DÉCISION. La Cour de cassation a validé la décision de la cour d'appel de Versailles, datant de janvier 2017, donnant ainsi définitivement raison à la société Actis qui affirmait, dans une publicité datant de 1995, que l'un de ses produits isolait autant que 20 centimètres de laine de verre. Réactions.

Entre 1995 et 2005, une publicité de la société Actis affirmait que l'un de ses produits, l'isolant mince Triso-super 9 (retiré du commerce en 2005), isolait aussi bien que 20 centimètres de laine de verre. Une communication attaquée à l'époque par le Filmm, syndicat des industriels français de laines minérales manufacturées. Après moult rebondissements judiciaires, la plus haute juridiction française a mis un point final, comme l'ont révélé Les Echos le 12 décembre, à cette affaire, dont on retiendra que la publicité d'Actis n'était pas mensongère. La Cour de cassation condamne donc le Filmm "à payer à la société Actis la somme de 3.000 euros".

 

Problématiques d'étanchéité et de calfeutrage

 

Comment se justifie la Cour ? Elle s'appuie surtout sur des constatations effectuées dans cette affaire par un expert de l'autorité de la concurrence. D'après lui, l'isolant mince résiste mieux que la laine de verre "aux effets de la pression de l'air", entraînant une dégradation des caractéristiques de conductivité thermique au point de "rendre 200 mm de laine minérale thermiquement moins performants que le produit de la société Actis".

 

 

Le Filmm précisait toutefois que la pose de son produit, pour qu'il soit le plus efficace possible, devait se faire dans le respect de l'étanchéité à l'air de la toiture et du bâtiment. Un argument qui n'a pas convaincu la Cour de cassation, qui précise que la prise en compte des problématiques "d'étanchéité ou de calfeutrage des habitations", et l'obligation de pose d'un "écran sous toiture", ne date que d'arrêtés de 2010 et 2012. Avant cette date, un professionnel soucieux de respecter la réglementation, selon la Cour, n'avait donc pas à s'assurer de l'étanchéité à l'air (par la pose de joints, pare-vapeur ou écran sous toiture), et pouvait ainsi poser une laine de verre visiblement peu efficace car ventilée. Dans ces conditions, la publicité d'Actis concernant ces années ne serait pas mensongère, a estimé l'autorité.

 

Le Filmm se dit "sidéré"

 

Dans son rôle, la Cour de cassation n'a jugé que sur la dimension du droit, et non de l'appréciation technique. Quoi qu'il en soit, la décision "sidère" le Filmm, contacté par Batiactu. Le syndicat avance que, d'un point de vue technique, il avait été prouvé dans le cadre d'une expertise judiciaire que, dans de bonnes conditions de pose, la laine minérale était nettement plus performante qu'un isolant mince. "Il a pu y avoir des situations où notre produit était mal posé, mais les artisans connaissent dans leur très grande majorité leur métier et ont respecté les règles de l'art", explique le Filmm. Cela serait d'autant plus vrai que les entreprises qui posent ce type de produits, notamment dans le cadre du dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEE), sont labellisées Reconnu garant de l'environnement (RGE). Par ailleurs, l'État est en passe de renforcer drastiquement les contrôles sur les entreprises qui font bénéficier leurs clients des CEE, mais a aussi assuré que les cas graves de manquements aux règles étaient "rares". "Le recours à des pare-vapeurs dans la pose des isolants en laine minérale fait évidemment partie des règles de l'art", explique pour sa part à Batiactu Virginie Letard, présidente du groupement des professionnels des CEE. "Dans le système des CEE en général, dans tout ce qui a trait à l'isolation, les professionnels sont tenus de respecter les DTU", ajoute-t-elle. La société Vos travaux éco, pionnière dans l'isolation 'à un euro', assure également auprès de Batiactu que ses contrôles des opérations d'isolation bénéficiant des bonifications coup de pouce "vérifient la présence d'un pare-vapeur et son bon positionnement".

 

Les isolants minces ne comptent pas en rester là

 

Un argument qui ne convainc pas Robert Menras, président du Syndicat des fabricants d'isolants minces multicouches réflecteurs (Sfirmm), dont Actis est membre. "Sur la base de notre expérience terrain et d'études que nous avons faites, je peux vous assurer qu'une grande majorité des artisans n'emmaillotent pas la laine de verre comme il le faudrait, c'est-à-dire en installant un écran de sous-toiture et un pare-vapeur", explique-t-il à Batiactu. S'il ne nie pas que des recommandations professionnelles correctes sont bien formulées, notamment dans le cadre du dispositif des CEE, il regrette que ces choix techniques ne soient pas obligatoires. "Les artisans ne sont pas informés du risque", assure-t-il. "Et la simple pose d'un parement en plâtre ne suffit pas à assurer l'étanchéité, parce que bien souvent on y fait passer des gaines, des prises électriques, les ouvertures créent des courants d'air, le niveau d'étanchéité nécessaire n'est pas atteint..." Pour lui, ce type d'isolant n'est performant que dans le cadre des maisons passives.

 

"Je dois dire que quand je vois ce que prévoient les pouvoirs publics pour les cinquième et sixième périodes des CEE, à savoir une forte augmentation des objectifs pour les obligés, cela me fait très peur", continue Robert Menras. "Les laines minérales ont une part de marché de l'isolation par l'intérieur de l'ordre de 90%, et il n'est toujours pas obligatoire de poser ce matériau en s'assurant que tout est mis en œuvre pour qu'il soit performant pour atteindre les objectifs de décarbonation." Le Sfirmm considère cela comme une forme de "distorsion de concurrence" par rapport aux isolants réflecteurs minces, mais ne souhaite pas rouvrir une bataille juridique. "Nous allons surtout nous tourner vers les pouvoirs publics pour que des corrections soient faites et des obligations posées. Aujourd'hui, la justice a tranché en notre faveur, le dossier est sur la table."

 

Bref, si le chapitre judiciaire s'achève, l'affaire, elle, semble loin d'être bouclée.

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