RÉACTIONS. Les arbitrages sur la nouvelle Réglementation environnementale présentés ce 24 novembre 2020 par le Gouvernement sont loin de faire l'unanimité : si les industriels des matériaux de la construction dénoncent le mode de calcul de l'empreinte carbone et la prédominance du bois, le Syndicat des énergies renouvelables salue pour sa part "les orientations ambitieuses" du texte.

Les avis sont décidément très partagés. Le Gouvernement, qui a présenté ce 24 novembre 2020 ses arbitrages sur la Réglementation environnementale 2020, continue à essuyer des critiques, ou au contraire à recevoir des satisfecit, selon l'interlocuteur. La gronde s'illustre notamment chez les industriels de la construction : dans un communiqué commun, la Filière béton, le Syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées (Filmm), le Syndicat de la construction métallique de France (SCMF) et la Fédération française des tuiles et briques (FFTB, filière terre cuite) dénoncent des "incohérences" sur le nouveau mode de calcul de l'empreinte carbone - dénommée "Analyse du cycle de vie (ACV) dynamique simplifiée" - et sur le prédominance du bois dans les solutions constructives. "Les professionnels du secteur marquent leur opposition suite aux annonces du ministère de la Transition écologique qui, en cherchant à favoriser les matériaux bio-sourcés, s'affranchit de la rigueur scientifique, crée un risque environnemental inconsidéré et rend inutile toute réflexion sur la manière de construire 'intelligemment' les bâtiments de demain", peut-on ainsi lire.

 

 

Des choix "contre-productifs" et dangereux pour la santé économique des industries de la construction

 

La filière juge les choix de l'exécutif "contre-productifs" et dangereux pour sa santé économique, et donc par extension pour ses quelque 100.000 emplois. Arguant que ses entreprises investissent "massivement et régulièrement" pour décarboner leurs processus de production et assurer la transition écologique du secteur, elle considère la méthode de calcul de l'ACV dynamique simplifiée "d'autant plus surprenante" qu'une autre méthode, celle de l'ACV dite classique, est "normée et utilisée par tous les pays européens de façon homogène". Et de citer l'exemple suivant : "La nouvelle méthode de calcul fait disparaître, pour un bâtiment classique, de l'ordre de 100 kg de CO2 par m² (sur une empreinte moyenne de l'ordre de 700/750 kg de CO2 par m²), soit plus de 5 millions de tonnes de CO2 par an, sans même modifier le mode de construction... alors que l'empreinte carbone d'un mètre cube de CLT (bois lamellé croisé) sera diminuée de -350% en passant de +100 kg de CO2 à -250 kg de CO2 : un artifice qui aurait tous les atours d'une opération de greenwashing", tacle le communiqué commun aux trois organisations d'industriels. Lesquelles redoutent d'ailleurs que les acteurs de la construction ne se retrouvent "isolés", et même "décrédibilisés".

 

L'association Coénove se dit "surprise" par la "brutalité" des annonces

 

Coénove, association réunissant de nombreux acteurs de la filière gaz, se dit "surprise" par la "brutalité" des annonces sur la RE2020, par la voix de son président, Bernard Aulagne, contacté par Batiactu. "Le Gouvernement choisit d'exclure des filières, c'est le régime du 'tout ou rien', qui ne donne pas vraiment envie aux professionnels concernés de faire des efforts pour s'adapter", avance-t-il. En ce qui concerne le gaz, Coénove regrette la "non-reconnaissance" de l'évolution du gaz naturel vers le gaz vert. "Le dossier Méthaneuf est pourtant sur le bureau de l'administration depuis plus d'un an, nous attendons que soient lancées des pistes de travail constructives. C'est quelque chose qui serait proche de pouvoir se concrétiser, si tout du moins l'on prenait le temps de se mettre autour de la table."

 

La ministre Barbara Pompili a estimé, ce 24 novembre, que la priorité du gaz vert dans le bâtiment était de remplacer le gaz naturel dans le parc existant. D'où son exclusion du neuf. Une analyse qui ne convainc pas Bernard Aulagne. "Si l'on n'installe plus du tout de gaz dans les bâtiments, il sera difficile d'y revenir ensuite, même avec du biogaz", pressent-il. La filière assure toutefois qu'elle restera "dans la position de continuer à innover", tout en restant "vigilante sur l'émergence du label RE2020" et la question de la pointe électrique. "C'est étonnant que l'on pousse à l'électrification au moment même où RTE nous informe que le réseau pourrait par moment ne pas tenir le coup cet hiver."

