PRECONISATIONS. Pour mieux cibler sa réforme de l'Etat, le gouvernement a demandé à un groupe de spécialistes, le Comité action publique 2022, de plancher sur des pistes d'économies pour réduire de 30 milliards d'euros le déficit public à horizon de 2022. Le rapport a fuité, et les 22 propositions sont désormais connues. Tour d'horizon des mesures concernant le BTP, le logement, l'énergie et les transports.

Emmanuel Macron a promis une réforme de l'Etat, de ses institutions et de son fonctionnement. Pour guider son action, le gouvernement d'Edouard Philippe a demandé à un groupe de spécialistes, le Comité action publique 2022, de se pencher sur des pistes d'économies qui permettraient, in fine, de réduire de 30 milliards d'euros le déficit public à horizon de 2022. Depuis déjà plusieurs jours, le travail des experts étant terminé, nombre de personnalités et de structures demandaient que les 22 propositions contenues dans le rapport du Comité soient publiées, mais l'exécutif refusait. Le syndicat Solidaires-Finances publiques n'en a eu cure et a décidé de dévoiler les résultats tant attendus. Sur les 22 préconisations du rapport, un certain nombre concernent le BTP, le logement, l'énergie, les transports, les partages de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales… Batiactu fait le point sur les pistes qui sont envisagées. L'Union sociale pour l'habitat (USH) a d'ores et déjà fait état de son opposition aux mesures présentées (voir encadré en fin d'article), tandis que Matignon accueillait ce 25 juillet la Conférence nationale de l'administration territoriale de l'Etat, portant sur la transformation des services publics.

 

Le bâtiment / le logement

 

Tout d'abord, le rapport CAP 22 rappelle que la France consacre davantage de ressources à la politique du logement que les autres pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), ces sommes allouées ayant même progressé d'environ 50% en 10 ans. Une augmentation qui s'expliquerait par des régimes d'aides favorables, particulièrement au niveau fiscal, mais aussi par une hausse des volumes de logements aidés et par le rôle "d'amortisseur social" joué par le système des aides à la personne. Le Comité affirme en outre que "si le logement en France est souvent décrit comme 'en crise', il ne s'agit pas d'une crise globale, mais de crises extrêmement aiguës dans certaines zones localisées", les marchés immobiliers et les catégories de populations étant parfois sensiblement différents d'une région à une autre, ou au sein d'une même région.

 

 

Dans ces conditions, il ne peut y avoir "une réponse homogène" de la puissance publique, notamment dans les zones tendues "où le développement d'une offre nouvelle est limité par la rigidité de l'offre foncière". Pointant le manque de logements dans ces zones, le rapport met en exergue les conséquences d'une telle situation : une densification très (voire trop) forte, une inflation importante, des propriétaires qui "profitent" de l'empilement des dispositifs soutenant l'offre comme la demande, un problème de réhabilitation du bâti, notamment sur le plan énergétique…

 

Toujours est-il que pour augmenter les mises en construction et les réhabilitations, tout en limitant le coût des politiques publiques, le Comité propose plusieurs réformes :

 

- Faire de l'échelon intercommunal le niveau opérationnel de l'ensemble des politiques locales d'urbanisme et de logement, et notamment de l'instruction et de la délivrance des permis de construire ;

 

- Transférer les compétences d'aides à la pierre au niveau régional ou métropolitain, en parallèle du transfert de responsabilité du droit au logement opposable et de l'hébergement. Le cas particulier de la région Ile-de-France devra être traité séparément, dans l'optique de déterminer le niveau de transfert le plus pertinent ;

 

- Etablir un cadre juridique et fiscal pérenne pour l'investissement locatif privé, ce qui passerait par : la suppression des régimes d'exception comme le Pinel ou les locations meublées non-professionnelles ; la création d'un régime de droit commun unique pour les investisseurs autorisant la déduction des charges de propriété et d'un amortissement ; l'interdiction de l'imputation des déficits fonciers sur les autres revenus catégoriels ; l'interdiction de l'imputation des intérêts d'emprunt dans le revenu imposable ; l'élargissement du régime du micro-foncier à une assiette de recettes brutes de 30.000 € en augmentant le taux forfaitaire de déduction à 35% ;

 

- Fluidifier les parcours résidentiels pour améliorer l'accès au parc social des familles les plus nécessiteuses : atténuer la frontière entre parc public et parc privé pour les ménages bénéficiant de revenus suffisants ; favoriser la péréquation entre les bailleurs du parc social ;

 

- Remédier aux distorsions de l'aide personnalisée au logement (APL) selon la nature des revenus ;

 

- Normaliser l'action publique en matière de financement du parc social : transformer les statuts de l'ensemble des bailleurs sociaux en statuts commerciaux ; responsabiliser les acteurs en cas de recours au soutien financier de la Caisse de garantie du logement locatif social ; transformer le "1% logement" en ressource fiscale et diminuer simultanément le montant prélevé sur les entreprises.

