ANALYSE. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a enquêté en 2020 sur une quarantaine d'établissements exploitant ou étant référencés sur des plateformes de travaux à domicile. Elle a notamment relevé des manquements dans les informations précontractuelles ainsi que des pratiques trompeuses de la part de ces sociétés.

Décidément, les outils issus de la dématérialisation et de la dérégulation pourraient bien avoir besoin... d'une nouvelle régulation. À commencer par les plateformes d'intermédiation et de mise en relation qui ont pu fleurir sur Internet et concernent beaucoup de secteurs d'activité, dont le bâtiment.

 

 

En 2020, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF, rattachée au ministère de l'Économie) a mené une enquête sur les pratiques de ces sociétés proposant aux particuliers un contact direct avec des professionnels, notamment pour les accompagner dans leurs projets de travaux. Cette investigation a concerné une quarantaine d'établissements exploitant des plateformes ou étant référencés sur ces dernières en tant que prestataires de services.

 

Bercy voulait ainsi dresser le portrait de ce secteur en plein essor tout en vérifiant son respect de la réglementation, en particulier s'agissant des pratiques commerciales et de l'information du consommateur. Bilan : la moitié des opérateurs contrôlés n'étaient pas dans les clous.

 

Différentes sources de rémunération

 

Le travail de la DGCCRF permet tout d'abord d'en apprendre davantage sur le fonctionnement de ces plateformes. "Souvent, de nombreux fournisseurs d'énergie, assureurs et enseignes de bricolage entrent au capital de ces plateformes ou concluent des partenariats pour leur apporter leurs réseaux de prestataires et leurs bases de données clients", explique le rapport de Bercy. Afin d'adapter l'offre de métiers à la demande des consommateurs, les entrepreneurs sont très souvent "sélectionnés" avant leur inscription sur les plateformes.

 

"Les professionnels référencés sur ces plateformes, qui en majorité signent des contrats non exclusifs, sont pour la plupart des micro-entrepreneurs débutant leur activité professionnelle, ou des professionnels qui y tirent un revenu complémentaire. Pour la plupart, les prestations réalisées par le biais d'une plateforme représentent une part minoritaire de leur activité", peut-on encore lire.

 

En moyenne, les plateformes comptent 7 salariés et réalisent un chiffre d'affaires médian de 1,45 million d'euros, mais dont l'amplitude est très importante, oscillant entre moins de 1.000 euros pour une plateforme au rayonnement local et 9 millions d'euros pour un service d'envergure nationale. Leur rémunération consiste en une commission prélevée sur les prestations réalisées par les artisans référencés, un système d'abonnement des professionnels ou une facturation auprès de ces derniers des frais de mise en relation.

 

Les plateformes de travaux à domicile peuvent également vendre des prestations directement aux particuliers, soit en concluant avec eux un contrat dont le prix intègre la rémunération de l'entrepreneur qui effectue le chantier, soit en percevant des redevances des agences de courtage référencées chez elles. D'une manière générale, les tarifs des prestations sont fixés par les professionnels, mais ils peuvent aussi être déterminés mutuellement par le prestataire et la plateforme, dans une fourchette de prix ou encore être en partie imposés par la plateforme.

 

Les factures entre professionnels loin d'être exemptes de tout défaut

 

Dans le détail, la DGCCRF a donc inspecté 14 opérateurs de plateformes et 22 professionnels référencés, soit une quarantaine de sociétés, ce qui a pu donner lieu à des sanctions diverses (voir encadré).

 

Il s'avère que de nombreuses informations précontractuelles du consommateur étaient "absentes ou insuffisantes", à savoir "la qualité des personnes autorisées à déposer une offre de services, la nature et l'objet des contrats, le prix du service de mise en relation et les modalités de paiement, les assurances et les garanties proposées ou encore les modalités de règlement des litiges".

 

 

"Or, réglementairement, ces informations devraient être directement et aisément accessibles à partir de toutes les pages du site Internet des plateformes", pointe la DGCCRF. Sur les sites comme sur les devis remis aux particuliers, les pouvoirs publics ont également constaté que des informations "essentielles" n'apparaissaient pas.

 

Il s'agissait concrètement "des conditions, délais et modalités d'exercice du droit de rétractation ou de la possibilité d'avoir recours à un médiateur de la consommation (la plupart des professionnels n'avaient pas adhéré au dispositif)", ainsi que d'un "barème tarifaire des prestations".

