Entre tractations, arrangements et amertume générale, à la veille de l'anniversaire de l'effondrement des tours du World Trade Center, New York avance péniblement dans son projet de réhabilitation du sud de Manhattan.

Il est difficile de construire sur les ruines du World Trade Center. Six mois après la sélection du projet de l’architecte allemand Daniel Libeskind par le LMDC (Lower Manhattan Development Corporation), la situation à New York est plutôt confuse, mais dans le plus pur style new yorkais.

Télescopage d’intérêts immobiliers et de considérations architecturales, dialogue avec les habitants manqué en dépit des multiples effets d’annonces sur le thème de la consultation active de la population par les autorités, et préoccupations politiques avant la convention républicaine qui doit se tenir à New York en août 2004 alimentent la chronique d’une reconstruction annoncée.

L’équation, posée depuis longtemps, même si elle n’a jamais été ouvertement reconnue comme telle par le LMDC est simple et douloureuse : faire tenir sur le site du World Trade Center chaque mètre carré de bureau que le marché exige et que la société tolérera. La nécessité de reconstruire avait fait espérer un temps que le sud de Manhattan puisse renaître différent après les attaques du 11 septembre. Pour beaucoup, la cause est désormais entendue. Comme le note Philip Nobel dans l’hebdomadaire new yorkais The Nation, « On ne peut pas dire que ceux qui contrôlent le programme et la publicité et le calendrier et l’argent et le terrain et le ciel au-dessus aient fait preuve d’une grande souplesse s’ils essayaient sincèrement de faire un grand écart esthétique ».

Alors que les ouvriers commencent déjà à poser les rails de la future ligne de métro qui prendra place sous le site, Larry Silverstein, détenteur du bail du World Trade Center, et qui à ce titre continue de payer 120 millions de dollars par an à la société propriétaire du terrain, a quant à lui réussi son coup. En faisant nommer Davis Childs, son architecte attitré, à la fonction d’ "architecte concepteur" de la "tour de la liberté" - pièce maîtresse des plans de Libeskind - tandis que ce dernier serait "l'architecte consultant" des différentes phases de conception du projet, l’homme d’affaire s’est assuré un levier précieux pour les arbitrages à venir.

La place que prendra le mémorial à l’intérieur du site reste en la matière le point le plus sensible. Des proches des victimes ont manifesté le 3 septembre dernier pour faire entendre leur colère face au plan actuel qui assigne au futur mémorial à peine la moitié de la surface des empreintes des tours jumelles. Ils demandent que la totalité de cet espace lui soit consacré, et déplorent qu’il ne soit pas l’élément structurant du projet. Dans ce contexte, le choix de David Childs reste potentiellement explosif, lui qui a été le premier, moins de deux semaines après l’attentat, à proposer ses services pour la reconstruction du site, ce qui lui valut une haine tenace de la part des habitants. A tel point qu’il fut contraint de changer de numéro de téléphone en raison des menaces de morts et des messages d’insultes qu’il recevait tous les jours.

Mais un retour en arrière est improbable. Ainsi va la vie à New York, où en deux ans l’horreur générale a graduellement fait place à une indifférence gênée. Pour sa part, le jury qui étudie actuellement les 5200 projets présentés pour le mémorial aux victimes n’a rien laissé filtrer, si ce n’est qu’il ne sera pas en mesure de désigner les finalistes pour le 11 septembre de cette année comme prévu initialement.

Malgré ce retard, la première pierre devra bien être posée l’été prochain. Le gouverneur de l’état, le républicain Georges Pataki, artisan de l’arrangement entre Larry Silverstein et David Libeskind ne peut pas rêver mieux pour le lancement de la convention républicaine d’août 2004, qui donnera le départ de la dernière phase de la campagne présidentielle. Le choix, roublard, de New York comme ville d’accueil du grand show politique de Bush pourrait-il se retourner contre les républicains, principaux soutiens à New York du projet Childs-Libeskind ? Il faudrait pour cela que les new yorkais « prennent la rue pour l’architecture » comme le souhaitait à demi mot Philip Nobel dans The Nation, en janvier. Depuis, les réactions populaires se sont largement limitées aux actions des familles de victimes. Comme s’il n’y avait rien à gagner dans cette histoire qui avait décidément trop mal commencé.



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