TÉMOIGNAGES. Des professionnels du BTP commencent à faire les frais de la crise que traverse le secteur de l'assurance-construction. Jusqu'à 15% des professionnels seraient concernés par de potentiels assureurs défaillants. Plusieurs témoignages d'acteurs de terrain recueillis par Batiactu donnent une idée des difficultés rencontrées.

La crise que traverse le secteur de l'assurance-construction pourrait faire des premières victimes du côté des professionnels du BTP. En première ligne : les petites structures, qui se sont assurées auprès d'acteurs intervenant en libre prestation de services (LPS) qui proposaient des tarifs attirants. D'après la Fédération française du bâtiment (FFB), contactée ce jour par Batiactu, 15% des entreprises assurées dans le secteur seraient concernées par le phénomène. Et l'organisation patronale n'exclut pas que des faillites aient déjà eu lieu. En effet, en l'absence d'assureur, certaines entités ont pu devoir financer elles-mêmes la réparation des sinistres.

 

Du côté de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), la vigilance est de mise. "Nous n'avons pour l'instant reçu aucune demande d'entreprise qui aurait rencontré un problème avec son assurance", nous explique Patrick Liébus, son président. "Mais nous passons des messages à l'ensemble de notre réseau depuis plusieurs mois afin que nos adhérents nous préviennent rapidement s'ils sont informés de problèmes sur le terrain. Nous restons vigilants et si besoin est nous réagirons immédiatement auprès des pouvoirs publics."

 

Le témoignage d'un particulier touché
C'est un propriétaire d'appartement acquis en Vefa qui a contacté Batiactu pour nous expliquer de quelle manière la crise de l'assurance en LPS l'avait impacté. "L'immeuble dans lequel j'ai acheté un appartement sur plan auprès d'un promoteur se trouve sans assurances dommages-ouvrage depuis cet été", nous explique-t-il. En l'occurrence, l'assureur était Alpha, aujourd'hui en liquidation, et le produit avait été commercialisé par le courtier SFS, également en liquidation. Mais notre témoin n'avait pas été informé du fait que l'assureur n'était pas basé en France, et n'avait pas eu accès au contrat ni au moment de l'achat ni de la signature de l'acte de vente. "Si cela avait été le cas, peut-être aurais-je eu l'idée d'aller regarder sur Internet et d'apprendre qu'il y avait des mises en garde sur les risques à souscrire de tels contrats."

 

Malheureusement, un sinistre se déclare dans les parties communes de l'immeuble, et rend inhabitable l'appartement acheté, trois mois après la livraison. Du fait de la liquidation des acteurs de l'assurance impliqués, "je me trouve à devoir assumer seule, sans assurance protection juridique, une procédure qui risque d'être longue, coûteuse, ainsi que le relogement, transport..., avec le stress que cette expérience m'apporte". "Cet appartement représente le travail d'une vie : il est inhabitable et invendable, en cas de besoin."

 

Des lecteurs de Batiactu nous ont fait parvenir des témoignages qui ne sont pas faits pour rassurer sur les conséquences du phénomène.

 

Des dizaines de milliers d'euros de surcoût

 

Il en ressort notamment que certains acteurs, du fait des défaillances successives de plusieurs acteurs, vont devoir payer jusqu'à... trois fois pour couvrir les mêmes risques. Explications : "Un grand groupe d'assurances a refusé de travailler avec mon entreprise, et m'a redirigé vers le courtier SFS [aujourd'hui en liquidation judiciaire, NDLR]", nous raconte par exemple le dirigeant d'un bureau d'études. SFS l'assure d'abord chez l'assureur Elite, en difficulté depuis juillet 2017 ; puis chez Alpha, société placée depuis en liquidation. A partir de février 2018, moment où CBL, l'assureur néo-zélandais sur lequel s'appuie SFS, souhaite se retirer du marché français de l'assurance-construction, les problèmes commencent pour notre entrepreneur: "Certains assureurs français refusaient notre attestation d'assurance, ce qui obligeait nos clients soit à rompre notre contrat, soit à payer une surprime d'assurance dommages ouvrages".

 

Un architecte d'intérieur, touché, nous écrit
Un architecte d'intérieur, diplômé en architecture mais n'ayant pas passé son HMONP, n'a as pu se faire assurer auprès d'assureurs "historiques". Il se tourne ainsi vers un courtier qui place ses risques chez CBL, société néo-zélandaise, depuis plongé dans la tourmente. "Aujourd'hui, je suis sans assurance depuis un mois, ça fait des mois que je demande à mes courtiers de me retrouver un assureur et ils n'y arrivent pas", nous explique-t-il. "Il y a 6 mois lors d'une nouvelle tentative d'adhésion, il m'a clairement été dit que la politique du moment était de refuser les assurés de CBL. [...] J'espère que mes démarches pour être assurés seront acceptée. J'ai dû mettre en stand by certains projets, et je ne pourrais pas tenir longtemps."