 

Selon le Comité, cette batterie de mesures garantirait 1,4 milliard d'euros d'économies à l'Etat, tout en rendant plus efficiente la politique du logement : les délais d'obtention d'un logement social seraient réduits, tandis que le nombre de permis de construire délivrés dans les zones tendues augmenterait.

 

Les transports / l'énergie

 

Ce sujet, intimement lié aux compétences des collectivités territoriales, constitue un autre axe majeur du rapport CAP 22. Celui-ci affirme, à propos des doublons administratifs et du partenariat entre l'Etat et les collectivités, que "toutes les réformes conduites depuis 2009 se sont attachées à modifier les structures, sans réellement interroger la nature des missions respectives de l'Etat et des collectivités territoriales". Estimant que "faute d'une vision claire sur le 'qui fait quoi' et, au-delà, sur le 'qui est le plus outillé et légitime pour faire quoi', les réformes sont restées au milieu du gué, chacun des acteurs s'estimant légitime à intervenir sur tout", le Comité souligne par ailleurs que "les différentes vagues de transferts de compétences n'ont pas permis de clarifier les rôles entre l'Etat et les collectivités", l'Etat "[n'abandonnant] jamais véritablement une compétence".

 

Un constat qui a pour conséquences de créer des doublons et de rajouter une couche de complexité et de lenteur administratives, d'engendrer des coûts supplémentaires, une "dilution" des responsabilités et des ressources, ainsi qu'un "malaise au sein des services de l'Etat". A l'issue de cet état des lieux, le rapport fixe pour objectif à l'Etat de "renoncer entièrement aux compétences qu'il a décentralisées", d'envisager de nouveaux transferts ou, dans certains cas, de recentraliser certaines compétences. Le Comité formule ainsi les préconisations suivantes :

 

- Dans le domaine du transport ferroviaire, donner aux régions tous les leviers pour mettre en œuvre une offre de transport de qualité à un coût maîtrisé. Concrètement, il s'agit de transférer aux régions la responsabilité totale du financement du réseau ferroviaire régional, en arrêtant les cofinancements dans le cadre des contrats de plan Etat-régions (CPER), d'accompagner l'ouverture à la concurrence des trains express régionaux (TER) et de rationaliser les services ferroviaires ;

 

- Dans le domaine du transport routier, remettre en cohérence le réseau routier national en transférant aux départements les routes qui ont perdu leur vocation de desserte nationale, soit jusqu'à 2.000 km ;

 

- Dans le domaine des transports en général : augmenter la contribution des usagers pour mieux tenir compte des coûts directs et indirects, et ce, suivant deux orientations. D'abord, favoriser la mise en œuvre d'un péage urbain dans les principales métropoles, de manière à limiter la congestion et la pollution, et à inciter à l'utilisation des transports en commun. Ensuite, instaurer au niveau national une vignette poids lourds pour l'usage du réseau national non-concédé afin de décourager l'utilisation de ces routes par les véhicules les plus lourds, qui polluent et endommagent davantage les infrastructures ;

 

- Dans le domaine de l'énergie : donner un plus grand rôle aux régions afin, entre autres, de réorganiser les services de distribution. Les circuits de financements du Fonds d'aide aux collectivités pour l'électrification (Facé) devraient être simultanément rationalisés et simplifiés.

 

D'une manière générale, le Comité CAP 22 propose donc de mettre en place une logique de partenariat sur-mesure, et de procéder à des délégations de compétences entre l'Etat et les collectivités sur la base de contrats de territoire élaborés au niveau régional, en coordination avec le préfet de région et le président du conseil régional. Des mesures qui feraient économiser un milliard d'euros aux acteurs publics pour le volet "supprimer les doublons", et plus de 2,3 milliards pour le volet "faire payer directement l'usager pour certains services publics". Le rapport conclut qu'une partie de ces 2,3 milliards pourra être affectée à des baisses d'impôts ou à une amélioration des services publics concernés.

