Le nouveau siège social du joaillier Cartier, dessiné par l'architecte catalan Ricardo Bofill, est en cours de réalisation. Situé dans l'ancienne cité du Rétiro, à Paris, le groupe Unibail réalise-là une opération de haut standing. Le façadier Gartner invente, pour l'occasion, un nouveau type de façade-légère VEC, ni cadre, ni grille, ni échelle : la façade-monture.

Le projet de la cité du Rétiro, conçu par Ricardo Bofill, donne l'impression qu'il a été dessiné pour nous. "La diversité des façades répond parfaitement au savoir-faire spécifique de notre société ", Joost Theunis, responsable du projet pour le façadier Gartner, s'étonne d'une telle complémentarité.

Le projet, en cours de réalisation pour le compte du groupe Unibail à Paris, exprime clairement les compétences de son bureau d'études hollandais. Placé sous le signe du luxe - le futur locataire sera le joaillier Cartier - le projet est d'exception. D'autant que l'architecte catalan, Ricardo Bofill, connu en France pour ses réalisations à Montpellier et à Paris, a placé la barre très haut : " Le projet de la cité du Rétiro a été pensé comme une innovation spatiale et technique à partir de la mémoire des espaces intériorisés parisiens. "

2 300 m2 d'enveloppe ciselée comme de l'orfèvrerie

Façade courbe à facettes, verre collé monté sur une ossature façon monture, verre serti de capotage poli miroir, modénature ciselée comme une griffe sur le verre : le traitement de la façade "Colonnade" rappelle un travail de joaillerie. Représentative de l'ensemble de l'opération, cette enveloppe se développe selon une courbe de 245 mètres de rayon sur 54 mètres de long.

Ainsi, avec ses 1 900 m2 de superficie (l'enveloppe est appliquée sur d'autres parties de l'opération portant la superficie à 2 300 m2), c'est la plus grande façade mise en place sur le chantier. La plus innovante, à coup sûr, grâce à l'invention d'un nouveau mode de façade légère. S'inspirant des trois techniques traditionnelles (à bâti-cadre, à ossature grille et à échelle), Gartner invente un nouveau principe de mise en oeuvre : des modules, entièrement préfabriqués en atelier, viennent se suspendre au nez de plancher les uns à côtés des autres par un système d'emboîtement.

Ce système présente de multiples avantages : élimination de la grille, abolition de la fixation du bâti-cadre sur l'ossature et absence de la réalisation de la jonction étanche. Trois opérations souvent coûteuses, dispendieuses en temps et sources de mauvaise finition.

Un mur-rideau façon monture

Comme pour la joaillerie, les éléments de cette façade colonnade sont usinés finis (prêt-à-poser), puis assemblés in-situ afin d'assurer un rendu de l'enveloppe de type carrosserie (éléments de fixation cachés, continuité visuelle). Pour mettre en oeuvre de tels éléments, le façadier a conçu un nouveau type de mur-rideau : l'ossature porteuse constitue en même temps le cadre VEC et les montants assurent, en standard, le dispositif de jonction.

En somme, Gartner invente un système de monture des vitrages à la manière des verres de lunette ou des pierres montées sur une bague. En effet, dans l'une comme dans l'autre technique, l'élément porteur constitue en même temps le cadre de fixation et le rendu esthétique guide l'ensemble de la fabrication et du montage.

Ainsi, la perspective habituelle de système hiérarchisé (en structure primaire et secondaire, voire tertiaire) est renversée au profit d'un système à répartition de tâches. Chaque élément joue un rôle bien défini par rapport à une contrainte, tout en intégrant des fonctions multiples de structure, de remplissage, d'attache et de finition. La création d'un tel système a été rendue possible par la disposition architecturale de la façade.
En effet, en raison de la facétisation de la paroi, le poids se répartit d'une manière homogène. Cette disposition permet d'affiner la structure porteuse et, ainsi, de lui faire jouer d'autres rôles. La répartition des tâches se conforme d'ailleurs à une sélection précise des matériaux : sabots d'acier faisant office d'organe de suspension ; profilés aluminium, d'éléments de monture et volumes verriers, remplissant une fonction de rigidité.

Des profilés porteurs en deux parties

Dans un tel système innovant de mur-rideau, trois choses sont à définir : la forme des éléments standardisés, la manière de les fixer au gros oeuvre ainsi que leur jonction. Pour les besoins de la modénature du projet, deux modules ont été créés : un trumeau composé de deux alettes accolées et une baie avec deux ouvrants, imposte et allège. Avec ces éléments, l'ensemble de la façade peut être couvert.

Dans les deux cas, les modules sont réalisés à partir de montants et de traverses spécialement extrudés pour l'occasion. Le souci premier de la conception de ces profilés a été de leur faire jouer plusieurs rôles à la fois : cadre porteur, châssis de fixation du verre et élément de finition. Ces modules ressemblent fortement à des panneaux d'un mur-rideau mis en oeuvre à échelle. Acheminés tout vitrés, ils sont directement suspendus au nez de plancher par l'intermédiaire de sabots de fixation réglables dans les 3D. Ces derniers, intégrés au gros oeuvre, permettent de reprendre les tolérances du béton tout en assurant leur parfait positionnement au nu de la façade. Pour ne pas écraser l'aluminium au niveau de ses attaches, des attelles en acier sont intégrées à l'intérieur du corps du profilé. Au moment du serrage, ces barrettes en acier reprennent les forces de compression de la fixation et de traction de la suspension.

