Selon l'Unesco, l'extraordinaire faïence bleue des coupoles d'Ispahan (Iran), l'une des plus belles villes du monde islamique, serait menacée par un projet immobilier.

"Ispahan, c'est la moitié du monde", dit l'adage du 16ème siècle. L'Unesco ne le contesterait pas, qui a inscrit en 1979 la place de l'Imam Khomeiny sur la liste très restreinte du patrimoine ayant une valeur exceptionnelle pour l'humanité. Or ce joyau d'architecture menace de se retrouver sur une liste moins glorieuse de l'Unesco, celle du patrimoine en péril.
La faute en reviendrait à un colossal bloc qui achève de se construire à quelques centaines de mètres de certains des plus splendides monuments islamiques jamais construits, la mosquée de l'Imam, la mosquée Cheikh Lotfollah ou le palais Ali Qapou.

La municipalité a fait raser un ancien caravansérail pour autoriser l'édification d'un ensemble de bureaux pour ses services, mais aussi de magasins. "Urbanisation non maîtrisée", s'alarme l'Unesco.
"On a démoli un caravansérail et on construit à la place quelque chose qui est très étranger au tissu historique de la ville", explique à l'AFP Junko Taniguchi, une représentante de l'Unesco à Téhéran.
Le prix Nobel de la paix lui-même, Shirin Ebadi, a publié un communiqué dénonçant "le silence du régime" devant cette "menace pour la culture iranienne".

Du centre de Naghsh-e Jahan ("l'image du monde"), l'ancien nom sous lequel la place de l'Imam reste plus connue des Iraniens, on ne perçoit rien de ce qui heurte l'Unesco.
Il n'y a pas grand-chose qui soustraie au saisissement devant cette immense place de 500 mètres sur 160, l'entrée de son bazar, les dômes émaillés d'un bleu et d'un jaune incomparables, les calligraphies en mosaïque, les échoppes.

La place n'a semble-t-il rien perdu de la splendeur qu'avait voulue Chah Abbas le Grand quand il la fit construire au début du 17ème siècle comme le coeur de la nouvelle capitale de la Perse.
Il faut monter sur les toits du bazar ou dans les étages d'Ali Qapou pour voir émerger à quelque distance l'objet de réprobation de l'Unesco. Pas encore recouvert totalement de la brique ocre qui doit lui donner un air traditionnel, il surplombe à 52 mètres de haut les jardins, les avenues plantées d'arbres d'Ispahan, rivalisant avec les minarets.

Les bâtiments autour de Naghsh-e Jahan ne doivent pas dépasser 24 mètres de haut, dit l'Unesco, pour ne pas rompre la ligne d'horizon.
A la différence des autres villes d'Iran, ravagées par une urbanisation anarchique, Ispahan a jusqu'alors observé des règles plutôt strictes de construction.

Mais "la municipalité n'a pas respecté les procédures légales pour les permis", déplore Siefollah Aminian, le chef de l'Organisation du patrimoine d'Ispahan. Cependant, a-t-il ajouté, elle a finalement accepté de réduire la hauteur du complexe.
"Les Iraniens doivent rendre compte de ce qu'ils ont fait pour réparer les dégâts", dit Junko Taniguchi, "une décision sera prise en fonction de cela".

L'Unesco doit décider de la suite à donner lors de la session du Comité du patrimoine mondial qui se tiendra à Suzhou (Chine), du 28 juin au 7 juillet.
M. Aminian se dit "optimiste". Mais le chef du conseil municipal conservateur, Abass Hajj Rasouliha, se montre moins conciliant, qualifiant les pressions de l'Unesco de "politiques".
"L'Unesco ne nous a jamais apporté la moindre aide financière. Si ce n'est pas une question d'argent, il doit bien y avoir une motivation politique, quelque chose des menaces internationales contre l'Iran".
Il n'est pas foncièrement opposé à l'idée de raser quelques étages du complexe, "mais cela pourra prendre cinq ans". Et il faudra peut-être consulter la population, dit-il. Or le centre doit être inauguré à la fin de l'année.

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