 

Une réunion à Matignon sur la transformation des services publics

 

Quoi qu'il en soit, quelle est la prochaine étape de ce fameux rapport CAP 22 ? L'exécutif ne prévoyait visiblement pas que le document soit rendu public aussi tôt et dans de telles conditions. Les réactions et commentaires ont été très rares sur le sujet, d'autres actualités monopolisant de surcroît la communication gouvernementale… Dans tous les cas, le Premier ministre doit désormais plancher sur les propositions et rendre des arbitrages.

 

Ce 25 juillet, s'est tenue à Matignon la Conférence nationale de l'administration territoriale de l'Etat, durant laquelle Edouard Philippe a présenté les grands axes de la transformation de l'organisation territoriale des services publics, un autre volet du chantier "Action Publique 2022" lancé par le gouvernement. Cette évolution doit reposer sur trois principes, à savoir : partir des attentes des citoyens, se positionner au plus près du terrain (en privilégiant un exercice des missions au niveau départemental et infra-départemental), et encourager la différenciation (en permettant aux services déconcentrés de l'Etat de s'adapter aux particularités de chaque territoire).

 

S'agissant des "chantiers" qui vont émailler la transformation, le chef du gouvernement a déclaré qu'il fallait d'abord renforcer l'Etat sur ses missions "cœur de cible", autrement dit la sécurité, le contrôle, ainsi que la prévention et la gestion de crise. Vient ensuite la nécessité, pour l'exécutif, de conférer davantage de marges de manœuvre et de pouvoir décisionnel aux préfets et acteurs locaux. Dernier chantier : repenser l'offre de services publics de proximité. Concrètement, le gouvernement souhaiterait déployer des "guichets multiservices et polyvalents communs à l'Etat, aux collectivités et aux opérateurs", assurant aux usagers la possibilité de réaliser la plupart de leurs démarches en un seul et même lieu.

 

Edouard Philippe a demandé aux préfets de région d'amorcer le travail de concertation avec toutes les parties prenantes. Les préfets de région doivent rendre leurs propositions mi-octobre prochain, de manière à ce que des décisions soient prises avant la fin de l'année. Affaire à suivre donc.

 

 

L'Union sociale pour l'habitat dénonce "une nouvelle attaque à l'encontre du logement social"

 

Dans un communiqué de presse paru ce 25 juillet, l'Union sociale pour l'habitat (USH) réagit aux préconisations du rapport CAP 22 : ce dernier constituerait, selon l'organisation, "une nouvelle attaque à l'encontre du logement social, de ses acteurs et des millions de locataires du parc social". Quatre propositions cristallisent particulièrement l'inquiétude de l'USH :

 

- La diminution et la fiscalisation du "1% logement" : les bailleurs sociaux estiment que le Comité remet ainsi "en cause la participation des entreprises au financement de la politique du logement, et notamment celle en faveur des ménages aux revenus les plus modestes" ;

 

- La hausse du surloyer s'ajoutant au loyer pour les porter au niveau des loyers privés dans les zones tendues : l'USH considère que cette décision "reviendrait à nier le rôle-même du logement social, qui est précisément de proposer des logements abordables à celles et ceux qui peinent à se loger décemment aux conditions du marché" ;

 

- L'instauration d'une allocation sociale unique, englobant les aides au logement : pour les bailleurs sociaux, cette mesure n'aurait "d'autre objectif que de réduire les sommes consacrées à la solidarité nationale" ;

 

- L'assujettissement des organismes HLM à l'impôt sur les sociétés : cette préconisation reviendrait à "pousser à la hausse les loyers dans le parc social, puisque l'exonération fiscale participe à la construction des loyers à bas niveau".

 

Jean-Louis Dumont, président de l'USH, affirme que "le patrimoine de la nation qu'est le logement social, constitué au fil des années par les loyers des locataires, par l'effort de l'Etat, des collectivités locales et des partenaires sociaux, par l'épargne populaire, n'a pas vocation à être vendu à des fonds de pension, mais à continuer à être entretenu et développé pour les ménages modestes d'aujourd'hui et demain".

 

Dénonçant "l'absence de représentants du monde du logement social" au sein du Comité action publique 2022, Jean-Louis Dumont assène : "Les propositions de ces experts triés sur le volet ont le mérite de la cohérence : pas une seule fois le rapport ne parle de mixité sociale, pas une seule fois le pouvoir d'achat des locataires aux revenus modestes n'est considéré". Le président de l'Union nationale des fédérations d'organismes HLM conclut : "Je veux croire que le président de la République, le gouvernement et le parlement ne prendront pas la responsabilité de porter un nouveau coup à un secteur dans lequel 1 Français sur 2 vit ou a vécu […]".

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