CONJONCTURE. Les très petites entreprises ont demandé - et obtenu - durant l'été 2022 autant de crédits qu'avant la crise du Covid, selon la Banque de France et la Fédération des centres de gestion agréés. Si leur trésorerie reste globalement saine, un grand nombre d'interrogations subsistent toutefois pour l'année prochaine, à commencer par l'explosion des prix des matières premières et des énergies.

La trésorerie des très petites entreprises sera restée solide durant l'année 2022. L'enquête trimestrielle réalisée conjointement par la Banque de France et la Fédération des centres de gestion agréés (FCGA) indique que leur demande de crédits se stabilise sur la période de juillet à septembre, et renoue ainsi avec son niveau d'avant-Covid : 4% d'entre elles ont sollicité un prêt, après 5% au 2e trimestre 2022. Pour rappel, cette demande avait grimpé jusqu'à 28% au 2e trimestre 2020, lors du premier confinement sanitaire.

 

 

S'agissant des crédits d'investissement, les sollicitations des TPE baissent légèrement et demeurent un peu en retrait de leur niveau d'avant-crise : 6% d'entre elles ont déposé une demande au 3e trimestre 2022, contre 11% au 4e trimestre 2019. Des demandes qui reçoivent dans leur écrasante majorité une réponse positive de la part des établissements bancaires : 91% des prêts visant à financer des investissements immobiliers ou l'achat d'équipements sont octroyés en grande partie, voire en totalité.

 

Les crédits de trésorerie affichent cependant un taux d'obtention qui s'étiole au fil du temps : 73% des TPE ayant réalisé une demande entre juillet et septembre se sont vu accorder plus des trois-quarts du montant souhaité, après 79% au 2e trimestre et jusqu'à 80% au 1er trimestre. Ce qui reste malgré tout supérieur au niveau de la fin 2019. "Il est clair qu'après le soutien massif de l'État aux entreprises, la demande en trésorerie des TPE s'est stabilisée", analyse Marie-Laure Barut-Etherington, directrice générale adjointe des statistiques et des études internationales à la Banque de France.

 

"Les conditions d'octroi se sont clairement durcies mais cela n'a pas l'air de peser pour l'instant sur la capacité des TPE à se financer. À ce stade, il n'y a donc pas de problème de financement des TPE, comme pour les autres entreprises d'ailleurs. On assiste finalement à une normalisation de la situation financière des entreprises par rapport à ce que l'on a pu connaître ces deux dernières années", poursuit-elle.

 

Le bâtiment parmi les secteurs les moins subventionnés

 

Le secteur du bâtiment a vu son activité reculer de 2,1% au 2e trimestre 2022 par rapport au 3e trimestre 2021, quelques corps d'état réussissant à relever très légèrement leur activité (électricité +0,5%, plâtrerie-staff-décoration +0,3%). Au 3e trimestre 2022, tous corps d'état confondus, le chiffre d'affaires global a baissé de 0,9% en comparaison à la même période un an plus tôt.

 

De plus, il fait partie des deux secteurs (avec la beauté) dont les investissements ne repartent pas, et dont l'endettement ne diminue pas. En 2021, son chiffre d'affaires avait pourtant bondi de 11,3% et son résultat courant avait progressé de 4,3%.

 

Tous secteurs, les PME (petites et moyennes entreprises) ont stabilisé leur trésorerie moyenne à des niveaux plus élevés qu'avant le Covid. La part de celles ayant une trésorerie faible est même passée de 25% à 20%, celles ayant une bonne trésorerie de 25% à 35%. Dans le bâtiment, les subventions se sont élevées en moyenne à 2.000 € en 2020 et 3.000 € en 2021. À titre de comparaison, l'hôtellerie-restauration a touché 11.000 € en 2020 et et 39.000 € en 2021.

 

Retour à la normale

 

La Banque de France rappelle d'ailleurs au passage que les entreprises peuvent consulter ses "correspondants TPE-PME" présents dans tout le pays, lesquels peuvent à leur tour les orienter vers une quarantaine de partenaires publics comme privés susceptibles des les accompagner dans leurs démarches. Les dirigeants rencontrant des difficultés de financement peuvent aussi se tourner vers la Médiation du crédit, tandis que le site Internet de l'institution monétaire apporte des réponses à leurs questions sur les différentes étapes de la vie d'une entreprise.

