Les Allemands ou les Britanniques qui ont acheté des propriétés dans la partie turque de l'île ne savent pas quel sera l'avenir de leur bien en cas d'éventuelle réunification.

En 1974, la plupart des Chypriotes grecs qui peuplaient le village de Karmi ont fui devant l'avancée des troupes turques qui ont envahi le tiers nord de l'île en réponse à un coup d'Etat d'ultranationalistes chypriotes-grecs qui souhaitaient réunir l'île à la Grèce.
Cinq ans plus tard, les autorités du territoire occupé par la Turquie ont commencé à céder à bas prix des propriétés abandonnées à des étrangers, principalement des Allemands et des Britanniques, afin d'attirer des investissements et d'encourager le tourisme.

Pour des taux aussi bas que 220 livres chypriotes (330 dollars) par an, des dizaines d'expatriés ont bénéficié d'une résidence dans ce village et dans d'autres, rénovant leur nouvelle propriété selon des critères architecturaux stricts et contribuant à aider l'économie chypriote-turque, asphyxiée par un embargo international et presque totalement dépendante de la Turquie.
Mais le référendum prévu samedi sur un plan de réunification de l'ONU fait naître des craintes chez les propriétaires étrangers. Les expatriés redoutent notamment d'être expulsés par des Chypriotes grecs désireux de retrouver leurs foyers d'origine.

Ginny Nye a vendu son magasin de journaux situé dans le sud de Londres il y a deux ans pour prendre la direction du pub Crow Nest à Karmi. Contrairement à la majorité des propriétaires étrangers sur l'île, elle et son compagnon n'ont pas conservé de bien immobilier en Grande-Bretagne.
"Si les choses tournent mal, nous aurons dépensé au cours des deux dernières années tout ce que nous avions gagné depuis nos 16 ans", dit-elle.

Hanns Peter Bild est plus pragmatique. Cet homme d'affaires allemand à la retraite a lui-même quitté sa maison devant l'avancée des forces soviétiques contre l'Allemagne nazie à la fin de la seconde guerre mondiale.
"Nous l'avons perdu parce qu'Hitler était un fou", dit-il. "Ici, ils (les Chypriotes grecs ont perdu (leurs propriétés dans le nord) parce qu'ils ont tué des turcs", ajoute-il en référence aux massacres anti-turcs commis dans les années 1960 sur l'île.
Même s'il compte sur les Chypriotes grecs pour rejeter le plan de l'ONU le 24 avril, qui verrait ainsi le triomphe du statu-quo sur l'île divisée, il dit ne pas redouter de devoir quitter le village.
"Nous avons été très heureux pendant 22 ans", explique-t-il. "Nous avons une très agréable maison en Allemagne".

Mais ni lui ni sa femme Erika, âgée de 67 ans, n'ont compris l'attitude des Chypriotes grecs qui sont venus à Karmi voir leurs anciennes maisons il y a un an lorsque les autorités chypriotes-turques ont réouvert les points de passage entre le nord et le sud.
"Ils étaient une dizaine, marchant dans notre jardin, cueillant des fleurs, tout cela sans demander. Ils allaient partout", assure Erika. "Lorsque nous sommes arrivés il n'y avait pas de toit, pas de plancher, pas de fenêtres. Nous avons construit tout cela. Une dame nous a dit que c'était sa maison et qu'elle n'avait pas à nous demander quoi que ce soit".

Les Chypriotes grecs considèrent que ceux qui ont acheté des biens dans des conditions aussi douteuses n'ont pas à se plaindre s'ils les perdent un jour.
"Ces gens savaient très bien qu'ils achetaient des propriétés à des taux très bas car elles étaient contestées. Aujourd'hui les propriétaires d'origine reviennent demander des comptes", se félicitent l'avocat et défenseur des droits de l'Homme Achilleas Demetriades.

actionclactionfp