FRAUDE. Un comité interministériel dédié à la lutte contre le travail illégal vient de présenter le bilan du plan national anti-fraude qui a couvert la période 2019-2021. Les orientations du prochain plan, courant de 2022 à 2024, ont également été présentées à cette occasion. Si le phénomène s'est calmé à cause de la pandémie de Covid, le secteur de la construction reste tout de même largement confronté à cette problématique.

Le 11 mars dernier, un comité interministériel dédié à la lutte contre le travail illégal a présenté aux organisations syndicales et patronales le bilan du plan national anti-fraude qui a couvert la période 2019-2021. Parmi les principaux enseignements de cette communication, on retient que le travail dissimulé et l'emploi d'étrangers sans titre de travail constituent depuis 2019 les infractions les plus nombreuses, tous secteurs d'activité confondus. Le recours aux faux statuts, par exemple celui de faux travailleur indépendant ou de faux stagiaire, persiste également. "De nouvelles formes de travail illégal sont apparues, notamment avec la numérisation et le développement des plateformes de mise en relation", relève encore le ministère du Travail.

 

 

Les services de contrôle n'ont pas pour autant chômé : pas moins de 120.000 vérifications sur le travail illégal ont ainsi été conduites par les inspecteurs du travail, en complément de 20.000 contrôles réalisés conjointement avec l'ensemble des autres organismes impliqués dans la lutte contre la fraude. Entre 2019 et 2021, "ces contrôles ont permis de dresser 8.941 procès-verbaux, 504 fermetures d'établissements et arrêts d'activité", précise le ministère, qui ajoute que "près de 2 milliards d'euros de redressement de cotisations sociales ont été notifiées en 2018".

 

Le travail détaché n'est toujours pas revenu à son niveau d'avant-crise

 

Élément central de la lutte contre le travail illégal, la fraude au détachement a fait l'objet de contrôles renforcés pour vérifier le respect des règles en matière de détachement (comme l'égalité de rémunération, le respect du temps de travail...) mais aussi pour identifier les situations de faux détachement. Au total, la fraude au travail détaché a représenté "plus de 52.000 interventions" entre 2019 et 2021, qui ont débouché sur "187 procédures pénales, 46 suspensions de prestations de service internationales (PSI) et 1.861 sanctions administratives". Afin de favoriser les emplois locaux, des "solutions alternatives" ont été élaborées avec les partenaires sociaux et les pouvoirs publics, comme la formation, le travail sur les métiers en tensions ou encore l'accompagnement des entreprises.

 

Les années 2020 et 2021 ont toutefois été marquées par une chute du nombre de salariés détachés à cause de la pandémie de Covid : en 2020, la Direction générale du travail (DGT) et la Dares (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, rattachée au ministère du Travail) en ont comptabilisé 57.900 dans tout le pays, soit un recul de plus de 20% en comparaison à 2019 (72.600). Et d'après les données les plus récentes, le niveau du travail détaché n'est toujours pas revenu à ses chiffres d'avant-crise : "(...) moins de 60.000 salariés étaient détachés au 3e trimestre 2021, soit pratiquement le même niveau qu'observé en 2020", constate le ministère.

 

Le BTP a représenté plus de 40% du total de travailleurs détachés en 2020

 

Si le recours au travail détaché est quasi-inexistant à l'échelle nationale (0,4% d'après des calculs de la Dares pour 2019), la réalité s'avère quand même très différente d'un secteur à l'autre et d'une région à l'autre. Le bâtiment et les travaux publics restent, en valeur absolue, le premier secteur d'emploi de salariés détachés. Mais si l'on se base sur l'intensité du recours rapporté à l'emploi national, c'est cette fois l'agriculture qui arrive en tête (2,18%), suivie par la construction (1,59%), l'industrie (0,72%) et les services (0,12%).

