ENTRETIEN. La Fédération française du bâtiment (FFB) tient son assemblée générale ces 13 et 14 juin 2019, à Deauville. L'occasion pour son président, Jacques Chanut, de faire le tour de l'actualité du secteur : social, formation, taxes sur les contrats courts...

Batiactu : La Fédération française du bâtiment (FFB) tient son 63ème congrès, à Deauville, les 13 et 14 juin 2019. Vous recevrez à cette occasion la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. Quels messages souhaitez-vous lui faire passer ?

 

Jacques Chanut : Nous souhaitons aborder avec elle les nombreux sujets du moment en matière d'artisanat, de formation et de social. La réforme de la formation, par la création des opérateurs de compétences (Opco), fait l'objet de nombreuses difficultés, de zones blanches en termes juridiques, conduisant à des différences d'interprétations parmi les organisations patronales et les syndicats de salariés. Il faut lever ces ambiguïtés, car nous souhaitons mettre en œuvre la réforme au plus vite. Plus nous attendons, plus cela sera difficile, surtout pour les centres de formation des apprentis (CFA) qui entreront dans le domaine concurrentiel du fait de la réforme.

 

Batiactu : Sur le plan social, y a-t-il des mesures sur lesquelles vous souhaitez alerter la ministre ?

 

Jacques Chanut : Nous sommes vigilants au sujet de la volonté de taxer les contrats courts. Cela part probablement d'un bon sentiment de lutte contre certaines formes de précarité. Mais attention aux possibles effets pervers ! Si une entreprise se retrouve pénalisée pour avoir trop recours aux CDD, il y a une possibilité qu'elle externalise sa production vers le travail détaché, les auto-entrepreneurs ou autre. Cette mesure, si elle était appliquée sans discernement, risquerait d'impacter le modèle économique et social d'une profession. Car en l'état actuel de la mesure, il pourrait être plus intéressant pour une entreprise de construction d'avoir 3 salariés en CDI, et 30 en intérim, plutôt que 30 CDI et 3 intérimaires. Nous ne remettons bien sûr pas en cause le choix politique de taxer les contrats courts. Nous disons simplement : gare à la mise en œuvre concrète ! Pour l'instant, nous sommes impatients de connaître le mode de calcul de la mesure, et nous savons que le secteur du Bâtiment ne sera pas nécessairement concerné. Toutefois, nous rappellerons à Muriel Pénicaud notre attachement au modèle économique et social de notre secteur.

 

 

Il semblerait également que Bercy envisage de supprimer l'abattement de 10% sur frais professionnels qui existe dans le secteur du bâtiment. Cela aurait pour conséquence d'augmenter les niveaux de salaires bruts, et d'ainsi faire sortir certains salariés des allègements Fillon qui concernent les revenus allant jusqu'à 1,6 Smic. Avec à la clé une augmentation des charges pour les entreprises. Autre point d'inquiétude pour nous...

"Sur l'Opco, c'est catastrophique, les acteurs ne sont pas à la hauteur des enjeux"

 

Batiactu : La mise en place de l'opérateur de compétences (Opco) construction ne se passe pas très sereinement. Comment analysez-vous la situation ?

 

Jacques Chanut : C'est une ambiance catastrophique. Sur l'Opco, les acteurs ne sont pas à la hauteur des enjeux. Pour une histoire de représentativité et de qui dispose de combien de sièges au sein de tel conseil d'administration, on bloque les discussions : cela jette le discrédit sur tous les partenaires sociaux. Nous oublions notre raison d'être pour défendre des structures et des places... Pourtant, il ne s'agit pas ici d'un enjeu politique, mais purement technique, de fléchage des financements liés à la formation. Mais tout est sujet à polémique depuis l'entrée en vigueur en 2017 de ces satanées règles de représentativité syndicale... La question n'est pourtant pas celle de la représentativité, mais plutôt : comment met-on les meilleurs outils en place au service de nos entrepreneurs ? Si l'on ne trouve pas nous-mêmes, nous donnerons les clés à l'État...

 

Batiactu : Des acteurs comme la Capeb se sont inquiétés d'une disparition programmée du CCCA-BTP...

 

Jacques Chanut : La question, c'est : voulons-nous garder un réseau paritaire au moment où le marché s'ouvre à la concurrence ? Pourra-t-on toujours être compétitifs ? Je pense que oui, mais il faut pour cela nous remettre en question. Car si on continue ainsi, nos CFA seront en danger. Ensuite, il faut se demander si nos réseaux souhaitent le maintien d'une tête de pont, que constitue le CCCA-BTP - sachant que plusieurs missions seront de facto transférées à l'Opco de par la loi. Il nous semble qu'une structure de coordination des réseaux serait plus utile qu'une simple tête de réseau fonctionnant un peu comme une holding. Mais nous ne prétendons pas avoir la science infuse : c'est une hypothèse de travail, discutons-en, plutôt que de déclencher une guerre de petites phrases.

