PROFESSION. De l'affaire des détournements à l'évolution de l'architecture, Jean Nouvel livre ses pensées sur le secteur. Invité de France Inter, l'architecte dénonce une profession reléguée au second plan et appelle à retrouver l'audace de concevoir des projets uniques.
L'un des plus grands architectes du monde était l'invité ce 24 juin 2025 de la matinale de France Inter. Le Français Jean Nouvel est venu y présenter son livre Mes Convictions, publié le 18 juin chez Flammarion. Le lauréat du prix Pritzker en 2008 (l'équivalent du prix Nobel d'architecture), auteur du musée du Quai Branly, de l'Institut du monde arabe, de la Philharmonie de Paris ou encore du Louvre Abou Dabi, y a aussi livré sa vision de l'architecture.
Une affaire qui a fait grand bruit
Dans son ouvrage, il revient par ailleurs sur l'affaire de détournements importants de fonds par d'anciens salariés des Ateliers Jean Nouvel (AJN), révélée par le journal Libération fin février.
Un des collaborateurs, ancien directeur administratif et financier des AJN, est soupçonné d'avoir détourné plusieurs millions d'euros grâce à de fausses factures, montages financiers frauduleux ou encore contrats d'assistance fictifs. Libération évoque notamment une "gestion pour le moins erratique" et des "frais divers" servant à "financer [le] train de vie" de l'architecte lui-même.
En mars, le parquet a requis un procès contre quatre anciens collaborateurs du "starchitecte". Ils sont soupçonnés de "présumés détournements massifs de fonds, abus de biens sociaux et de confiance, faux et usage de faux", pour des faits commis entre 2007 et 2013, selon l'AFP.
Jean Nouvel et sa société se sont présentés comme victimes de la situation. L'architecte a d'ailleurs été dédouané des accusations portées contre lui. "L'information judiciaire n'a pas permis de révéler des charges suffisantes à l'encontre de Jean Nouvel", avait déclaré l'AFP à l'époque. L'agence a indiqué avoir porté plainte contre ses anciens dirigeants pour abus de biens sociaux. Elle a précisé dans un communiqué que "les dépenses présentées comme somptuaires sont, en réalité, indispensables au développement commercial d'une agence d'architecture de ce niveau et nécessaires aux relations avec des clients internationaux de premier rang".
"Le monde est vicieux", écrit Jean Nouvel dans son nouvel ouvrage, évoquant le futur procès de ses collaborateurs. "Je ne me suis jamais intéressé à la gestion, je n'ai jamais eu de responsabilités à ça, se défend-t-il, au micro de la journaliste Léa Salamé. La façon dont cela a été présenté donne l'impression que c'est moi qui ai fait les dégâts. C'est mon argent qu'on a piqué, ce n'est pas moi qui ai piqué le mien."
Une vision critique du secteur
L'affaire n'est évidemment pas le seul sujet abordé dans Mes Convictions. Jean Nouvel critique un "urbanisme triste et dépressif, obsédé par l'idée que les constructions doivent s'intégrer dans le paysage. On considère désormais le paysage comme une carte postale à corriger. On reproduit partout des clones de bureaux, de logements, de supermarchés. On met des pergolas sur les parkings des HLM ou encore du lierre au balcon. On pense que c'est beau, alors que c'est moche. On va vers une architecture laide, ordinaire et uniformisée."
Toujours au micro de France Inter, l'architecte se défend, se décrivant comme déjà "critique" lorsqu'il était à l'École des Beaux-Arts. "L'architecture est locale. Ce qui est arrivé comme catastrophe, c'est que, maintenant, il n'y a plus d'architecture locale mais une architecture générale. C'est la même dans le monde entier. Toutes les tours, les façades, les murs rideaux. Je vous défie de me dire où vous êtes, sauf si c'est un monument avec une identité", affirme-t-il.
L'architecte appelle à "oser", à inventer, et à ne pas, au contraire, "reproduire des programmes et des tailles que l'on connaît car elles sont faites par toutes les entreprises. L'architecte a été éliminé de son rôle essentiel. C'est lui qui devrait donner tous les éléments de composition pour tous les espaces, y compris pour les villes. Or, tout ce qui se passe autour est fait sans les architectes. Les villes ne sont plus faites par les architectes. Le métier d'architecte a été déclassé."
Jean Nouvel, 79 ans, ne compte, néanmoins, pas s'arrêter là. Son cabinet livrera prochainement les futurs espaces de la Fondation Cartier, place du Palais-Royal à Paris, qui ouvriront le 25 octobre. "On prend des bâtiments haussmanniens et on crée un musée dedans, avec des perspectives et une utilisation, très précise, de l'ouverture, explique-t-il. Il y a des verres ultra transparents et très grands. On voit ce qu'il se passe dedans, et on sera attiré par l'envie d'y aller", promet-il.
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