LOGEMENT SOCIAL. Un rapport très attendu de l'Inspection générale des finances et du Conseil général de l'environnement et du développement durable dresse des pistes de réflexion pour faire entrer des investisseurs privés dans le financement du logement social, malgré les risques qu'ils pourraient représenter pour l'équilibre du modèle.

Ses conclusions étaient aussi attendues que redoutées. Le rapport sur la diversification des sources de financement du logement social a été rendu public le 21 novembre 2019, après avoir été révélé la veille par Le Figaro. Missionnés en début d'année par Bercy et le ministère de la Cohésion des territoires, l'IGF et le CGEDD ont dressé la liste des scénarios envisageables pour trouver de nouvelles sources de financement pour le logement social. A lire les inconvénients de chacun d'entre eux, le rapport laisse à penser que le modèle économique du logement social aurait intérêt à rester tel qu'il est.

 

Alors que le spectre de la "financiarisation" du logement social avait plané sur le Congrés HLM de septembre dernier, le ministre du Logement Julien Denormandie a pris quelques distance, ce jeudi, par rapport aux conclusions du rapport. Le ministre s'est fendu d'un tweet dans lequel il assure que "le Gouvernement n'a qu'une boussole, consolider le modèle français du logement social pour produire des logements abordables. Nous ne modifierons pas les règles qui préservent le capital des HLM. Je m'y suis toujours opposé".

 

Consolider un modèle en perte de vitesse est pourtant la problématique à laquelle le rapport tente de répondre. Face à une hausse des coûts de construction, à la baisse des subventions publiques au secteur et à la réduction du loyer de solidarité, "l'équilibre financier des nouvelles opérations s'avère (...) plus difficile à trouver, y compris dans la longue durée", commencent les auteurs du rapport.

 

Un intérêt "passager"

 

Les objectifs de construction et de rénovation fixés par l'accord d'avril entre l'Etat et les bailleurs sociaux ne feraient qu'empirer ce constat, rendant inéluctable l'ouverture à de nouveaux investisseurs... privés. Le rapport n'est pourtant pas naïf sur la difficile compatibilité entre la lucrativité limitée du secteur du logement social avec la rentabilité attendue par les investisseurs privés. Il concède un intérêt "tangible" mais qui ne pourrait être "que passager".

 

Insistant sur la nécessité d'installer des "garde-fous", l'IGF et le CGEDD énumèrent les possibilités d'ouvrir le secteur du logement social à des capitaux privés, des solutions existantes à celle qui impliquerait un véritable big bang, dans lequel les bailleurs sociaux laisseraient probablement des plumes.

 

Parmi les pistes existant déjà dans la loi, la vente en bloc de logements sociaux de plus de 15 ans qui ne concerne que ceux en PLS, pourrait être élargie aux logements PLUS. Les collectivités territoriales pourraient également acquérir les titres participatifs émis par les Offices publics de l'habitat, qui, conformément à leur statut, ne disposent pas d'un capital social.

 

Un véhicule d'investissement soumis à des taxes

 

Quatre autre scénarios sont présentés dans le rapport, mais supposent des "modifications plus conséquentes" et leur conformité avec le droit européen, via le service d'intérêt économique général (Sieg). Chacun présente des inconvénients plus ou moins conséquents, et qui devront être corrigés en amont par le biais législatif ou fiscal.

 

La première piste consisterait à créer "un véhicule d'investissement" alimenté par une partie du parc social à valoriser, dans lequel des acteurs privés investiraient en échange d'une rémunération en numéraire versée au bailleur social. Une fois sortis du conventionnement social, ces logements seraient alors cessibles. Le statut de ce véhicule pose toutefois question, et pourrait être soumis aux règles de la commande publique, selon lesquelles le détenteur du parc social n'est pas nécessairement son gestionnaire. Le rapport préconise donc d'étudier la possibilité d'exonération de la commande publique ou de compensations financières au bailleur écarté de la gestion locative.

 

Les bailleurs sociaux pourraient également être séparés en deux statuts, avec la création d'une "foncière d'habitat social". Cette structure ne se limiterait plus à la gestion d'un parc social, mais d'une diversité de logements, sociaux, intermédiaires et libres. L'évaluation de son patrimoine se ferait cependant sur des valeurs de marché, avec des dividendes rehaussés. Pour tenter de pallier un éventuelle enrichissement sur la base d'un parc partiellement social, "la société initiale s'acquitterait du paiement d'une taxe de sortie sur les plus-values latentes de logements détenus". Malgré un encadrement fiscal, ce double modèle continuerait d'entretenir deux poids deux mesures, avec des risques sur l'entretien du parc.

 

Big bang du secteur

 

En troisième option, le rapport propose de s'appuyer sur le modèle ouvert des Entreprises sociales de l'habitat (ESH) et Sociétés d'économie mixte (Sem) pour les libéraliser davantage. Révision à la hausse du plafond de dividendes, augmentations du capital, rachats d'actions...Le modèle serait plus flexible mais risquerait là aussi de créer des inégalités entre les structures d'une même famille, au gré des arrivées de nouveaux investisseurs. Là encore, l'IGF et le CGEDD demandent l'installation d'une barrière fiscale, pour éviter "tout enrichissement indu".

 

Le dernier scénario est probablement celui qui fera le plus grincer des dents du côté des bailleurs sociaux, réunis au sein de l'Union sociale pour l'habitat (USH). Puisqu'il préconise finalement sa disparition en tant qu'entité, en faisant primer la logique de résultats sur la logique de moyens. Dans ce cas de figure, le logement social pourrait être construit et géré par n'importe quel acteur, qu'il soit bailleur privé ou social, ou même particulier, du moment qu'il respecte "un cahier des charges".

 

Dans ce "mandat de gestion locative sociale", le rapport ne précise pas comment le contrôle du respect de ces objectifs s'exercerait, par quelle instance, ni les possibilités de prescriptions par l'Etat ou les collectivités en fonction des besoins. "Pour les bailleurs sociaux existants, la transition nécessaire serait sans doute difficile", assument les auteurs. Difficile, la lecture de cette proposition l'est peut-être aussi pour les acteurs du logement social.

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