FISCALITÉ. A deux semaines de la mise en place de le première tranche de la mesure, la suppression progressive du gazole non-routier pour le BTP a finalement été repoussée d'un an, a-t-on appris le 18 juin 2020. Les artisans des travaux publics, qui ont négocié jusqu'au dernier moment, s'en félicitent, même si certains sujets restent en question.

Le 1er juillet 2020, les entreprises de BTP auraient dû assumer une augmentation du carburant qu'elles utilisent pour leurs engins de chantier. Une première tranche qui devait être suivie de deux autres, jusqu'à une suppression totale du gazole non-routier (GNR) au 1er janvier 2022.

 

Finalement, et alors que le ministre de l'Economie Bruno Le Maire s'y refusait encore il y a peu, la mesure sera reportée. Non pas de six mois, comme cela était évoqué pendant un moment, mais d'un an. Elle s'appliquera donc à partir du 1er juillet 2021. Et au lieu d'être étalée en trois tranches (0,18€ au 1er juillet 2020, 0,12€ au 1er janvier 2021, 0,09€ au 1er janvier 2022), l'augmentation de 0,39€ se fera en une seule fois.

 

Multiples péripéties


Un nouvel épisode dans cette saga qui a commencé en 2018, et a connu plusieurs péripéties. Prévu initialement pour entrer en vigueur au 1er janvier 2019, la mesure a été repoussée une première fois dans le contexte de manifestation des Gilets jaunes. Voulue ensuite pour le 1er janvier 2020, elle devait finalement entrer en vigueur le 1er juillet, et être étalée en trois tranches.

 

L'un des épisodes les plus récents est intervenu lors de l'examen du deuxième projet de loi de finances rectificative, en avril. Les sénateurs avaient voté le décalage de six mois de la mesure, contre l'avis du gouvernement. Mais cette proposition n'avait pas survécu à la commission mixte paritaire. Les entreprises se préparaient donc à encaisser une première augmentation.

 

 

Deux raisons pour justifier le report

 

Mais en coulisses, la Chambre nationale des artisans des travaux publics et du paysage (CNATP) notamment n'a pas lâché l'affaire, tenant encore deux réunions avec le gouvernement ces 12 et 18 juin, qui ont permis d'aboutir à ce report. Il trouvera une traduction législative dans le 3e projet de loi de finances rectificative, actuellement en débat au Parlement.

 

"Depuis la mi-avril, nous sommes intervenus auprès du gouvernement pour reporter la mesure pour deux raisons, explique David Lemaire, secrétaire général de la CNATP, que Batiactu a pu joindre. La première est économique : nos entreprises sont fragilisées par la crise sanitaire et ne peuvent pas supporter une taxe supplémentaire."

 

La seconde est "législative" : dans le projet de loi de finances pour 2020, et suite à la mobilisation des artisans et au blocage de plusieurs raffineries fin 2019, notamment en Bretagne, un amendement important pour la profession avait été adopté. "Il était prévu que la hausse de la fiscalité intervienne sous réserve que nous parvenions à résoudre quelques problèmes", rappelle David Lemaire.

 

Une liste de matériels à établir


Une liste d'engins "d'origine TP" et pour lesquels la fiscalité avantageuse ne s'appliquerait plus devait être établie, en concertation avec le monde agricole. Ce qui aurait permis d'éviter une "concurrence déloyale" avec les entreprises agricoles réalisant des chantiers de travaux publics. Entreprises agricoles pour qui la hausse de la fiscalité ne s'appliquera pas, "alors même qu'elles peuvent déjà récupérer 0,15€ de TICPE sur un litre de GNR à 0,75€", détaille le secrétaire général de la CNATP. Or, jusque-là, la liste n'était toujours pas établie, les négociations avec le monde agricole n'étant pas si simples. "Les pelleteuses, les tractopelles, les mini-pelles, les chargeuses… Tous doivent être dans la liste, mais l'opposition est forte", reconnaît Norbert Guillou, président de la CNATP 56 contacté par Batiactu, qui participe depuis de longs mois aux discussions sur le sujet.

 

"Nous ne sommes pas opposés à ce que les entreprises agricoles viennent sur des chantiers de TP, mais tout le monde doit respecter les mêmes règles", répète David Lemaire. Car si elles paient leur carburant beaucoup moins cher, les prix des marchés risquent d'être tirés vers le bas, et les entreprises de TP ne pourront pas suivre.

 

Une bonne nouvelle saluée par les fédérations nationales

 

La suppression du GNR coûtera environ 1 milliard d'euros au BTP, dont 700 millions d'euros en coûts directs et indirects aux seuls travaux publics. Tout juste réélu à la tête de la FNTP, Bruno Cavagné a estimé dans une interview accordée à Batiactu que ce report d'un an était "une très bonne nouvelle pour nos entreprises, qui connaissent des difficultés de trésorerie et doivent déjà gérer les surcoûts liés à l'épidémie de covid-19".

 

La FFB salue également "la proposition du gouvernement de reporter d'un an la fin de l'avantage fiscal sur le GNR", indique-t-elle sur son compte Twitter. Mais ajoute que "d'autres mesures urgentes dans le PLFR3 sont cruciales pour éviter un scénario noir dès septembre : annulation des charges, TVA à 5,5, soutien à la rénovation énergétique". D'autres batailles toujours en cours.

 

Une teinte particulière à mettre en place

 

Pour faciliter les contrôles, mais aussi pour réduire le risque de vol, l'amendement adopté prévoit également de mettre en place une teinte spécifique pour le carburant utilisé pour les engins de BTP. "C'est un impératif", insiste Norbert Guillou. Si le rouge ne serait plus utilisé que par le monde agricole, "nous ne sommes pas favorables à mettre du blanc dans nos engins, confirme David Lemaire, car sinon, nous serons des stations-services à ciel ouvert. Nos petites entreprises ne peuvent pas mettre un maître-chien derrière chaque pelle".

 

Les artisans des TP émettent des doutes quant au fait de colorer eux-mêmes leur carburant. "D'une part car lorsque nous serons livrés d'un gazole blanc, ce sera presque déjà une incitation au vol. D'autre part car colorer un carburant n'est pas si simple, il faut faire le bon dosage pour éviter une casse moteur", indique David Lemaire. Aussi trouverait-il préférable qu'un carburant déjà coloré, peut-être par le distributeur, soit livré aux entreprises. Une autre négociation à mener donc.

 

Du temps pour "respecter la loi"

 

Les conditions n'étaient donc pas remplies pour le 1er juillet 2020. Le report d'une année laisse donc du temps pour se préparer, "et tout simplement respecter la loi", estime Norbert Guillou. "Mais un an, cela passe vite", prévient David Lemaire. D'autant qu'il va falloir "expliquer aux clients que la marche sera plus haute que prévue, que la hausse ne sera plus progressive".

 

Dès le mois de juillet, la CNATP compte bien sur l'organisation de nouvelles réunions. L'objectif est de trouver des solutions aux questions encore en suspens avant la fin de l'année. "Nous avons gagné une bataille, pas encore la guerre", conclut Norbert Guillou. Et il prévient : "si nous n'obtenons pas ce qui était prévu, nous continuerons à nous battre, comme nous le faisons depuis 2018".

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