Avec les nouvelles propriétés des bétons ultra-hautes performances, ce matériau est en passe d’acquérir une vraie légitimité dans le design et la décoration. En témoignent plusieurs créations originales en Ductal ou en Ceracem présentées au salon du meuble de Paris.

L’édition 2005 du salon du meuble de Paris ne restera certainement pas les annales comme une grande année. Tout d’abord, sur le plan économique, après deux années de baisse, le marché français du meuble - qui profite de la bonne santé de l’immobilier - retrouve enfin le chemin de la croissance, mais cette reprise ne profite pas aux fabricants français, concurrencés par les pays de l’Est et la Chine. Sur le plan de la création, la tendance est à une certaine atonie, avec la confirmation d’un retour aux années 70-80, particulièrement marquant chez l’éditeur Cinna. Au niveau des matériaux, le Corian confirme son potentiel créatif et la tendance va vers un développement de l’impression de motifs très colorés sur toutes sortes de surfaces. Mais la véritable surprise de cette édition vient d’un matériau inattendu dans la catégorie mobilier : le béton.
Certes on connaissait les possibilités créatrices des bétons hautes performances, avec quelques expériences intéressantes en architecture (comme la Tower Flower à Asnières d’Edouard François), mais depuis cette année, plusieurs designers ont choisi d’explorer cette voie.
"Depuis 5-6 ans, des bétons comme le Ductal ou le Ceracem existe sur le marché, mais ce qui est intéressant c’est que ces matériaux sont passés récemment de la catégorie béton à une nouvelle catégorie, complètement nouvelle" constate Quentin Hirsinger, président de Matério, un service d’information sur les matériaux innovants. "C’est une famille qui est assez bluffante, notamment par ses qualités techniques comme la résistance ou la durabilité" poursuit-il.

Issue d'une collaboration entre Lafarge, Rhodia et Bouygues, le Ductal est un des chef de file de cette nouvelle famille de béton. Commercialisé en France depuis 4 ans par Lafarge Ciments, il atteint une résistance élevée à la compression (qui peut dépasser 200 MPa) et à la flexion (de 20 à 50 MPa). Il possède également une résistance au jeune âge de 100 MPa à 24 heures. La compacité de ce nouveau matériau lui confère des qualités de durabilité exceptionnelles par rapport à celles des matériaux habituellement utilisés en construction affirme l'industriel. Elles sont identiques à celles d’un matériau non perméable : absence quasi-totale de risques de carbonatation, de pénétration des chlorures et sulfates, excellente tenue au gel-dégel, résistance améliorée aux agressions acides. La résistance à l’abrasion du matériau est comparable à celle du granit.
Par ailleurs, les constituants ultra-fins du Ductal (les plus fins étant bien inférieurs au micron) permettent une mise en oeuvre auto-plaçante du matériau ainsi que la reproduction très fidèle des textures à partir de la matrice de fond de moule.

Ces qualités, le sculpteur et architecte d'intérieur Francesco Passaniti a su se les approprier très vite. "Il y a deux mois, je ne connaissais pas les possibilités créatrice des bétons à ultra-hautes performances, mais lorsque Lafarge est venu me présenter le Ductal, j'ai rencontré là un matériau hors du commun" se souvient-il.
L'artiste travaille le béton depuis plus de 8 ans, et les qualités structurelles du Ductal lui permettent notamment de se passer des armatures utilisées généralement en béton armé et rendent possible la réalisation d'éléments de très faible épaisseur. Il peut combiner ainsi solidité et légèreté des structures, créer des formes plus élancées et dynamiques. Par ailleurs, la finesse des composants de ce matériau nouvelle génération permet une mise en oeuvre aisée et une reproduction très fidèle de textures à partir de la matrice de fond de moule. "Autre avantage de ce matériau, on peut le démouler seulement après 16 heures" témoigne-t-il.

