La réforme-choc des marchés publics, préparée par le gouvernement français pour juillet, a déclenché de telles critiques quant aux risques de corruption ou de renforcement des majors du BTP, que Bercy (ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie), a posé des garde-fous.

Cette réforme, annoncée en mai, autorisera l'Etat et les collectivités locales à passer la plupart de leurs contrats sans se plier à la procédure d'appel d'offre. Un décret relèvera en effet de 90.000 euros actuellement à 6,2 millions d'euros le montant des marchés soumis à ces formalités.
Pour 90% des marchés existants, les modalités d'attribution seront donc au choix du décideur (maire, Etat, directeur d'hôpital...). Ce qui a déclenché de virulentes critiques du PS et de magistrats, qui voient un boulevard ouvert à la corruption.

L'ex-garde des Sceaux (socialiste) Elisabeth Guigou a lancé devant les députés que la réforme risquait d'entraîner une amnistie des délits de favoritisme dans les procédures en cours sur les marchés des lycées d'Ile-de-France ou des HLM de Paris.Bercy a catégoriquement démenti cette possibilité vendredi, indiquant que "le décret ne s'appliquera qu'aux procédures nées après son application et pas à celles en cours". De source judicaire, on confirmait que le nouveau texte ne devrait pas s'appliquer aux affaires en cours d'instruction.

Mais la principale critique porte sur la corruption, ou simplement les soupçons que la réforme peut générer. Le trésorier du PS, Michel Sapin, a déclaré au Monde que la réforme "va réinstaller l'ère du soupçon sur le monde politique comme sur les entreprises" et ouvrir "la brèche de la corruption personnelle, au sens le plus sordide du terme", même s'il ne voit plus de risque de financement occulte des partis.
Encore plus méfiants, des magistrats spécialisés dans les affaires financières ont dénoncé un "aveuglement idéologique", d'autres un début de démantèlement de l'appareil répressif anti-corruption.

Pour le gouvernement, c'est un procès d'intention. "Il n'y a pas lieu de soupçonner la majorité des gens: ce n'est pas en multipliant les formalités a priori, qui gênent les 95% de gens honnêtes, qu'on lutte contre l'action des 5% malhonnêtes. Mieux vaut des contrôles a posteriori", plaide Bercy.
Quant aux risques sur les futures procédures, le ministère de l'Economie soutient que les affaires ne sont pas détectées par des erreurs de formalités, mais par des enquêtes ou des dénonciations.
Il n'évoque d'ailleurs aucune modification du Code pénal sur le délit de favoritisme, qui continuera à s'appliquer à tous les marchés.

Pourtant, face aux critiques, Bercy a annoncé vendredi quelques garde-fous. D'abord, les acheteurs (collectivités, Etat...) devront publier régulièrement la liste des marchés et les entreprises attributaires, pour "détecter les problèmes". Pour les collectivités locales, Bercy maintiendra à son niveau actuel (les marchés de plus de 90.000 euros) le contrôle exercé a posteriori par les préfets. Enfin les Commissions spécialisées des marchés, qui surveillent les marchés de l'Etat, verront leurs moyens renforcés.

En revanche et en dépit des critiques, le texte stipulera bien que les inspecteurs des fraudes n'assisteront plus obligatoirement aux commissions d'appels d'offre: les décideurs publics seront libres de les inviter ou non.

Autre point inchangé, il sera possible de passer un seul marché pour la construction et l'entretien d'un ouvrage, alors qu'il fallait jusqu'ici deux appels d'offres séparés, même si la même entreprise pouvait être choisie.
Dénoncée par des architectes, des PME et des élus de gauche et du centre comme un avantage offert aux cinq majors du BTP, cette décision est pour le gouvernement une simplification "rationnelle".

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