 

Pour les professionnels du béton, de l'acier et des isolants, la RE2020 dans son état actuel engendrerait une sur-consommation de matériaux bio-sourcés, et notamment de bois, au lieu de se pencher plus largement sur la conception des bâtiments et de privilégier un mix des produits de construction. Considérant que l'ACV dynamique simplifiée pénalisera les matériaux émettant au début de leur vie même s'ils sont en mesure de réduire par la suite les émissions, le secteur affirme que cette nouvelle approche "transfère ainsi la responsabilité de la bonne gestion des émissions des produits et matériaux des bâtiments construits aujourd'hui aux prochaines générations, ce qui est éthiquement contestable et opposé aux principes du développement durable". Les industriels s'interrogent en outre sur la faible valorisation, dans l'ACV dynamique simplifiée, du recyclage des matériaux en fin de vie, à rebours de la loi Économie circulaire. Les professionnels des matériaux de construction demandent donc une nécessaire phase de concertation et de transition, afin de "se prémunir d'une vague d'importations et des inévitables émissions de gaz à effet de serre liées".

 

L'Association des industries de produits de construction (AIMCC) a également réagi par communiqué de presse, craignant à ce que les constructeurs (et maîtres d'ouvrage) se voient imposer le recours à "certains matériaux et modes constructifs", tout en faisant courir à la filière un triple risque : "économique (renchérir le coût de la construction), industriel (déstabiliser les acteurs économiques français) et environnemental (ne pas atteindre les objectifs)".

 

Déception sur "la prise en compte limitée" de l'électricité d'origine solaire produite sur les bâtiments neufs

 

Le son de cloche est tout autre au sein du Syndicat des énergies renouvelables (SER) : l'organisation se félicite de l'accélération du déploiement des ENR par le biais de la RE2020. Pour les entreprises de la filière, le texte, bien qu'il ne soit pas encore finalisé, devrait permettre de massifier le recours aux renouvelables dans les logements neufs, et particulièrement dans la maison individuelle, pour laquelle les solutions techniques sont nombreuses. Il faudra toutefois attendre 2024 pour que les mêmes dispositions s'appliquent aux les logements collectifs. Mais pour le SER, "les orientations ambitieuses de la future RE2020, socle de la neutralité carbone dans le secteur du bâtiment neuf", ne dispensent cependant pas d'une vigilance particulière sur les "derniers arbitrages techniques".

 

Dans la mesure où les activités des filières bois-construction et bois-énergie sont "intimement liées et éminemment complémentaires", c'est sans grande surprise que l'organisation salue également le recours massif au matériau sylvestre dans la version actuelle du texte. Une déception néanmoins : les professionnels des énergies renouvelables regrettent "la prise en compte limitée" de l'électricité d'origine solaire produite sur les bâtiments neufs, une décision qui, selon eux, ralentira le développement des réseaux intelligents.

 

 

Enfin, Équilibre des énergies (Eden) salue une réglementation qui vient après "des décennies de réglementations biaisées par le concept d'économies d'énergie". L'association se dit "convaincue que la RE2020 permettra de revenir dans le logement à un équilibre entre les énergies décarbonées, loin du modèle caricatural du 'tout convecteur électrique' dénoncé par ceux qui aimeraient continuer à construire des logements chauffés aux énergies fossiles".

 

Promoteurs et CMistes sont aussi inquiets d'un surcoût dès 2021

 

Un "pari risqué" : c'est ainsi que la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) interprète les annonces gouvernementales sur la RE2020. Pour les professionnels de ce secteur, les ambitions du dispositif sont visiblement mal proportionnées ; le "ressaut de performance de 30% sur le Bbio" exclurait ainsi "entre un tiers et la moitié de la production actuelle". Par ailleurs, la RE2020 telle qu'envisagée à ce jour ne collerait pas assez à la réalité du terrain : solutions techniques "mal connues", surcoûts "mal évalués" et filières nationales des biosourcés "embryonnaires".

 

La Fédération française des constructeurs de maisons (FFC) se montre plus offensive encore, estimant que le Gouvernement "marche sur la tête". Tout comme le Pôle habitat de la FFB, l'organisation professionnelle chiffre un surcoût de 10-15% dès l'été 2021 pour l'habitat individuel. "Le gouvernement chercherait-il à rendre un produit accessible en un produit de luxe que seuls nos concitoyens les plus aisés pourront acquérir ?", se demandent les CMistes. L'organisation professionnelle demande ainsi un report de l'application des mesures au plus tôt à 2022 et une progressivité de la hausse de l'exigence en matière de Bbio.

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