SANTÉ. Les composés nanométriques sont partout - de façon naturelle ou artificielle - y compris dans les matériaux de construction. L'OGBTP leur consacre un dossier spécial dans ses cahiers et fait le point sur les programmes d'études en cours au niveau de la prévention des risques.

Dioxyde de titane ou de silicium, oxyde de zinc, nanoparticule d'argent ou de cuivre, nanotubes de carbone… Les nanomatériaux sont déjà présents dans la construction que ce soit dans (ou sur) la pierre, le plâtre, le béton, le verre, les métaux, les peintures et revêtements ou les isolants. Ceci afin de leur conférer des capacités supérieures en termes de résistance mécanique, de tenue au feu ou d'amélioration de la mise en œuvre. Cependant, l'impact sanitaire de ces matériaux dont la taille est comprise entre 1 et 10 nanomètres (soit 50.000 fois plus fins qu'un cheveu) est encore mal connu. L'OGBTP s'intéresse à la question depuis le début de la décennie et vient de publier un dossier spécial qui rappelle les travaux actuellement menés pour mieux comprendre leur toxicité potentielle.

 

L'organisme paritaire note tout d'abord que pour passer d'un principe de précaution, imposant de réduire le plus possible les expositions à ces nanomatériaux, à un principe de prévention, applicable lorsque les dangers sont documentés, il sera impératif de s'appuyer sur des données scientifiques et un cadre réglementaires qui sont, aujourd'hui, manquants. Jusqu'à présent, peu d'études in vitro et in vivo ont été menées et les résultats ne sont pas représentatifs ou pas transposables à l'Homme. Les règlements ne seraient donc pas adaptés en se limitant à la caractérisation chimique des substances, sans considération pour leurs dimensions physiques (REACH, règlement LCP). Même les fiches de données de sécurité (FDS) ne mentionnent pas la présence de nanomatériaux dans les produits de la construction. L'OGBTP recommande donc que soient appliqués les principes généraux de la prévention et notamment "d'éviter le risque en supprimant le danger" ou encore de "remplacer ce qui est dangereux par ce qui l'est moins". Il est également préconisé d'assurer la protection des personnes concernées par des équipements de protection adaptés (appareil respiratoire isolant ou masque filtrant FFP3, combinaison type 5, gants nitrile, butyle ou vinyle, lunettes avec protection latérale).

 

Des connaissances encore lacunaires

 

D'autre part, plusieurs initiatives ont été lancées, dont l'étude épidémiologique "Epi-Nano BTP" lancée en 2015, qui porte sur des cohortes de travailleurs potentiellement exposés, et qui associe OPPBTP, OGBTP, Ineris, INRS, CEA et Santé publique France. Elle vise à surveiller et détecter l'apparition d'éventuels effets sur la santé de quatre types de nanomatériaux courants : nanotubes de carbone, dioxyde de titane, dioxyde de silice et noir de carbone. L'OGBTP note : "Une montée en puissance progressive, un changement de stratégie et de méthodologie en 2017 a permis de faire porter l'étude sur plus de 300 travailleurs d'environ 30 entreprises avec l'objectif d'atteindre 2.000 travailleurs d'ici deux ans". Le but sera de repérer un excès de risque chez ces sujets, sans toutefois établir de lien de causalité pathologique.

 

Emeric Frejafon, du laboratoire Ineris, a été reçu par le comité technique de l'OGBTP au mois de novembre 2017. Il a expliqué que le niveau de toxicité d'un matériau ne pouvait être résumé à une conclusion binaire et qu'il dépendait des plusieurs paramètres tels la structure physico-chimique, la mise en œuvre et le cycle de vie : "Un béton comprenant des nanoparticules peut être considéré comme non toxique lors de sa mise en œuvre mais dangereux lors de sa déconstruction, sans parler du problème lié à la migration des nanoparticules par lessivage ou évaporation, et de leur dangerosité avérée par inhalation". Un risque de relargage dans l'environnement pourrait également exister puisque les produits ne bénéficient pas, pour l'instant, de traitements particuliers en fin de vie. Le spécialiste cite l'exemple des nanoparticules d'argent, utilisées comme agents antibactériens qui vont migrer par ruissellement dans les rivières et y perturber le milieu aquatique…

 

Vers une différenciation selon les formes de nanoparticules ?

 

Un médecin toxicologue, le docteur Bruno Feneon, auditionné en janvier 2018, apporte lui un aspect supplémentaire : le risque de toxicité de forme. Un nanomatériau serait d'autant plus dangereux qu'il se présenterait sous la forme d'un bâtonnet (petit et allongé). Il propose donc de faire une distinction entre les nanomatériaux réputés sans risque avéré (silice amorphe, noir de carbone) et les autres, dont l'ubiquitaire pigment blanc TiO2. Le spécialiste insiste sur la notion de cycle de vie et de bio-persistance des produits. Afin de mesurer la dangerosité d'une situation sur un chantier, il suggère que soient utilisés des nano-badges capables de capter pour analyse les particules inhalées lors d'une mise en œuvre et d'employer le "control banding" qui permet de croiser différents facteurs de risques (émissivité lors de la mise en œuvre ET dangerosité intrinsèque du produit).

 

 

Enfin, l'OGBTP a reçu Marie-Claude Bassette-Renault, du pôle Construction de la SMABTP pour apporter un éclairage sur les aspects juridiques et assuranciels de l'emploi des nanomatériaux, en particulier sur la responsabilité et la couverture des architectes et entrepreneurs pouvant prescrire et utiliser des matériaux nanostructurés. Selon l'experte, trois types de responsabilité sont susceptibles d'être engagés : responsabilité au tiers, responsabilité vis-à-vis du personnel et responsabilité du risque environnemental. Dans le premier cas, ce sera à la victime d'apporter la preuve du dommage subi. Dans le second, la sécurité du personnel relève d'une obligation de résultat avec application stricte du principe de précaution. Mais dans le troisième, la dégradation de biens communs environnementaux (préjudice écologique, atteinte à l'environnement…) ne nécessitera pas d'identification d'une victime particulière, ouvrant la porte à des actions lancées par des associations. Il faudra toutefois relier un désordre avéré à une origine précise. Dans le cas des nanomatériaux, "tant la responsabilité de l'architecte que celle de l'entrepreneur est susceptible d'être recherchée même s'ils n'avaient pas connaissance de [leur] présence". Dans le cas des déchets, c'est l'entreprise qui sera considérée comme responsable, et pas le fabricant. Marie-Claude Bassette-Renault confirme à l'OGBTP que "les contrats d'assurance bâtiment excluent la couverture des risques liés à l'utilisation de nanomatériaux". Les assureurs expliquent ne pas pouvoir apprécier ce risque en toute connaissance de cause et refusent donc de le couvrir. Là encore, il sera impératif d'améliorer les données afin de mieux cartographier les risques et d'adapter la réglementation en conséquence.

 

Alain Maugard, le président de Qualibat et du Plan de recherche et développement amiante, déclare : "Il est insupportable de ne pas savoir si des nanomatériaux sont présents dans les produits et matières que nous utilisons pour l'acte de bâtir". L'OGBTP abonde et estime qu'il serait souhaitable que les risques liés à la fabrication et l'emploi de nanomatériaux/nanoparticules et nanotechnologies soient mieux connus. "En partant du postulat que les industriels ont su maîtriser les risques pour élaborer leurs produits contenant des nanoproduits, qu'en sera-t-il le jour où les ouvrages qui les contiennent seront déconstruits et dont les déchets seront recyclés après avoir été stockés à l'air libre pendant plusieurs mois ?", s'interroge l'organisme. Vaste question…

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