 

Pas d'inquiétude donc pour l'instant, mais "la crise des matières premières et de l'énergie aura nécessairement un impact sur les entreprises, quelles qu'elles soient, et notamment les TPE", prévient néanmoins Marie-Laure Barut-Etherington. Un impact qui semble pour l'heure relativement limité, mais des différences sectorielles s'observent déjà, ce qui prouve bien que toutes les entreprises ne sont pas exposées de la même manière.

 

 

Un autre enjeu est de savoir si les remboursements de PGE (prêts garantis par l'État) et de cotisations Urssaf (Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale) pèseront sur les trésoreries, le financement et in fine les octrois de crédits. "La part des crédits de trésorerie reste élevée. Mais cela reste des statistiques et bien sûr il peut y avoir des spécificités", souligne la directrice générale adjointe.

 

Progression du résultat courant

 

"Il faut rester extrêmement prudent sur les trésoreries", confirme Yves Marmont, président de la FCGA. "Avant la crise, beaucoup d'entreprises avaient une trésorerie bonne et saine, mais le Covid est passé par là, et il y a maintenant en effet les PGE et cotisations Urssaf à rembourser, ce qui crée un décalage dangereux. D'autant que la guerre en Ukraine commence à tendre la situation." Ceci dit, beaucoup d'entreprises ont souscrit un PGE sans en avoir véritablement besoin, et s'en sont servi comme matelas de sécurité - 64% des PME n'ont d'ailleurs pas demandé de PGE.

 

Avec le recul, et comme c'était malheureusement à prévoir, il s'avère en outre que les aides Covid ont certes représenté un soutien conséquent à l'activité des entreprises, mais qu'elles ont du même coup aussi créé un effet d'aubaine, dont certains ont abusé. L'État a-t-il été trop généreux ? Pour Yves Marmont, "il aurait fallu davantage cadrer le dispositif de soutien et réajuster les montants et les périmètres des aides".

 

Avec ou sans les aides, tous les secteurs ont tout de même réussi à améliorer leurs résultats courants - la moyenne est de 41.000 € pour l'exercice 2021. Celui-ci a justement été un rattrapage de 2020 et son activité extrêmement ralentie, et 2022 s'est traduite par une crise internationale et la fin du "quoi qu'il en coûte" en France. Un contexte inquiétant pour une économie tricolore en perfusion, et dans lequel les TPE doivent redoubler de vigilance.

 

L'enjeu de l'attractivité pour les TPE

 

Les entreprises du bâtiment restent aujourd'hui confrontées aux mêmes problématiques de remboursement des PGE et des cotisations Urssaf que les autres secteurs, tout en jonglant avec l'inflation des matières premières et des énergies, et sans oublier les transitions écologique et numérique à préparer. Face à l'explosion des prix, elles n'ont plus d'autre choix que de répercuter cette hausse sur leurs devis.

 

"Mais il pourrait y avoir un double impact par rapport aux prêts et aux hausses de taux", met en garde Yves Marmont. "On va arriver à un moment où l'on va regarder de plus près les dossiers, où l'on va davantage prendre en compte le taux d'usure. Et l'activité du bâtiment risque de se frotter aux emprunts des particuliers pour effectuer des travaux."

 

En attendant le bout du tunnel pressenti pour 2024, le risque pèse donc pour 2023. L'exercice de l'année prochaine s'annonce compliqué, entre l'instabilité mondiale qui s'installe et la sortie de crise, qui coïncide avec la sortie des dispositifs de soutien. Selon la FCGA, la France ne serait pourtant pas la plus mauvaise élève d'Europe, dont l'activité est d'ailleurs saine. Déjà en bonne santé avant le Covid, les TPE peuvent a fortiori miser sur leur plus grande flexibilité pour s'adapter, notamment du fait de leur faible nombre de salariés.

 

Pour autant, "l'attractivité et le recrutement sont des gros problèmes pour les TPE", note son président. "Ils y sont moins faciles à mettre en œuvre que dans une entreprise plus importante, qui va proposer des avantages au personnel, comme l'intéressement et la participation." Quoi qu'il en soit, l'économie française en a vu d'autres : "On s'est déjà remis d'autres crises, comme celle de 2008", où les dégâts collatéraux avaient été bien plus importants.

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