ALERTE. Au vu de récents arbitrages proposés par les pouvoirs publics, les solutions biomasse pourraient se voir nettement désavantagées, voire exclues, sur le marché de la rénovation. C'est Olivier Sidler, de l'association Négawatt, qui l'assure.

Le chauffage bois serait-il gravement menacé sur le marché de la rénovation énergétique ? C'est l'analyse fournie par Olivier Sidler, de l'association Négawatt, qui tenait une conférence de presse, ce 5 mars 2020, à Paris. La base de cette analyse, c'est le projet des pouvoirs publics d'exprimer le seuil des étiquettes B à C du diagnostic de performance énergétique (DPE) en énergie finale - information révélée par Batiactu il y a quelques jours. Pour rappel, le Gouvernement propose ainsi, dans un texte soumis à consultation jusqu'au 10 mars, de fixer ce seuil à 60 kWhEF/m²/an, exprimé en énergie finale, la frontière étant aujourd'hui à 90, exprimé en énergie primaire - comme on sait, la prise en compte de l'énergie primaire désavantage mécaniquement l'électricité, qui en moyenne 'consomme' jusqu'à 3kWh pour produire 1kWh. Pour Olivier Sidler, cette évolution entraînera la modification des autres classes de DPE (pas seulement la B et la C), et amènera ainsi à "dégrader toute l'échelle", avec une conséquence immédiate : favoriser les solutions électriques les moins chères et les moins performantes, à savoir les convecteurs électriques, en rénovation.

 

Un avantage "phénoménal" à l'électricité

 

Quelles seraient les conséquences pour les autres sources d'énergie ? "Vous donnez un avantage phénoménal à l'électricité, et pas aux autres", décrypte Olivier Sidler, fondateur du bureau d'études Enertech. "Cela amènera à faire passer en B des logements aujourd'hui chauffés à l'électrique et classés D, ce qui constitue une immense tromperie vis-à-vis des consommateurs qui vont voir leurs factures de chauffage augmenter, l'électricité étant dans tous les cas nettement plus chère que, par exemple, le gaz."

 

 


"Quel maître d'ouvrage ne choisira pas l'électrique ?"

 

Mais le gaz, qui verra les logements qu'il chauffe déclassés dans l'échelle du DPE, ne sera pas la seule victime, assure l'association, cela sera aussi le cas du chauffage au bois. "Le marché de la rénovation va se transformer, nous aurons quelque chose comme 80% d'électrique peu performant : je ne vois pas un maître d'ouvrage ne pas choisir de radiateurs électriques avec une telle configuration réglementaire", alerte Olivier Sidler. Ainsi, lorsqu'il faudra remplacer une chaudière fioul ou gaz, si l'avantage est net en termes de solution électrique décarbonée, qui optera pour autre chose que de l'électrique, notamment pour du bois ?, questionne l'association. Elle insiste pourtant sur le fait que, notamment en logement social, les progrès offerts par la biomasse sont conséquents - Batiactu s'est d'ailleurs récemment fait l'écho d'un tel cas de logement social à énergie positive.

 

Le risque est celui de pousser à la consommation, et de moins mettre l'accent sur l'efficacité énergétique, concrètement l'isolation thermique des bâtiments. C'est à ce titre que Négawatt assure d'ailleurs n'être en aucune manière opposé au chauffage électrique en tant que tel, mais souhaitant valoriser la Pac et non le convecteurs. "Nous aussi souhaitons chasser le gaz du bâtiment, pour l'affecter au transport. Mais une électrification massive et peu intelligente ferait que l'on rognerait sur la qualité du bâti et que nous risquerions de faire exploser la pointe électrique", explique Olivier Sidler. Le scénario 2050 de l'association prévoit ainsi près de la moitié des logements chauffés à la Pac, preuve de son intérêt pour cette source énergétique.

 

En toile de fond : gérer la nouvelle politique nucléaire de la France

 

Cette évolution réglementaire marquerait une nouvelle étape du retour de l'électricité dans le bâtiment, qui semble, de toute évidence, être déjà la grande gagnante en neuf, via la future réglementation environnementale 2020 (RE2020). Pour Négawatt, cela s'inscrit dans une stratégie plus globale de l'État visant à gérer la nouvelle politique nucléaire de la France, qui passe par la diminution de sa part dans le mix énergétique à 50% d'ici 2035, prévue par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). La gestion de ce déclin sur le plan économique, avec une filière qui passe d'une logique de recettes à une logique de charges à supporter sur une courte période de temps (notamment du fait des coûts du démantèlement de centrales) inciterait les pouvoirs publics à encourager l'électricité nucléaire pour soutenir la filière - dans le bâtiment, donc, mais également dans la promotion du véhicule électrique. "Les pouvoirs publics travaillent d'arrache-pied pour accompagner la non-rentabilité du parc et la construction d'éventuels nouveaux EPR, on sait que cela n'est pas compétitif, mais on n'y va quand même", assure Yves Marignac, de Négawatt. Qui paierait la facture ? Les Français, assure l'organisme.

"La France refuse de sauter l'obstacle"

 

Pour l'association, ces choix politiques, pas clairement assumés, vont à l'encontre de la transition énergétique et de la décarbonation qui passent notamment par une maîtrise de la demande d'énergie, et donc la prise en compte de l'efficacité énergétique, et pas seulement de la question des émissions de carbone de tel ou tel facteur énergétique. "Depuis plusieurs semaines, les indices se multiplient, c'est pourquoi nous souhaitons lancer l'alerte", résume Thierry Salmon. "La France refuse de sauter l'obstacle, et si on n'enclenche pas la vitesse supérieure, nous n'y arriverons pas." Le Gouvernement n'assumerait pas le fait de devoir prendre des mesures drastiques (comme l'obligation de travaux) pour atteindre réellement la massification de rénovations de qualité, et il n'assumerait pas clairement non plus l'inversion de l'histoire du nucléaire, "qui coûte de plus en plus cher pour une rentabilité toujours moindre, ce qui menace gravement l'idée d'un service public du nucléaire, forme de contrat social passé dans les années 70".

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