compte dans le calcul de la surface, et regrettent en outre un manque de clarté sur les conditions de détermination des objectifs énergétiques. En effet, la notion d'énergie finale avait été définie dans le texte initial, mais n'a pas été reprise dans le texte du Conseil d'Etat. Si bien que le secteur craint que l'énergie finale ne soit définie par chacun des assujettis, rappelant au passage que la RT 2012 ne considère que les énergies dites réglementaires, et pas les énergies de processus.

 

"Une des grandes difficultés pragmatiques que pose ce texte, c'est la concurrence déloyale entre énergies différentes, avec la suppression de la liberté pour les entreprises", reprend Franck Charton. "Il n'y a pas de possibilités de transition énergétique pour les énergies de process. Le texte a été écrit de manière trop rigide, et le diable est dans les détails." Par ailleurs, le Perifem estime que les cas très fréquents, voire quasi-systématiques, des sites tertiaires en copropriété ne sont pas traités par le texte, et que des questions juridiques vont inéluctablement se poser tôt ou tard. Un autre "changement philosophique important" réside dans la disparition de nouveaux objectifs modulés : les sites ne pourront plus se justifier d'avoir atteint des objectifs fixés a priori, mais devront se justifier de ne pas les avoir atteints a posteriori. Un changement de "paradigme" moins valorisant aux yeux de la profession : "Philosophiquement, c'est dommageable. On ne permet pas aux acteurs de se fixer des objectifs atteignables."

 

Les acteurs de la grande distribution demandent pour leur part que l'origine de l'électricité soit prise en compte, en indiquant si la production est issue d'énergies renouvelables ou non-renouvelables. Sans quoi les bilans d'émissions de gaz à effet de serre risquent d'être faux, et que les entreprises s'impliquant dans la consommation d'énergie propre "ne seront pas valorisées" dans leur bilan énergétique. Mais plus largement, le Perifem regrette que sa proposition de travailler simultanément sur le décret et sur l'arrêté n'ait pas été retenue par le Gouvernement, arguant que cela aurait permis d'établir des "valeurs raisonnables et pas inatteignables". Car en effet, l'ensemble des acteurs concernés, tous secteurs d'activité confondus, sont toujours dans l'attente des valeurs de seuils qui seront retenus dans l'arrêté : "Tout cela reste suspendu à l'écriture de l'arrêté ; c'est pourquoi nous souhaitions une discussion commune aux deux textes. Nous restons donc très vigilants sur la suite des évènements, et nous ne serons en mesure de juger les dispositions réglementaires qu'une fois l'arrêté publié", conclut le délégué général du syndicat.

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