Reste alors à assurer la jonction successive de ces éléments. Pour cela, Gartner a dessiné des demi-profilés mis en oeuvre en périphérie de panneau. Une fois ajustées, ces deux moitiés de profilés reconstituent la forme d'un montant continu. Afin d'assurer leur étanchéité, deux joints sont clipés à l'intérieur au fur et à mesure.

Emmanuel Vicarini


Nouveau siège social Cartier

- Lieu : rue d'Anjou, rue de Surène, rue Boissy d'Anglas, rue du Faubourg Saint-Honoré
- Maîtrise d'ouvrage : SNC Sogec ; mandataire, Arc 108
- Maîtrise d'oeuvre : Ricardo Bofill, Taller de Arquitectura assisté de Ramon Collado
- Maîtrise d'oeuvre d'exécution : CALQ - Architecture
- Programme : construction de 5 bâtiments de 6 étages sur 3 niveaux de sous-sols à usage de bureau (23 424 m2 Shon), d'activité (149 m2 Shon) et parkings (242 places)
- Surface : terrain, 6 192 m2 ; Shon créée, 20 185,5 m2 ; hauteur du projet, 23,50 m
- Calendrier : PC, 13 janvier 2000
- Coût : 7 000 k euros HT
- Entreprise : Façade Gartner




Sept différents types de façades

Façade double-peau, VEA, VEC, menuiserie traditionnelle : avec une dizaine de techniques de mise en oeuvre des façades, le chantier de la cité du Rétiro fait figure de cas d'école.

Les différentes technologies soulignent la variété des interventions : rénovation, réhabilitation et construction neuve. " Les espaces publics sont articulés et forment un ensemble unique et varié, expliquent les architectes. Les perspectives ont été volontairement cassées pour donner une sensation de paix et de variation en fonction du mouvement, pour obtenir une séquence spatiale et temporelle changeante et dynamique. Une architecture qui tient compte du mouvement, en construisant des articulations, de sorte que le spectateur ait constamment une perception différente de l'espace". Chaque façade correspond à un endroit et à une articulation précise entre plusieurs ouvrages. La façade "Colonnade" (voir plus haut) constitue l'élément fédérateur de l'ensemble. Avec ses 2 300 m2, elle met en oeuvre des doubles-vitrages montés en VEC avec des ouvrants à la française. Elle a fait l'objet d'une ATEx comme la façade "Maison". Cette dernière, en effet, repose sur le même principe constructif. Façade plus sobre, elle devait assurer la transition entre l'espace de la rue et l'intérieur de l'îlot.

De la façade "Maison" à la façade "Cube"

Mais, l'architecte des bâtiments de France a réclamé moins de surface vitrée et plus de pierre. Ce qui a donné la façade de type "pierre agrafée". À elles-deux, elles forment un ensemble de 1 900 m2. Encadrée par ces dernières façades, la double-peau est mise en oeuvre sur environ 1 000 m2. Elle sert d'élément signalétique dans l'alignement du passage d'accès depuis la rue Boissy d'Anglas. La peau extérieure est constituée de panneaux de simple vitrage feuilleté pris en feuillures haute et basse. La peau intérieure est constituée de double-vitrage monté sur châssis en aluminium à coupure thermique.
Rappelons que Gartner est spécialiste de cette technologie. Positionné sous la pergola, la façade "Cube" se développe sur 800 m2. Façade plus classique, elle est constituée de double-vitrage sur menuiserie aluminium et d'habillage en verre opaque ou translucide suivant les cas. Les derniers types de façades sont plus disparates : la façade "arrière" est faite de châssis aluminium et de pavés de verre et la façade passerelle est composée de simple vitrage suspendu en feuillures haute et basse.

Dans ce projet, le verre tient une place entière. Il sert autant la technique que l'esthétique. L'idée étant d'obtenir une peau qui change de couleur et modifie les perceptions. L'évolution historique des vitrages se retrouve ici, comme le souligne l'architecte Ramon Collado : " Depuis la crise pétrolière, au début des années 1970, les façades en verre réfléchissant sont devenues des façades en verre transparent avec de meilleures caractéristiques d'isolement. Par contre, dans ce cas, la réticule de façade se voit par transparence. Il a donc fallu réduire son impact en l'épurant, tout en sélectionnant plus précisément les matériaux et les couleurs." Cette philosophie d'un verre choisi en fonction de sa couleur est poussée ici à l'extrême pour créer une peau changeante.

12 verres différents sur une même façade

Sur la seule façade "Colonnade", 12 types de verre différents sont appliqués : depuis un simple vitrage trempé de 6 mm sérigraphié à 100 % au double-vitrage 6/12/6 transparent en passant par des taux de remplissage variés (30 % ou 45 %). À d'autres endroits, des verres phoniques (40 dB) sont installés (variation de la lame d'air de 8, 9, 12 ou 24 mm. En allège, des vitrages de sécurité sont mis en oeuvre (feuilleté 6/6/2 en face intérieure).

Dans ce projet très soigné, la sérigraphie joue un rôle très fort de décoration. " Les architectes voulaient obtenir une trame opaque translucide, explique Joost Theunis. Dans la sérigraphie à 100 %, ils désiraient obtenir une sorte d'opalescence qui n'est pas allée sans problèmes." La fabrication d'une sérigraphie aussi fine et spécifique (point rond de 1,5 blanc laiteux), impossible en France, fut réalisée en Espagne. De plus, à cause de l'opalescence, les verres portaient le fantôme des fixations de l'isolant et un certain moirage, dû au kraft de la laine de verre. Ces deux éléments ont été peints pour remédier à ces inconvénients.
E. V.

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