PROCÉDURE. Depuis le drame de Marseille, la notion de péril revient régulièrement, parfois associée aux mauvaises situations de mal-logement. Eclairage juridique avec Damien Richard, avocat auprès du barreau de Lyon spécialisé en droit de la construction et immobilier.

Depuis le drame de Marseille, les termes "en péril", "insalubre", "indigne" reviennent régulièrement. Sont-ils synonymes pour autant ?

 

Pas du tout. Ils désignent effectivement des sujets différents. Le péril est lié à un sujet de sécurité publique traditionnel qui relève de la compétence du maire depuis toujours, comme pouvoir de police générale. Dans le cas d'immeubles menaçant ruine, et donnent lieu à un arrêté de péril, on fait appel aux pouvoirs de police spéciale, relevant de la compétence du maire ou de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI).

 

L'habitat indigne ou insalubre relève plus généralement du droit de la construction, et d'autres textes qui appellent des actions différentes, notamment sur la question des copropriétés dégradées. On peut considérer un logement de 9m² comme relevant de l'habitat indigne du fait du surpeuplement. Cela prouve que cette forme d'habitation revêt une dimension plus multiforme, complexe et difficile à détecter.

Comme distinguer le pouvoir de police générale et de police spéciale ?

En général, le maire est compétent pour prendre toutes les décisions propres à la sécurité publique. S'il détecte un immeuble en passe de s'effondre, la police générale consiste à mettre en place un périmètre de sécurité, tandis que la police spéciale donne la possibilité de prendre un arrêté de péril, ordinaire ou imminent. Certains peuvent avoir du mal à identifier la différence entre les deux pouvoirs, mais il faut rappeler qu'ils peuvent ne pas être saisis par la même personne, en l'occurrence le maire. De plus, ces deux polices n'ont pas le même mode d'exercice, et peuvent prendre des formes diverses. En ce sens, la démolition est un cas rarissime. Cette décision doit être proportionnée comme toute autre mesure de police, et peut être exigée par l'expert s'il considère qu'il s'agit de la seule solution.

Comment définir un arrêté de péril, quelle forme peut-il prendre ?

L'arrêté de péril est une décision de police du maire ou du président de l'EPCI qui vise à mettre fin à un péril constituant un trouble à l'ordre public, et qui constitue un risque pour la sécurité des occupants de l'immeuble ou du voisinage. Il existe deux grandes branches : le péril ordinaire et le péril d'urgence que l'on retrouve plus souvent sous l'appellation de péril imminent. Lorsque des services spéciaux ou des habitants signalent un péril sur un immeuble, une fissure ou une dégradation qui laisse craindre un risque pour la sécurité publique, le maire a d'abord un devoir d'appréciation. Il doit juger s'il s'agit d'un péril imminent ou si le risque est mal défini dans sa temporalité ou plus progressif, et enclencher en conséquence l'une ou l'autre des procédures.

 

Damien Richard
Damien Richard, avocat au barreau de Lyon spécialisé en droit immobilier et droit de la construction © DR

Sur quelle expertise le maire peut-il s'appuyer pour apprécier la nature du péril ?

Il va s'appuyer sur ses services techniques, une expertise qui peut devenir problématique pour les petites collectivités qui n'ont pas toujours les moyens d'avoir des effectifs en ce sens, alors que la détection d'un état de péril sur un bâtiment n'est pas aussi simple qu'on le croit. Si l'on revient aux évènements marseillais, il faut rappeler que ces immeubles sont souvent occupés. Déclarer un péril, c'est ordonner l'évacuation du bâtiment, ce qui ne peut pas être pris à la légère car cela implique un coût de relogement et de gestion.

En quoi la procédure de péril ordinaire diffère-t-elle du péril imminent ?

Si le maire considère le péril comme imminent, il saisit le juge des référés du Tribunal administratif et demande la désignation d'un expert, qui doit se rendre sur les lieux sous 24 heures afin de confirmer ou non le caractère urgent du péril. Si l'expert conclut à un danger imminent, il définira les travaux à réaliser pour y mettre fin. Le propriétaire de l'immeuble a un délai de 30 jours pour réaliser ces interventions, et s'il se montre défaillant, c'est à la mairie de réaliser les travaux à sa place et à ses frais.

 

La procédure ordinaire peut s'avérer plus compliquée pour la collectivité. Elle permet au maire d'apprécier seul le risque, sans désignation d'un expert par la juridiction administrative. La collectivité doit ainsi négocier la mise en route de travaux avec le propriétaire qui aura un délai d'acceptation ou non de ces travaux. Si ce dernier ne met pas en œuvre les travaux demandés, il est mis en demeure par la collectivité qui doit se substituer à lui. Il s'agit là d'une procédure contradictoire qui est compliquée pour la ville qui ne peut s'abriter derrière l'appréciation d'un expert.

Si le propriétaire refuse de rembourser les travaux ?

La mairie finance les travaux d'urgence avec des derniers publics, en espérant se faire rembourser. Si ce n'est pas le cas, la mairie émet un titre de recettes à l'encontre du propriétaire ce qui peut amener à des poursuites du Trésor public avec une saisie des comptes. Encore faut-il qu'il y ait de l'argent sur ces comptes. Cela explique en partie le problème marseillais : une fois que la mairie impose des travaux, elle a le choix entre les réaliser ou laisser un peu traîner les choses.

Dans le cas des marchands de sommeil, il est souvent fait état de paiement des loyers en liquide sans quittance, est-ce un moyen de prouver que les comptes sont vides et que ces propriétaires sont dans l'incapacité de financer des travaux ?

Il y a effectivement une corrélation entre la situation de certains immeubles marseillais et des marchands de sommeils qui mettent leurs locataires dans des bâtiments très peu entretenus. Mais je pense que c'est d'abord dans le but d'échapper à toute forme d'impôt sur le revenu.

 

"La procédure de péril ordinaire peut s'avérer plus compliquée pour la collectivité"

Quelles sont les conséquences d'un arrêté de péril sur les différentes parties prenantes : collectivité, propriétaire, locataire ?

Pour le maire ou l'EPCI, l'arrêté affirme la reconnaissance du risque. A Marseille, cette reconnaissance est clé puisqu'elle atteste que la mairie a pris connaissance des risques pour la sécurité publique, et l'oblige à engager sa responsabilité. Le propriétaire aura pour obligation de réaliser les travaux mettant fin à ce risque. Le locataire, lui, est impacté par des mesures connexes : l'interdiction d'habiter, et l'obligation d'être relogé par le propriétaire ou la mairie, aux frais du premier.

Peut-on dire que la remise en état d'un immeuble est ralentie par la procédure de mise en péril ?

Le problème n'est pas juridique. La procédure marche bien pour l'avoir exercée auprès de collectivités. L'expert judiciaire remet son rapport dans les 24 heures, il est dans la capacité de donner sa décision. La difficulté que l'on rencontre est dans la distinction du risque. Sauf manifestation spontanée des habitants, il faut compter sur les rondes des services techniques qui ne sont pas toujours simples. Il y a aussi le coût pour les finances publiques des collectivités qui font les travaux aux frais du propriétaire. On peut imaginer que des interventions ont été refusées par des affreux marchands de sommeil fortunés, mais chez certains propriétaires, il s'agit réellement d'une dégradation de l'immeuble du fait de leur incapacité à assurer l'entretien du bâtiment.

 

 

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