INTERVIEW. L'architecte et ingénieur Rudy Ricciotti, Grand Prix national d'architecture, auteur de plusieurs ouvrages dont L'architecture est un sport de combat (éd. Textuel), s'explique auprès de Batiactu, après sa tribune acerbe contre la maîtrise d'ouvrage publique, qu'il accuse de "précipiter la crise du BTP".

Batiactu : Vous dénoncez, dans une tribune sur le site du think tank Le club des juristes, la maîtrise d'ouvrage publique qui a "fait le choix de stopper toute l'activité liée au BTP". Pouvez-vous expliquer ?

 

Rudy Ricciotti : La grande majorité des chantiers est à l'arrêt. C'est une chose. Il faudrait qu'ils repartent, dans de bonnes conditions de sécurité pour les personnes. J'ai pu discuter avec des dirigeants de Bouygues, et sur injonction de l'État les chantiers vont redémarrer. Tant mieux.
Mais il faut aussi laisser les études se poursuivre ! Les 150.000 architectes et ingénieurs qui sont actuellement en étude sont bloqués par le report systématique des candidatures aux appels d'offres, des remises d'offres finales et des consultations publiques de concours d'architecture. Il est stupéfiant de voir la maîtrise d'ouvrage publique tout stopper comme s'il y avait un lien entre notre activité et celle du Covid-19. Elle précipite la crise du BTP. C'est une bêtise de la part de certains architectes d'avoir demandé ce report. Même un report d'un ou deux mois n'est pas une bonne chose. Car tout ce qui fabrique en amont la future commande est stoppé. C'est d'autant plus catastrophique que la profession s'est organisée, conformément aux recommandations de l'État, pour maintenir l'activité, par le télétravail. Il faut laisser études se poursuivre, faire redémarrer les chantiers et, troisièmement, instruire les permis de construire.

Après avoir fortement prolongé les délais d'instruction, justement, le gouvernement vient de revoir sa copie. Est-ce de nature à vous rassurer ?

R.R. : Le mal est fait. L'instruction des permis de construire est pétrifiée pour plusieurs mois, donc la maîtrise d'ouvrage privée est elle aussi paralysée. C'est donc déjà plusieurs mois d'arrêt total. Les conséquences du décalage de démarrage d'opération seront dramatiques.

 

"Les architectes ont peur. Le silence est pesant."

Quelles seront les conséquences pour la profession ?

R.R. : Les conséquences vont être terribles pour les agences. Nous avons des salaires qui tournent à vide. Les grosses structures sont tranquilles, elles peuvent faire du chômage partiel. Mais pour tous les architectes qui courent après les honoraires, ce sera catastrophique. Et on parle là d'une bonne moitié de la profession. Les dégâts sont déjà là. J'ai 36 collaborateurs, et je ne suis pas rassuré. Ce mauvais coup porté à nos professions aura des conséquences inchiffrables car nous sommes à l'origine du calendrier du déclenchement opérationnel des ouvrages. Les architectes ont peur. Le silence est pesant.

Et pour l'économie en général ?

R.R. : L'État a bloqué trois ou quatre mois d'activité du BTP, qui représente 7 ou 8 millions d'emplois. A la clé, c'est l'effondrement des recettes fiscales qui le guette. Si l'on ajoute l'indemnité du chômage partiel qui représente en tout 28 milliards d'euros par mois, on se trouve dans un crash colossal. Le président a dit que l'État assumera quoi qu'il en coûte, c'est une erreur. Les plus riches en profitent. Mais ce ne sont ni des architectes, ni des ingénieurs...

 

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