Le procès des sociétés Bouygues TP, Quille Construction, Welbond Armatures, Atlanco et Elco se poursuivra bien cette semaine au tribunal correctionnel de Cherbourg. L'affaire concerne la non déclaration de 163 ouvriers de la société Atlanco et 297 d'Elco sur le chantier du réacteur pressurisé européen (EPR) de Flamanville entre 2008 et 2011. Réactions de l'avocat de Bouygues Construction.

Deux mille procès-verbaux, 220 scellés… Après une affaire aux prud'hommes et un report en octobre dernier, le procès des sociétés Atlanco, Elco, Bouygues TP, Quille Construction et Welbond Armatures refait surface, ce mardi 10 mars, au tribunal correctionnel de Cherbourg (Manche). D'ailleurs, l'un des principaux prévenus, l'agence d'interim Atlanco, ne s'est pas présenté à la barre, malgré des démarches de la justice française dans son siège à Nicosie (Chypre) et en Irlande.

 

Entre 3 et 4 millions d'euros réclamés au titre des cotisations sociales non payées

Ces quatre entreprises sont jugées à partir de ce mardi à Cherbourg pour emploi illicite de salariés sur le chantier du réacteur nucléaire EPR de Flamanville dans la Manche. L'origine des faits ? La justice leur reproche de ne pas avoir déclaré, en France, 460 ouvriers polonais et roumains entre juin 2008 et 2011. Finalement, les entreprises mises en cause par la justice risquent jusqu'à 225.000 euros par salariés, soit un total de 103 millions d'euros mais l'Urssaf pourrait leur réclamer entre 3 et 4 millions d'euros au titre des cotisations sociales non payées. De son côté, Flavien Jorquera, l'avocat de la CGT, partie civile, estime que l'enquête porte sur une économie pour les prévenus de 3,6 millions d'euros de cotisations sociales non payées en France durant trois ans.

 

En clair, les ouvriers "auraient dû être déclarés en France. Ils ne l'étaient pas", avait résumé le procureur de la République de Cherbourg, Éric Bouillard, en juillet dernier lors de l'annonce des poursuites.

Prêt illicite de main d'oeuvre

Pour rappel : Bouygues, qui a en charge la partie génie civil du chantier de la future centrale pour EDF, sa filiale Quille et la société Welbond Armatures (coffrage d'armature pour le béton), sont poursuivies pour "recours aux services d'une entreprise pratiquant le travail dissimulé, prêt illicite de main-d'oeuvre et marchandage".

 

De leur côté, l'agence d'intérim internationale basée en Irlande, Atlanco, et la société roumaine de BTP Elco, sont poursuivies pour "travail dissimulé, dissimulation de salariés, prêt illicite de main-d'oeuvre et marchandage", concernant 163 ouvriers polonais pour Atlanco et 297 ouvriers roumains pour Elco. D'ailleurs, Atlanco a déjà été condamnée par les prud'hommes de Cherbourg pour le travail dissimulé d'une soixantaine d'ouvriers polonais du chantier de l'EPR.

 

La Directive européenne en question

 

Interrogé par Batiactu, l'avocat de Bouygues Construction, Me Pierre Cornut-Gentille, nous répond ce mardi 10 mars : "Nous contestons les infractions, mais nous réservons notre plaidoirie au tribunal de Cherbourg auquel nous apporterons le moment venu toutes les explications de nature à éclairer sa décision. Et nous démontrerons à l'audience qui devrait durer jusqu'à vendredi que la société Bouygues n'a enfreint à aucun moment la loi pénale. Le vrai débat technique concerne les applications de la Directive européenne..."

 

Au cœur du procès, en effet, la question du respect ou non de la Directive européenne datant de 1996 sera longuement discutée. Cette dernière autorise une entreprise à détacher des salariés dans un autre pays de l'Union européenne à certaines conditions : des missions de travail limitées dans le temps, un salaire minimal et des durées de travail conformes à la législation du pays d'origine, des cotisations sociales dues au pays d'origine.

Esclavage moderne

Par ailleurs, deux pièces ont été fournies par le Parquet ce mardi dont un courrier du ministère des affaires sociales chypriote qui remonte à août 2014. "On nous prive délibérément de répondre à ces documents, conteste le représentant du groupe Bouygues. C'est inéquitable."

 

 

Il y a quelques mois, Pervenche Berès, présidente de la délégation socialiste française au Parlement européen, avait estimé dans nos colonnes que "ce renvoi de Bouygues et des sociétés Atlanco et Elco devant le tribunal correctionnel pour travail dissimulé n'est que justice. J'ai conduit, le 1er juillet 2011, une délégation d'eurodéputés sur le chantier de l'EPR de Flamanville afin d'enquêter sur les conditions de travail des salariés détachés. Sur place, nous avions quasiment trouvé un exemple d'esclavage moderne, véritable laboratoire européen du travail illégal."

Un second procès condamnant Bouygues et son sous-traitant Tissot

Enfin, le chantier du futur réacteur nucléaire a déjà été entaché par diverses irrégularités et des accidents de travail dont un mortel. Justement, la cour d'appel de Caen doit se prononcer le 18 mars prochain sur la condamnation de Bouygues et de l'un de ses sous-traitants, Tissot, pour la mort accidentelle d'un ouvrier sur le chantier en 2011. La mise en service du réacteur EPR de Flamanville est annoncée pour 2017 avec un retard d'au moins cinq ans.

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