 

De plus, les factures entre professionnels étaient loin d'être exemptes de tout défaut. Les mentions obligatoires, telles que la date à laquelle le règlement doit intervenir, le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement en cas de retard de paiement ou les conditions d'escompte en cas de paiement anticipé, n'y figuraient généralement pas.

 

Des services aux contenus biaisés

 

Mais ce n'est pas tout : bien souvent, la possibilité de s'inscrire sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique Bloctel n'était pas non plus mentionnée, alors qu'elle est obligatoire. Les plateformes recueillant les coordonnées téléphoniques des consommateurs n'informaient donc pas toujours ces derniers qu'ils disposaient pourtant de ce droit.

 

Certaines sociétés allaient même encore plus loin en revendant des fichiers de données téléphoniques de particuliers... inscrits sur Bloctel ! "Par ailleurs, il est apparu au cours de l'enquête que des consommateurs ont été démarchés sans pouvoir déterminer si la société était bien en lien avec la plateforme sur laquelle ils avaient effectué une demande de mise en relation", souligne le rapport.

 

De même, des pratiques déloyales ou trompeuses ont été repérées sur quasiment la moitié des plateformes. Par exemple, les caractéristiques et contenus des services proposés étaient biaisés, comme pour cette plateforme qui proposait de comparer des devis alors que les clients ne recevaient "systématiquement" qu'un seul et unique devis.

 

Un autre site prétendait que l'ordre d'affichage des offres correspondait aux critères sélectionnés par l'internaute, alors qu'en réalité le classement dépendait aussi de l'abonnement souscrit par le prestataire...

 


Les sanctions infligées par la DGCCRF en détail

 

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a adressé au total 12 avertissements, 6 injonctions, 2 procès-verbaux pénaux et 1 procès-verbal administratif aux plateformes de travaux à domicile contrevenant à leurs obligations.

 

À lui seul, le non respect des obligations d'information précontractuelle, dont les prix, a entraîné 6 avertissements, 15 injonctions et 1 procès-verbal administratif. Entre autres sanctions, "une amende administrative d'un montant de 55.000 euros a été prononcée contre une société pour non respect des obligations d'information applicables aux opérateurs de plateformes (7 manquements constatés), défaut d'information des coordonnées du médiateur et de la possibilité de s'inscrire sur la liste d'opposition au démarchage téléphonique", illustre le rapport.

 


Tromperies

 

La liste ne s'arrête malheureusement pas là. "D'autres allégations trompeuses portaient sur la notoriété de la plateforme, en mettant en avant des partenariats fictifs, notamment avec des enseignes de bricolage, la majoration du nombre de professionnels inscrits (ou du nombre de chantiers réalisés, ou du coût moyen des travaux réalisés) et celle du nombre de mises en relation réalisées par la plateforme", énumère encore la DGCCRF.

 

Dont les services ont en outre constaté la publication de faux avis positifs, qui portaient sur la prestation de la plateforme, sur celle de l'artisan ou sur les deux. Certaines informations spécifiques au secteur du bâtiment mises en avant par quelques plateformes se sont elles aussi révélées fausses.

 

Par exemple "la vérification des qualifications professionnelles détenues par les prestataires mais sans le faire réellement, alors même que certains travaux exigent d'être réalisés par des professionnels qualifiés ; l'expérience professionnelle des prestataires référencés alors qu'elle était moindre ; la détention de qualités, labels ou certifications (artisan, maître artisan, label RGE, certification Afnor) qui n'a pu être justifiée ou alors même que les professionnels n'en disposaient pas".

 

Les griefs des pouvoirs publics portent également sur la responsabilité civile professionnelle et la garantie décennale, des assurances évidemment obligatoires pour les entrepreneurs, mais qui ont parfois brillé par leur absence lors du contrôle de certains artisans. Enfin, des obligations propres aux plateformes et imposées par la loi pour encadrer le développement du commerce sur Internet n'ont pas été respectées : l'absence ou le non respect de chartes de qualité, et l'absence d'informations sur la rémunération de la plateforme par les professionnels qui y sont référencés.

 

S'informer et rester vigilant

 

Après un tel constat, plutôt accablant, la DGCCRF assure garder ces plateformes de travaux à domicile "sous surveillance", d'autant qu'elles "tendent à concurrencer d'autres acteurs du secteur comme les agences de courtage en travaux".

 

Mais au-delà des contrôles effectués par Bercy, les consommateurs sont aussi invités à s'informer et à faire preuve de vigilance. Des fiches pratiques sont disponibles sur le site du ministère de l'Économie à cet effet, et les clients ayant constaté des anomalies peuvent faire un signalement sur le site Signal Conso.

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