 

Batiactu : Les pouvoirs publics étudient de près la piste de la suppression du taux réduit de TICPE. Êtes-vous inquiet ?

 

Jacques Chanut : Je suis même très inquiet, même si cela touche plus les travaux publics que le bâtiment. Nous chiffrons à 70 millions d'euros les sommes en jeu en ce qui nous concerne. Cela serait notamment terrible pour les petites entreprises de démolition. Cela pourrait aussi faire naître une forme d'injustice : dans les territoires ruraux, certains agriculteurs se sont diversifiés dans la réalisation de petits travaux : eux aurait peut-être toujours accès au taux réduit...

 

"Même si l'activité est repartie, la rentabilité de nos entreprises se dégrade"

 

Franchement, cela ne commence-t-il pas à faire beaucoup pour le secteur : rabotages du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), du prêt à taux zéro (PTZ) dans le neuf et l'ancien, du Pinel, du taux réduit de TICPE, possiblement de l'abattement sur frais professionnel... Nous avons l'impression que comme notre activité n'est pas délocalisable, on nous tape au portefeuille. Or, même si l'activité est repartie, la rentabilité de nos entreprises se dégrade, elle ne gagnent pas d'argent. Il n'est pas possible d'en demander plus aux entreprises sur tant de front - lutte contre le dérèglement climatique, heures d'insertions, embauches en CDI... - sans effectuer des arbitrages budgétaires allant en notre faveur. Aujourd'hui, quand un expert de Bercy nous dit que l'augmentation du coût du GNR peut être absorbée par nos entreprises parce que cela représente une hausse de 2%, a-t-il en tête que certaines d'entre elles ne réalisent que 1% de résultat ?

"En juin 2019, nous ne savons toujours pas ce que le Gouvernement compte faire du CITE en 2020"

 

Batiactu : Un amendement vient d'être validé en commission sur le projet de loi énergie. Il interdirait la location des passoires thermiques à partir de 2025. Cette mesure serait-elle efficace ?

 

Jacques Chanut : Quand on parle d'obligation, c'est que l'on ne se donne pas les moyens de l'incitation. Il nous faut donner aux Français les moyens de faire des travaux ! Avoir recours à l'obligation, cela serait donner raison à Bercy pour qui le secteur de la construction n'est pas stratégique. Je tiens à rappeler une fois de plus que sur le crédit d'impôt transition énergétique (CITE), non seulement le dispositif a été raboté de 1,6 milliard à 800 millions, amis nous ne savons même pas ce qu'il deviendra en 2020 alors que nous sommes déjà en juin ! Nous ne savons tout simplement pas ce que le Gouvernement compte en faire.


Batiactu : Les certificats d'économie d'énergie (CEE) montent en puissance, sont de plus en plus mis en avant par les pouvoirs publics en tant qu'outil de financement de la rénovation énergétique. Est-ce une bonne chose selon vous ?



Jacques Chanut :
Je rappelle que ces financements ne sont pas issus du budget de l'État. Il s'agit d'une forme de taxation des entreprises considérées comme polluantes, qui est ensuite répercutée sur la facture d'énergie des Français. Attention à ce que la montée en puissance des CEE ne soit pas synonyme de désengagement de l'État.

 

Sur la réglementation environnementale 2020, "nous ne disposons pas d'assez de recul"

 

Batiactu : Enfin, l'année prochaine devrait voir l'accouchement de la future réglementation environnementale 2020 (RE2020). Le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE), dont la FFB fait naturellement partie, a demandé un report d'un an de l'entrée en vigueur de ce texte. Est-ce votre demande ?

 

Jacques Chanut : Je tiens tout d'abord à rappeler que le travail d'expérimentation E+C-, mené grâce au CSCEE, a été une très bonne chose. Mais nous avons un vrai souci : il n'y a pas assez de retours d'expérience pour tirer des conclusions définitives de cette expérimentation. Nous ne disposons pas d'assez de recul. Il serait donc raisonnable de reculer l'échéance, il nous faut un temps de respiration. D'autant plus que cette RE2020 va une nouvelle fois augmenter les coûts de construction. Nous devons soit repousser l'échéance en maintenant les exigences, soit baisser les exigences si l'on tient absolument à respecter le calendrier.

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