POLITIQUE. Partant du constat que "la ville n'est pas neutre", Paris souhaite corriger les inégalités de genre dans l'espace public, comme d'autres villes en France, une approche qui rencontre certaines résistances.

Dans le parc de la Villette, dans le 19e arrondissement de la capitale, plusieurs hommes, certains torse nu, effectuent avec adresse des pompes, tractions et autres acrobaties sur les installations de musculation en plein air. Sur un groupe d'une dizaine de personnes, "il y a deux femmes en tout", constate Corinne Luxembourg, enseignante-chercheuse à l'école d'architecture de Paris La Villette, devant cet aménagement "caractéristique" des inégalités hommes-femmes dans l'espace public.

 

"On n'a pas pensé que les femmes allaient être rejetées de cet espace-là", dénonce Mme Luxembourg. "Si 90% de garçons utilisent un équipement sportif, c'est qu'il n'a pas été bien réfléchi", estime la chercheuse, spécialiste des questions de genre dans la ville.

 

Un mouvement entamé il y a 20 ans

 

Diagnostiqué dès les années 2000 à Vienne, Berlin ou Barcelone, le déséquilibre entre hommes et femmes dans l'espace public suscite depuis quelques années l'intérêt d'une poignée de métropoles françaises, soucieuses d'adopter une approche plus égalitaire dans la manière de construire la ville. Pour favoriser la mixité, Paris, Bordeaux ou Montreuil, plus récemment Rennes et Lyon, ont émis le souhait d'adopter des budgets "sensibles au genre".

 

Objectif : évaluer la répartition des dépenses publiques pour éviter que le budget ne bénéficie qu'aux hommes. "On travaille dessus" souligne Hélène Bidard, adjointe à la maire de Paris en charge de l'égalité femmes-hommes, dont le budget atteint 10 millions d'euros en 2020, souhaitant "ne plus investir dans des activités uniquement masculines".

 

 

Sept places démonstratrices

 

A Paris, où la mairie s'est emparée du sujet en 2016, cette prise de conscience s'est concrétisée par l'adoption d'une "réflexion sur le genre" dès l'appel d'offre de la rénovation de sept grandes places. Dans le nord-est de la capitale, sur la place des Fêtes (19e), encerclée de tours et soumise au "regard social" des habitants, l'éclairage a été renforcé, accompagné d'un travail sur les couleurs et le mobilier urbain.

 

"La grande question, c'est de voir et être vu", explique Lauranne Callet de l'association Womenability, responsable d'un diagnostic après rénovation sur les usages des hommes et des femmes. Au centre de la place, la nouvelle maison associative est désormais investie par des enfants et des mères de famille. Les nouveaux bancs en bois, aux formes incurvées, favorisent "la sociabilisation", note Mme Callet.

 

Pas qu'une question de mobilier

 

De l'autre côté de la Seine, les travaux sur la Place du Panthéon (5e) ont abouti à la création de grandes plateformes en bois où, pied de nez aux "grands hommes" panthéonisés, près de 200 noms de femmes ont été pyrogravés. "En été, on y a vu des femmes se faire bronzer toutes seules en plein Paris", se félicite Chris Blache, co-fondatrice de la plateforme de recherche Genre et ville, mandatée par la Ville de Paris pour aider à la rénovation de la place.

 

Mais "ce n'est pas qu'une question de mobilier", assure-t-elle, préférant parler "d'organisation" autour d'éléments urbains : points d'eau, toilettes ou éclairage permettant d'instaurer "un sentiment de sécurité" pour les femmes.

 

"Genresceptiques"

 

Mais cette politique est loin de faire l'unanimité, à l'image de la réaction hostile suscitée par un tweet de l'adjointe Hélène Bidard lors d'une balade dans le parc Suzanne Lenglen dans le XVe arrondissement. "Ça a pris des proportions assez démesurées, dans un contexte sur les questions de genre" suscitant "plein d'incompréhensions", se rappelle Corinne Luxembourg. "On fait un travail sérieux", se défend Hélène Bidard, dénonçant à l'image des climatosceptiques, les propos de quelques "genresceptiques".

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