Si la libre circulation des travailleurs en Europe peut être un atout pour les économies, elle a également entraîné de nombreuses dérives. Un rapport de députés rendu public ce mercredi dénonce sans équivoque "un outil redoutable de concurrence déloyale" notamment dans le BTP mais également l'émergence d'un "nouvel esclavage moderne". Détails.

Un "état des lieux inquiétant", une législation européenne "insuffisante et largement inefficace", "l'utilisation de plus en plus massive de travailleurs 'low cost'", le développement de l'"esclavage moderne et trafic d'êtres humains" : les mots du rapport examiné par la commission des affaires européennes de l'Assemblée, de plusieurs députés * sont durs et sans appel à l'encontre de la directive européenne de 1996 (96/71) qui encadre les échanges de main d'œuvre sur le Vieux continent.

 

Confirmant un rapport de la commission des affaires européennes du Sénat du mois d'avril, les trois rapporteurs tirent donc une nouvelle fois la sonnette d'alarme. "La directive relative au détachement des travailleurs ( directive 96/71/CE) était conçue à l'origine comme protectrice des marchés du travail des pays aux coûts de main-d'œuvre les plus élevés ; mais elle a depuis, notamment du fait de l'absence de dispositif de contrôle réellement efficace, été l'objet d'un « opportunisme social », et est devenue un outil redoutable de concurrence déloyale, notamment dans les secteurs de la construction, du BTP et de l'agro-alimentaire", constatent les trois députés. Le rapport donne d'ailleurs quelques exemples : "Dans l'Eure, les agents de contrôle signalent le recours de plus en plus fréquent à des sociétés de travail temporaires, domiciliées à la même adresse que des entreprises étrangères du secteur du BTP ou de la maintenance, et proposant à certaines entreprises du département des mises à disposition de salariés à un coût très inférieur". Autre exemple, autre département : "Les services de la Vienne constatent une augmentation du recours à des sociétés de travail temporaire étrangères dans le secteur du bâtiment, implantées surtout en Espagne et en Hongrie, avec l'intervention de salariés intérimaires issus des pays de l'Est, détachés via des entreprises établies en Bulgarie ou en Pologne, notamment pour la cueillette des melons".

 

Bientôt une liste noire d'entreprises ?
Si la commission européenne a présenté en mars 2012 une proposition d'amélioration de la directive de 1996, le rapport note qu'elle est "notoirement insuffisante". Pour enrayer le phénomène, les députés proposent plusieurs solutions. Tout d'abord, ils évoquent la création d'une agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe, ensuite ils développent l'idée d'une carte du travailleur européen à l'instar "de la carte vitale, et s'inspirant de la carte, facultative, qui existe déjà en France dans le bâtiment et qui sert au calcul des congés payés (…) cela permettrait une identification rapide de l'entreprise et du travailleur", précise le rapport. Pour lutter contre la fraude, on pourrait voir apparaître "une liste noire d'entreprises et de prestataires de services indélicats, sur le modèle des listes noires qui existent dans l'aviation civile". Autre piste de réflexion : l'amélioration de l'arsenal législatif et de contrôle national. On peut également souligner l'introduction de la notion de salaire minimum de référence :"Ce salaire minimum de référence, professionnel ou interprofessionnel, fixerait un seuil en deçà duquel il ne serait pas autorisé de rémunérer les salariés ; toute entreprise rémunérant ses salariés en-deçà de ce référentiel européen unique s'exposant à poursuites et sanctions judiciaires pour atteinte au principe de concurrence équitable", indiquent les rapporteurs. Les idées sont donc sur la table, reste à savoir si elles se concrétiseront…

 

* Gilles Savary (SRC, Socialiste, républicain et citoyen), Chantal Guittet (SRC) et Michel Piron (UDI, Union des démocrates et indépendants)

 

Découvrez en page 2 les sept propositions du rapport.

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