ORDONNANCES COVID-19. Plusieurs acteurs de la maîtrise d'œuvre et de la maîtrise d'ouvrage parlent d'une même voix pour demander aux pouvoirs publics de tout faire pour éviter des "conséquences catastrophiques" en construction neuve. En cause, l'une des ordonnances prises pour lutter contre le fléau du coronavirus.

Après une première alerte lancée par les constructeurs de maisons individuelles, c'est aujourd'hui plusieurs acteurs de la maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'œuvre (1) qui alertent les pouvoirs publics : l'instruction décalée des autorisations d'urbanisme, telle que prévue dans l'une des 25 ordonnances covid-19, pourrait avoir des "conséquences catastrophiques" sur la filière. "Il faut modifier l'ordonnance", assure à Batiactu Jean-Michel Woulkoff, président de l'Union nationale des syndicats français d'architectes (Unsfa).

 

Des effets collatéraux non-négligeables

 

Pour rappel, le Gouvernement a souhaité légiférer pour supprimer les autorisations tacites de l'administration, suspendre les conséquences juridiques du silence de l'administration. Mais, alerte Jean-Michel Woulkoff, il faut aussi songer aux effets collatéraux d'une telle décision, celle de "neutraliser les délais d'instruction des demandes d'autorisation d'urbanisme déposées avant le 12 mars 2020 et ce jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire". D'après les prévisions des organisations signataires, "il est à prévoir que la quasi-totalité des autorisations, dont les demandes sont en cours ou à venir, ne seront purgées de tout recours qu'au début 2021".

 

 

S'ouvrirait ainsi une période d'inactivité pour la maîtrise d'œuvre, mais aussi pour les entreprises de construction, puisque suivant ce scénario "les entreprises de gros œuvre ne pourront démarrer leurs travaux qu'en 2021 au lieu du deuxième semestre 2020 et les entreprises de second œuvre, elles, ne poursuivront ces travaux qu'à partir de l'été 2021". "Nous prendrions un triple coup sur la tête", résume Jean-Michel Woulkoff. "Les conséquences des élections municipales, puis le confinement, puis ce décalage des instructions. Dans quel état risque-t-on de retrouver les entreprises de maîtrise d'œuvre fin 2020 ?..."

 

"Évitons une crise dont le bâtiment mettrait deux ans à se sortir", Alexandra François-Cuxac (FPI)

 

Tout l'enjeu, pour la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), signataire du texte, c'est d'éviter une année blanche en 2020. "Nous pourrions aussi dire une année noire", observe Alexandra François-Cuxac, sa présidente, contactée par Batiactu. En effet, les conséquences économiques pour l'ensemble des professions du secteur, en cas d'un décalage massif des opérations, seraient incalculables. "Notre métier de promoteur est d'anticiper, programmer, travailler avec les collectivités locales, en premier lieu sur les demandes de permis de construire", rappelle-t-elle. Chose qui deviendrait impossible dans ces circonstances et créerait un trou dans l'activité pour tous les corps de métiers.

 

Quelles pistes sont ébauchées pour éviter le cataclysme ? Celles annoncées dans le communiqué de presse (voir encadré en fin d'article) vont être creusées cette semaine avec le ministère du Logement, nous indique la FPI. "Nous ferons tout pour faire modifier cette ordonnance, et éviter au secteur du Bâtiment tout entier une crise dont il mettrait deux ans à sortir", explique la présidente. Les pistes sont nombreuses : supprimer le mois de délai qui serait institué à l'issue de la période d'état d'urgence sanitaire, dématérialiser partout où cela est possible la demande de permis de construire, renforcer les équipes d'urbanisme pour travailler plus vite que d'habitude quand la situation repartira... "Il faut une mobilisation à toutes les étapes", résume Alexandra François-Cuxac. "Les pouvoirs publics ont pris 25 ordonnances en huit jours : qu'il y ait quelques ajustements à faire dans la foulée, c'est légitime. Le tout, c'est de corriger !"

 

Le mouvement HLM "veut être acteur de la relance"

 

Contactée par Batiactu, Marianne Louis, présidente de l'Union sociale pour l'habitat (USH), également signataire du communiqué, rappelle que "comme en 2008, le logement social peut être contracyclique" en investissant massivement. "Nous voulons être acteurs de la relance. Mais la priorité aujourd'hui, c'est que les choses ne soient pas bloquées au niveau réglementaire." La question fait déjà l'objet de discussions avec les pouvoirs publics, avec qui des groupes de travail ont été mises en place pour relancer l'activité.

 

Donner des moyens aux collectivités

 

"Notre prise de position n'est pas corporatiste, et se veut constructive : il s'agit de créer un espace de discussion sur ces sujets, par exemple au sein du conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique", nous explique Jean-Michel Woulkoff. Les signataires en appellent ainsi à réduire l'impact calendaire des dispositions, de travailler sur les délais de recours, et d'assurer une continuité dans l'instruction des dossiers, par exemple au moyen de la dématérialisation. "L'État doit donner aux collectivités des moyens de traiter cela", assure Jean-Michel Woulkoff.

 


Permis de construire : les cinq demandes des signataires

 

- La modification de l'ordonnance concernée, pour réduire son impact calendaire (par exemple en supprimant le mois ajouté à la durée de l'état d'urgence sanitaire ou en réduisant les délais de recours des tiers et recours administratifs) ;

 

- Une continuité minimale de l'étude et de la délivrance des autorisations d'urbanisme dans les collectivités territoriales durant la période de confinement, en "temps masqué", en privilégiant la dématérialisation du dépôt des dossiers ; corrélativement, l'accélération de la dématérialisation des autorisations d'urbanisme, prévue pour 2022 dans les communes de plus de 3500 habitants ;

 

- Le renforcement des services instructeurs dès la sortie de crise sanitaire pour éviter le rallongement des délais d'étude et la demande de pièces complémentaires ;

 

- La prise en compte des difficultés de toute la filière par l'homologation inconditionnelle des demandes de chômage partiel, dégrèvement d'impôt et de report de charge ;

 

- La révision du mode d'attribution du fonds de solidarité pour les indépendants et artisans, le mode de comparaison du seul mois de mars n'étant pas pertinent eu égard à leurs délais de facturation et de paiement.

 

(1) Cinov, FPI France, LCA-FFB, Synamome, Unam, UNGE, Unsfa, Untec, USH.

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