 

Dans le BTP, la crise sanitaire a aussi marqué un coup d'arrêt : de 23.300 en 2018 (34% du total national), le nombre de salariés détachés y est passé à 24.923 en 2019 (34,3%), avant de légèrement fléchir à 24.346 en 2020 (42%). Le nombre de travailleurs détachés a donc progressé de 7% dans le BTP entre 2019 et 2018, mais a reculé de 2,3% entre 2020 et 2019.

 

Portugal et Espagne en tête des pays détachant des salariés

 

Les travailleurs en situation de détachement dans le secteur de la construction proviennent principalement du Portugal (plus de 21%) et sont présents de manière "relativement homogène" dans l'ensemble de l'Hexagone. La Corse et les Alpes-Maritimes affichent cependant des taux de recours de ces salariés supérieurs à la moyenne. Plus largement, le classement des pays détachant des salariés en France n'a pas vraiment bougé, les entreprises pratiquant le détachement étant "en grande majorité" (7 des 10 principaux pays en 2019) implantées dans l'Union européenne.

 

Portugal et Espagne font la course en tête, avec respectivement 8.621 et 8.516 salariés, ce qui représente pour chacun une part de 15%, en hausse par rapport à 2019. Viennent ensuite l'Italie (5.254 personnes, 9% du total, stable), la Pologne (4.935 salariés, 9% du total, en hausse) et l'Allemagne (4.166 personnes, 7% du total, stable). On notera que la Roumanie a détaché en 2020 presque 4.300 salariés, soit une part stable de 7%, et que les "autres" pays ont à eux seuls détaché quasiment 7.300 salariés, soit une part de 13%, toutefois en baisse.

 

 

Renforcement du cadre juridique

 

Sur le plan juridique, le cadre relatif au détachement des travailleurs a été "consolidé". La rue de Grenelle explique que de "nouveaux droits" ont ainsi été définis pour les salariés détachés, quand les obligations des employeurs et des donneurs d'ordre ont été accrues, avec notamment de nouvelles sanctions envisageables lors de manquements avérés. "L'accent a également été porté sur l'accès à l'information des salariés détachés et des entreprises étrangères, et la coopération européenne s'est traduite par des inspections conjointes dans le cadre de la montée en puissance de l'Autorité européenne du travail (AET)", poursuit le ministère.

 

Les orientations du prochain plan, courant de 2022 à 2024, ont également été présentées à cette occasion. Sans surprise, il poursuivra sur la lancée du plan précédent, en maintenant un "haut niveau" de contrôle, dont le ciblage sera amélioré "grâce aux échanges de données disponibles entre les services", et ce particulièrement pour la fraude au détachement. L'idée est aussi de signer avec les partenaires sociaux des conventions locales et nationales, de davantage prendre en compte les nouveaux types de fraudes liées au développement des plateformes, et enfin de "mettre à profit les synergies avec l'AET" pour accroître les inspections conjointes et la coopération par-delà les frontières.

 

Vigilance accrue en Île-de-France et en Corse

 

Dans la construction, considérée comme un secteur "prioritaire" à contrôler, les acteurs s'engagent dans des plans d'action spécifiques et localisés, avec le soutien des professionnels qui souhaitent la régulation du travail détaché et la lutte contre les fraudes. En Île-de-France, la déclinaison régionale de ce plan a consisté à réunir les acteurs du secteur et les services de la DRIEETS (Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités) pour présenter les mesures d'action et "co-construire des alternatives favorisant le développement de réponses locales". Syndicats, patronat, opérateur de compétences (Opco), Pôle Emploi, grandes groupes du secteur recourant à des PSI, Société du Grand Paris et Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) ont participé à ces réflexions pour "faire des chantiers du Grand Paris et des Jeux Olympiques de Paris 2024 des opérations exemplaires".

 

En Corse, le BTP local veut en outre organiser des journées baptisées "Cap chantiers 2022" ainsi que des contrôles "systématiques" de la qualité des déclarations. "Les contrôles renforcés sur le recours à l'intérim détaché se poursuivront également en visant aussi bien la responsabilité des prestataires que celles des entreprises utilisatrices", complète le ministère du Travail.

actionclactionfp