Guillaume Poitrinal, dirigeant d'Unibail-Rodamco, le leader européen de l'immobilier commercial, signe un réquisitoire contre le temps perdu. "Plus vite, la France malade de son temps", aux éditions Grasset, entend démontrer qu'il est urgent de retrouver le "temps juste" et de l'utiliser pour ce qu'il est : un formidable levier de croissance. Rencontre.

Ne perdons pas de temps : Plus vite, la France malade de son temps est un essai à cent à l'heure qui dit tout haut, ce qui se dit par beaucoup, trop bas. Rome ne s'est pas faite en un jour, soit. Mais attendre systématiquement huit, dix, voire quinze ans, pour qu'un projet puisse sortir de terre ?

 

Seulement voilà. L'auteur est Guillaume Poitrinal. Il dirige Unibail-Rodamco, l'un des groupes les plus discrets du Cac 40, qui gagne - et investit - des milliards dans l'immobilier commercial et compte, entre autres, 71 centres commerciaux et 425.000 m2 de bureaux. Alors... L'homme est-il sincère dans sa dénonciation de la complexité administrative et de la lourdeur judiciaire hexagonales ? Certains, forcément, n'y voient qu'un Crésus jouant la victime pour servir ses propres intérêts... Ces critiques, Guillaume Poitrinal les balaie d'un revers de main : "Tout d'abord, si cela ne touchait que nous, je n'aurais jamais écrit ce livre, nous confie-t-il. Et ensuite, j'assume ma vision de grand témoin." Chez les boulangers, les exploitants de cinéma, les agriculteurs... la lenteur se répand dans tous les secteurs d'activité. Et il dénonce cette maladie du temps long "aveugle, aussi impitoyable avec la sphère privée qu'avec la sphère publique, aussi systématique avec les petits qu'avec les grands projets."

 

Avec le temps va, tout s'en va
Un centre commercial, un espace de congrès, une tour de bureaux ? "Il faut dorénavant compter en moyenne entre dix à quinze ans pour le livrer clés en main. Cela va respectivement deux, trois et cinq fois plus vite ailleurs en Europe, aux États-Unis et en Chine." Une étable ? "Un acte aussi simple (...) relève aujourd'hui du parcours du combattant (...)" et prend "deux fois plus" de temps qu'il y a vingt ans. À l'appui de son réquisitoire, il multiplie les exemples : dix-huit ans pour que le projet du centre commercial du Millénaire sorte de terre, quarante pour boucler l'A86, etc. Sans compter les projets abandonnés : l'île Seguin ou la Gare d'Auteuil cumulent ainsi respectivement vingt et vingt-sept ans de friches...

 

C'est bien là tout le paradoxe français : lois et règlements se multiplient à vitesse grand V, s'entrechoquent, se mêlent, se contredisent même parfois... et allongent d'autant le temps de l'action. Notre secteur est l'un des plus touchés. Le code de l'urbanisme comptait ainsi 1.138 pages en 1992, 3.031 en 2011. Sans oublier que, selon le rapport Doligé cité par l'auteur, les dispositions concernant la construction et le bâtiment sont réparties dans onze codes différents, pas moins !

La suite en page suivante : "Bientôt il nous faudra une camionnette pour transporter l'ADN administratif d'un projet"

Couverture du livre Guillaume Poitrinal
Couverture du livre Guillaume Poitrinal © Ed. Grasset
Verbatim

"Le temps juste, ce n'est ni la dictature du présent dans laquelle nous vivons, avec nos précipitations et nos gesticulations, ni le temps abandonné de nos procédures administratives et judiciaires. Le temps juste c'est de pouvoir construire un bel équipement collectif, modèle d'architecture et de développement durable, en quatre ans au lieu de quinze, dans une France apaisée où chacun pourrait préserver des moments de pause et de déconnexion."

 

 


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