HABITAT.Le rapport de 2019 de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement paraît ce vendredi. Cette année encore, ce sont plus de 4 millions de Français qui témoignent de mauvaises conditions d'habitat. Alors que l'habitat indigne continue de couler de beaux jours, le taux d'effort des ménages aux dépenses de logements ne cessent d'augmenter, tandis que le parc social s'assèche.

Dans son 24e rapport annuel, publié à la date anniversaire de l'appel de l'Abbé Pierre, la Fondation éponyme n'a toujours pas de bonnes nouvelles à annoncer en matière d'habitat pour les plus précaires, et de logement abordable pour les ménages aux revenus modestes. En parallèle, les phénomènes d'habitat indigne prospèrent, malgré les dispositions législatives tendant à les résorber. Des textes comme la loi Alur ou la loi Elan qui restent encore insuffisants aux yeux de la Fondation Abbé Pierre qui lançait, au début du mois de janvier, un appel à accélérer la cadence des rénovations et des opérations de résorption d'habitat indigne.

 

Pour les ménages modestes, l'accès au logement reste toujours aussi complexe, surtout dans le parc HLM. En 2017, la Fondation rapporte que "481.000 ménages auraient vu leur demande aboutir en 2017, soit moins d'un quart des demandeurs". Parmi les options de repli, le rapport cite pêle-mêle les sous-locations, colocations, locations saisonnières ou meublées qui demeurent "des solutions précaires".

 

Des phénomènes mal appréhendés

 

Mais l'exclusion des ménages modestes ou précaires du logement trouve s'exprime également dans les habitations de fortune et locaux impropres à l'habitat. Les dernières statistiques citées par le rapport sont extraites du recensement de la population en 2014, qui chiffre 91.482 personnes logées dans ces habitats précaires. Le phénomène a néanmoins fléchi vers le haut depuis ces dernières années, avec un développement de la "cabanisation" dans le sud de la France ou la location d'annexes, de caves et autres combles de manière plus spécifique en Ile-de-France.

 

Dans les logements plus "conventionnels" considérés comme potentiellement indignes, ce sont plusieurs millions d'occupants qui témoignent "d'un ou plusieurs défauts graves de confort". Où arrivent en tête l'humidité sur les murs, les défauts d'isolation thermique, où les fenêtres agissant comme des passoires.

 

Avant même de publier ce rapport, la Fondation Abbé Pierre et d'autres associations de lutte contre le mal-logement avaient interpellé le gouvernement sur les 600.000 logements considérés comme potentiellement indignes. Un parc qui, rappelle la Fondation, reste "approximatif" et se heurte à une estimation à la baisse du ministère de la Cohésion des territoires (à 400.000 logements indignes). Pour les acteurs associatifs, ce sont toujours des centaines de milliers de trop, qu'ils appellent à résorber par des plans plus ambitieux de lutte contre l'habitat indigne, et à une production massive de logements sociaux.

 


"Au delà des outils légaux, il faut un travail d'ingénierie local"
Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre

 

En matière de politiques de lutte contre l'habitat indigne, que retiendrez-vous de l'année 2018 ?

 

Parmi les points positifs, il faut tout de même noter que le ministre du Logement Julien Denormandie a lancé un plan sur les copropriétés de long terme avec des financements supplémentaires. Cela intervenait avant même les effondrements de Marseille. Il ne s'agit pas d'un plan incantatoire mais plutôt une déclinaison qui cible des villes et des copropriétés en particulier. Depuis un an, le ministre s'est également attaqué aux marchands de sommeil. S'il y a un peu de communication derrière, des sanctions ont été renforcées par la loi Elan.
Indéniablement, ces éléments vont dans le bon sens, mais ne sont pas à la hauteur du problème. C'est la raison pour laquelle nous appelions il y a un mois à passer à la vitesse supérieure et viser 60.000 opérations de résorption de l'habitat indigne par an, afin de toucher les 600.000 logements indignes recensés sur dix ans. Le ministre a repris ces éléments à son compte sans augmenter les moyens pour autant.
Je retiens également la circulaire signée avec la ministre de la Justice qui apporte des moyens supplémentaires dans les tribunaux sur les questions d'habitat indigne.

 

Le vrai point de complexité est que la politique de lutte contre l'habitat indigne doit être mise en œuvre entre Etat et collectivités. Là, c'est le grand écart : certaines se sont emparées des outils depuis longtemps au sein des établissements publics de coopération intercommunale, des métropoles ou Ville de Paris qui agit depuis 10 ans sur ces sujets, avec des résultats. D'autres villes comme Marseille rament complètement. Le phénomène était connu de tous, mais l'incurie de la municipalité a sauté aux yeux. L'équipe du service dédié était totalement dépassée par la situation, et la ville témoignait d'un manque de volontarisme politique si ce n'est des élus eux-mêmes impliqués dans des cas d'habitat indigne.

Que pensez-vous des derniers textes législatifs sur l'habitat indigne ? La loi Alur a-t-elle été bien appropriée ? La loi Elan permettra-t-elle d'aller plus loin ?

Sur la loi Alur, on voit que de nombreuses collectivités souhaitent s'emparer du permis de louer même si la mesure est arrivée avec un peu de retard. La commune reste la bonne échelle pour l'utilisation de cet outil car déployer des moyens humains sur un parc locatif plus grand risquerait de discréditer la machine.
Autre aspect positif : le renforcement des sanctions que permet la loi Elan. Si taper au portefeuille du marchand de sommeil était déjà possible, la loi rend ce type de sanction plus systématique, comme une solution par défaut proposée au juge. Toute mesure allant dans le sens de la coercition contre les marchands de sommeil est bonne à prendre. Il ne faut cependant pas oublier que ce ne sont jamais que des outils légaux, qui ne sauraient se substituer au travail d'ingénierie local avec des traitements de dossier au cas par cas. Il faut davantage de personnes dans le milieu associatif pouvant mettre la pression sur les collectivités, et des services municipaux et/ou intercommunaux qui suivent les dossiers, prennent des arrêtés, enclenchent des travaux d'office.

En préparant le rapport sur le mal-logement, avez-vous constaté l'émergence de nouvelles formes d'habitat indigne, ou le recul de certaines ?

Nous constatons que dans la plupart des métropoles, notamment à Paris, des opérations de rénovation massives ont reporté vers la périphérie des phénomènes d'habitat indigne beaucoup moins visibles. Par définition, il y a beaucoup plus de pavillons que d'immeubles en périphérie, multipliant ainsi les cas de division pavillonnaire. Nous sommes confrontés à ce fléau sans vraiment pouvoir le préciser car difficilement quantifiable. Il y a également un développement des bidonvilles depuis une vingtaine d'années, ou encore un phénomène de cabanisation documentée dans le Languedoc-Roussillon. Ces formes sont assez peu connues, mal identifiées.
Nous savons que le dernier recensement de la population chiffrait 91.000 habitations de fortune en 2014, et cette tendance augmente. Les chiffres restent à prendre avec beaucoup de précautions, notamment en Outre-mer où les statistiques ne sont pas très fiables quand on y ajoute l'habitat spontané. Ce dernier reste difficile à cerner, car il n'est pas toujours facile de distinguer habitat choisi et habitat subi, celui qui naît d'un choix de vie ou qui représente une solution faute de mieux.

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