SOCIETE. Sobriété, décroissance, économie du partage, low tech et agriculture raisonnée. Tous ces thèmes convergent dans le "Manifeste pour une frugalité heureuse" lancé par des architectes et urbanistes opposés à l'immobilisme ou au techno-scientisme. Détails.
Pour l'architecture et l'aménagement des territoires urbains et ruraux, une autre voie est possible : celle de la frugalité, cette démarche qui consiste à atteindre des objectifs élevés tout en économisant les ressources nécessaires. Par quel moyen ? Un emploi raisonné et raisonnable de matériaux et d'énergie, une conception ingénieuse et un refus du mode de consommation et de développement actuels. Dans le "Manifeste pour une frugalité heureuse", trois professionnels reconnus de la construction, l'architecte Dominique Gauzin-Müller, l'urbaniste Philippe Madec et l'ingénieur Alain Bornarel, expliquent : "Les professionnels du bâtiment et de l'aménagement du territoire ne peuvent se soustraire à leur responsabilité. Leurs domaines d'action émettent au moins 40 % des gaz à effet de serre pour les bâtiments et bien plus avec les déplacements induits par les choix urbanistiques".
Rénover plutôt que construire, raisonner plutôt que suréquiper
Ils déplorent tout d'abord la priorité donnée à la construction neuve plutôt qu'à la réhabilitation de l'existant et rappellent que l'artificialisation des sols concerne chaque année 60.000 hectares en France, soit "tous les 10 ans, l'équivalent de la surface d'un département". Les trois activistes dénoncent ensuite des engagements non tenus, des objectifs revus à la baisse et des échéances reportées, comme pour la réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique français ou le retour en arrière proposé sur la RT2012.
Les auteurs du manifeste signalent toutefois que les choses évoluent : "(…) à l'échelle du bâtiment, on construit des édifices sains et agréables à vivre sans ventilation mécanique ni climatisation, voire sans chauffage. Grâce à la ventilation naturelle, au rafraîchissement passif, à la récupération des apports de chaleur gratuits et à l'inertie thermique, la conception bioclimatique permet de réduire au strict minimum les consommations d'énergie, tout en assurant un confort accru". Ils plaident à la fois pour la construction bois, comme l'ont fait le climatologue Jean Jouzel et l'économiste Pierre Larrouturou, pour les isolants biosourcés et pour la terre crue.
"Ce n'est pas le bâtiment qui est intelligent, ce sont ses habitants", Manifeste pour une frugalité heureuse
Selon eux, la frugalité implique une approche "low tech" avec la remise au goût du jour de savoir-faire ancestraux, qui ne signifie pas une absence de technologies mais "le recours en priorité à des techniques pertinentes, adaptées, non polluantes ni gaspilleuses, comme à des appareils faciles à réparer, à recycler et à réemployer". En termes de conception, cette sobriété imposera de l'intelligence collective et de l'inventivité, ainsi qu'une implication certaine et soutenue des occupants. Une notion impérative même, puisqu'un effet rebond est souvent observé lors de l'adoption d'une solution plus économique : les utilisateurs constatant une baisse de leur facture, ont tendance à se laisser aller plus facilement par la suite, se disant qu'un écart ne sera pas pénalisant. En économie, cet effet a été postulé sous le nom de "paradoxe de Jevons". Le manifeste note donc : "La transition écologique et la lutte contre les changements climatiques concourent à un usage prudent des ressources épuisables et à la préservation des diversités biologiques et culturelles pour une planète meilleure à vivre".
L'ingénieur Alain Bornarel, auteur du manifeste, s'était déjà signalé en 2013 lorsqu'il avait mis en doute l'efficacité de la Réglementation thermique et de la certification BePos. A l'époque, déjà, il plaidait pour des travaux sur l'enveloppe plutôt que sur l'adoption de systèmes énergétiques compensateurs comme le photovoltaïque ou les climatisations. En revanche, il mettait en avant les performances de la ventilation double-flux, un produit pourtant très élaboré. De son côté, l'architecte Dominique Gauzin-Müller, spécialisée dans les thématiques de développement durable, est souvent consultée pour de la construction en bois. Quant à l'architecte et urbaniste Philippe Madec, adepte de l'éco-responsabilité, il a participé à de nombreux projets dont la création d'un parc urbain à Rouen à l'emplacement d'un ancien hippodrome.