 



"Je vais donc devoir me retrouver à payer trois fois pour les affaires passées en 2017 et en 2018..."

 

La solution qui lui est alors proposée est de se faire alors assurer par Qudos, autre intervenant en libre prestation de service, mais qui a lui aussi suspendu son activité dans le courant du mois d'octobre 2018. Un parcours du combattant pour le dirigeant d'entreprise, où chaque changement d'assureur donne lieu à de nouveaux paiements pour des risques passés qui ne sont plus couverts... en attendant la prochaine faillite. "L'assurance décennale est obligatoire dans nos métiers. Et je vais donc devoir me retrouver à payer trois fois pour les affaires passées en 2017 et en 2018..." Un surcoût de plusieurs dizaines de milliers d'euros. Cette situation, si elle devait durer finirait par menacer la survie de l'entreprise. "Et encore, j'ai de la chance, pour certains de mes collègues on approche la barre des 100.000 euros de surcoût", nous confie le dirigeant.

 

Des syndics également touchés
Lors d'une conférence de presse du 7 novembre 2018, le président de l'Union des syndicats de l'immobilier (Unis), Christophe Tanay, a révélé que cinq adhérents de l'organisation étaient impactés et se retrouvaient sans assurance. "L'assurance-construction est totalement sinistrée", a commenté Gilles Delestre, président délégué de l'Unis. "Le problème est que dans les copropriétés, les assemblées générales changent et ce ne sont pas toujours celles qui ont souscrit à l'assurance qui sont encore présentes. Et, bien souvent, dans de l'immobilier ancien, un promoteur voudra aller à l'essentiel et préfèrera prendre une assurance low-cost. Il faudrait pouvoir instituer un contrôle des compagnies d'assurance qui ne sont pas basées en France."

 

Un problème qui risque d'être long à se résoudre

 

L'autre scénario évoqué par des acteurs auprès de Batiactu est celui de la cessation possible d'activité du fait de l'absence d'assureur. Si un acteur ne retrouve pas rapidement un partenaire, son activité, dans la mesure où elle dépend d'une décennale, est bloquée. Et il devient difficile de faire vivre une société sans remplir de carnet de commandes. Heureusement pour eux, certains n'ont pas mis tous les œufs dans le même panier. "Nous avons de la chance d'avoir une double activité, dont l'une, la détection de réseaux, ne nécessite pas de décennale", nous explique ainsi un lecteur. "Elle marche très bien, et cela nous permet de temporiser avant de retrouver un assureur pour le reste de notre activité. Mais il faut bien comprendre que la situation actuelle est catastrophique pour les petits acteurs. Et cela risque d'être encore très long..."

 

Des particuliers également impactés

 

Il n'y a bien sûr pas que les entreprises et les bureaux de contrôle qui sont touchés ; c'est également le cas des architectes et des maîtres d'ouvrage, comme nous l'explique ce petit patron de l'immobilier. "Dernièrement un promoteur a dû sortir 20.000 euros de sa poche du fait de la défaillance d'un assureur. Et le problème risque de s'étendre à l'ensemble des acteurs, car dès qu'il manque une brique dans le système, tout s'effondre." Au vu des dernières actualités parues dans la presse sur la libre prestation de services, les banques refusent souvent de débloquer les fonds pour financer, par exemple, des travaux de construction de maison individuelle, s'il s'avère que l'un de ces acteurs est présent sur un maillon de la chaîne des acteurs du chantier. "Du coup, la construction de la maison est décalée le temps que l'entreprise trouve un assureur, et le particulier constructeur doit payer de sa poche six mois d'intérêts intercalaires..."

 

Chaque acteur que nous avons interrogés est conscient du fait que les pouvoirs publics n'ont pas toutes les cartes en main pour résoudre rapidement le problème. Mais ils espèrent pourtant voir la pression diminuer. "Quand je lis que les pouvoirs publics souhaitent résoudre cela au niveau européen, je me dis que cela ne risque pas d'être pour tout de suite...", nous glisse un chef d'entreprise, dépité.

 


Appel à témoignages

Entreprise, professionnel, architecte, particulier, vous êtes passé par un assureur intervenant en LPS aujourd'hui défaillant ? Vous faites face à certains des problèmes évoqués dans l'article ? N'hésitez pas à nous faire parvenir votre témoignage : redaction@batiactugroupe.com

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