Aidé de son frère, Ugo Passaniti, pour la création des différents moules et la réalisation de multiples tests, le créateur a, en deux mois, imaginé trois applications de ce matériau qu'il a pu présenté au salon du meuble.
Francesco Passaniti s'est tout d'abord tourné vers la salle de bains, pièce de la maison accueillant aujourd'hui naturellement le béton. Il a créé une ligne composée d'une pièce maîtresse - une baignoire baquet rectangulaire - ainsi que d'une vasque et d'un receveur de douche carrés.
Les lignes sont d'une grande pureté. La forme conique, simple et rectiligne, correspond parfaitement à la fonction des objets créés. Les parois ultra-fines donnent à l'ensemble une forme élancée.
Francesco Passaniti a également signé une ligne de mobilier - chevet, banc et modules pour bibliothèques - ainsi que des dalles de revêtement de sols bicolore, gris et blanc, telle la parure d'une vache. Carrées (1 x 1 m), elles donnent la sensation, une fois posées, d'un sol coulé en place. D'une épaisseur de 15 mm et légères (30 kg), elles peuvent habiller tous les sols, en secteur tertiaire comme en résidentiel, en neuf comme en rénovation. "On retrouve la sensation des sols coulés, sans les inconvénients" assure Francesco Passaniti.

Au Design Lab de la Métropole du Salon du Meuble de Paris 2005 - un espace consacré à la recherche - Olivier Chabaud et Laurent Lévêque, architectes et designers du Studio Màss présentait également du mobilier en Ductal avec un nouveau concept d'aménagement de l'espace urbain.
Les deux designers ont ainsi créé un nouveau vocabulaire d'objets : banc, banquette, panneaux séparateurs, grille d'arbre...
Chaque pièce est issue d'un même moule qui, grâce aux performances du Ductal, peut prendre de multiples formes. Le module principal est une feuille plane ajourée, sorte de dentelle de béton, déformable dans l'espace. Equilibre entre vide et plein, finesse et robustesse, elle donne le sentiment que la matière s'est figée dans l'instant dans un irrésistible élan.
Olivier Chabaud et Laurent Lévêque ont conçu chacun des modules pour qu'ils puissent se marier l'un à l'autre, de quelque côté que ce soit, sans aucune limite.
Courbée et posée sur un socle dont la matière (bois, béton, métal) est dictée par l'environnement, la feuille de béton se fait banc. Retournée et couplée, elle devient banquette, table basse ou pouf géant...

Un autre béton à hautes performances était également représenté au salon du meuble : le Ceracem. Conçu cette fois par Eiffage et commercialisé depuis 2001 par Sika, le Ceracem est une céramique de ciment coulé à froid. "Ce matériau inorganique possède des propriétés comparables à la céramique industrielle" affirme Sika.

Damien Guesnier vient de créer sa structure - Vince et Noa - exclusivement dédiée à l'édition de meubles en béton. Pour sa première exposition au salon de Paris, le créateur présentait une table monumentale en Ceracem et inox, et une bibliothèque mêlant le béton UHP et le Corian. Damien Guesnier s'est associé à un industriel spécialisé dans le prémur béton et il dispose ainsi d'un outil de production permettant de proposer des prix à un large public.
Sur le stand situé juste en face, Serge Atallah de ASE Product et Pascal Dupont de B-Ton Design présentaient une chaise longue, aux formes pures et élancées, également en Ceracem. Cette chaise, appelée SLIM, réunit des caractéristiques généralement peu attribuées au béton, à savoir confort, esthétique, ergonomie et finesse. "Les béton à hautes performantes comme le Ceracem sont désormais une alternative au bois, au verre et même au Corian" explique Pascal Dupont. Ce professionnel - qui a ouvert il y a deux ans à Paris un show room consacré au béton et un site internet www.btondesign.com - témoigne d'un véritable engouement du grand public pour le béton. "La possibilité de faire facilement du sur-mesure y est pour beaucoup" explique-t-il.

Simple effet de mode ou tendance de fond. Il est encore certainement trop tôt pour le dire, mais une chose est certaine, le béton UHP s'est offert une vraie légitimité dans la décoration. Pour preuve, toujours au salon du meuble, Roxipan présentait ces panneaux composites à "ambiance béton". Destinés à l'agencement, il s'agit de panneaux de particules - renforcés par une feuille de mélamine - revêtus d'une couche de micro-béton de 2 mm.
"Le béton est aujourd'hui clairement dans l'air du temps et même s'il ne s'agit que d'un effet de mode, il en restera toujours quelque chose de positif" conclu, un brin philosophe, Pascal Dupont.

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