COLÈRE. Une mesure contenue dans l'ordonnance adoptée en conseil des ministres, ce mercredi 13 mai 2020, inquiète fortement les organisations patronales du bâtiment et des travaux publics, contactées par Batiactu.
Doit-on y voir un 'coup de pression' gouvernemental pour accélérer la reprise de l'activité ? Quoi qu'il en soit, une mesure contenue dans l'ordonnance du 13 mai, publiée au Journal officiel le 14, inquiète fortement le secteur du BTP. Le Gouvernement a ainsi décidé de décorréler la fin de l'état d'urgence sanitaire (prévue pour le 10 juillet) des délais qui s'appliquent aux marchés privé et public. "Les mesures dérogatoires destinées à aider les entreprises prendront fin le 23 juin inclus pour les marchés privés, et le 23 juillet inclus pour les marchés publics", en conclut la Fédération française du bâtiment, dans un communiqué de presse diffusé le 14 mai en soirée.
Le Gouvernement [qui a réagi auprès de Batiactu à la colère des professionnels dans l'encadré ci-dessous] considère ainsi que les entreprises peuvent retravailler à 100% de leurs moyens et donc respecter les délais de construction, en dépit de la prolongation de l'état d'urgence sanitaire, à partir de ces dates. Or, du fait des conditions de productivité dégradée qui ont cours actuellement sur les chantiers, et qui devraient rester une réalité dans les semaines à venir, les organisations patronales du secteur estiment qu'elles ne parviendront pas à tenir les délais de livraison. Elles devront, dans ces conditions, payer des pénalités de retard, ce qui représente pour la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) une double-peine, puisque les entreprises doivent déjà prendre en charge, au moins en partie, les surcoûts liés au covid-19. "Nous demandons à revenir à l'état qui prévalait précédemment, c'est-à-dire tenir compte de la date de fin de l'état d'urgence sanitaire", nous explique une porte-parole de l'organisation, contactée par Batiactu. Ces règles concernent les marchés publics comme privés.
Une "hérésie" pour la FFB
"Cette décision est une hérésie", tempête de son côté Jacques Chanut, président de la Fédération française du bâtiment, contacté par Batiactu. Le Bâtiment avait été entendu sur le fait de décorréler l'instruction des permis de construire de la fin de l'état d'urgence sanitaire, mais il y a un revers de la médaille : "Les pouvoirs publics ont profité de cela pour décorréler également les délais de chantiers." La FNTP assure de son côté que les entreprises ont fait leur maximum depuis le début de la crise et ne méritent pas ce traitement. "Le changement de pied du Gouvernement sur les délais dans les marchés publics et privés est un véritable camouflet pour notre secteur !", s'indigne Bruno Cavagné, président de la FNTP.
Le ministère du Logement, "étonné" par la réaction des professionnels, assure que "les délais sont les mêmes qu'avant"
Le cabinet du ministre de la Ville et du Logement a fait part à Batiactu de son "étonnement" par rapport à la réaction des professionnels à l'ordonnance adoptée le 13 mai. "Tout d'abord, il faut rappeler que cette ordonnance concerne tous les types de contrats et tous les secteurs, pas seulement celui de la construction. Nous sommes dans une phase de reprise d'activité, après la phase de confinement qui s'est achevée le 11 mai.
Cette ordonnance consiste à traduire le fait que l'urgence sanitaire soit prolongée, mais que l'activité économique reprenne - ce qui nous a amenés à décorréler, avec le soutien des professionnels du BTP, l'instruction des autorisations d'urbanisme de l'état d'urgence sanitaire. Or, serait-il envisageable de faire repartir les procédures d'urbanisme, mais pas les délais d'exécution des contrats ? Si nous le faisions, nous ne donnerions à un client, qu'il soit promoteur ou particulier, aucune visibilité sur la date de fin de son chantier. Nous ne pouvons pas faire repartir l'activité dans un sens, mais pas dans l'autre. Il paraîtrait étrange que, tant que dure l'urgence sanitaire, les contrats en cours ne disposent pas d'une date de fin. Une telle situation ne serait pas normale, et poserait des problèmes vis-à-vis des contractants.
Par ailleurs, la traduction que nous avons faite ne réduit pas, contrairement à ce qui peut être dit, les délais : les dispositions d'hier sont toujours en vigueur, nous tenons compte de la période du confinement et y ajoutons un mois tampon. Vous ne pouvez pas avoir de pénalités liées à ce décalage.
Enfin, rappelons que tout au long de la crise nous nous sommes montrés à l'écoute de la profession. Nous avons beaucoup travaillé avec les organisations, adapté les textes qui devaient l'être, notamment en matière d'autorisations d'urbanisme. Le gel des recours et délais d'instruction était un peu large : nous avons rectifié très rapidement. Et nous avons, la semaine dernière, présenté une ordonnance au plus tôt aux acteurs de manière à les rassurer sur les autorisations d'urbanisme et leur donner de la visibilité."
"Nous avons sorti notre guide de préconisations sanitaires très tôt, le 2 avril. Puis notre reprise d'activité a été freinée par le manque de masques, par le fait que de nombreux maîtres d'ouvrage publics ne souhaitaient reprendre les chantiers qu'après le 11 mai ; ainsi, les difficultés et les retards ne sont pas de notre fait !", explique-t-on du côté de la fédération. Jacques Chanut évalue à 15-20% la baisse de productivité actuelle des entreprises du fait des indispensables mesures sanitaires ; du côté des TP, on avance également un autre facteur handicapant, le manque de personnel disponible "en raison des gardes d'enfants ou du maintien à domicile des personnes à risques".
Les professionnels demandent une baisse des charges
La question de "qui paiera les surcoûts" est par ailleurs, toujours en suspens. Et la FFB renouvelle son appel à supprimer temporairement les charges qui pèsent sur les entreprises pour passer ce cap, et éviter surtout un désastre économique pour le secteur. "Apparemment, la piste d'une clause d'indexation des marchés publics n'a pas les faveurs de Bercy ; c'est pourquoi nous demandons ce geste sur les charges", nous explique Jacques Chanut. Si le texte reste en l'état, et que les pénalités de retard s'accumulent dans trois mois, le président de la FFB n'imagine pas que les maîtres d'ouvrage leur fassent des cadeaux. "Il y a urgence, l'État doit fixer les règles du jeu équilibrées entre les acteurs, pour sauver notre outil de production et éviter de la casse sociale en septembre. Nos entreprises sont toutes interdépendantes les unes des autres : quand l'une d'entre elles tombe, c'est un chantier bloqué et dix autres entreprises impactées. Rappelons-nous de ce qu'il s'est passé après 2008."