ENTRETIEN. Le nouveau président de la Fédération française du bâtiment, Olivier Salleron, prend ses fonctions ce 12 juin 2020. Élu en plein confinement, le 20 mars dernier, il dresse le bilan de cette période et propose des voies de sortie rapide de crise.

C'est ce que l'on appelle être plongé dans le bain : Olivier Salleron, nouveau président de la FFB, a été élu le 20 mars dernier, en plein confinement, et à l'aube d'une probable crise économique d'ampleur. Il a pris officiellement ses fonctions ce 12 juin 2020. Quels enseignements tire-t-il de cette période, et quelles seront ses priorités pour les mois et les années à venir ? Il a reçu Batiactu dans les locaux parisiens de la FFB pour détailler sa vision, dans laquelle le numérique et les travaux de rénovation énergétique jouent des rôles primordiaux pour à la fois retrouver la voie de l'activité et attirer de jeunes talents.

 

Batiactu : Vous avez été élu président de la FFB le 20 mars, en plein confinement. Comment s'est déroulée votre prise de fonction en cette période exceptionnelle ?

 

Olivier Salleron : J'ai été plongé dans l'action dans les heures qui ont suivi mon élection, en intégrant l'équipe de la fédération, avec l'ensemble des directeurs, dans la cellule de crise. Pendant huit semaines, nous avons enchaîné les réunions à distance et les appels pour suivre, malheureusement, l'évolution du covid-19, du confinement, et l'état de entreprises et des chantiers. Notre premier objectif a été de faire en sorte de pouvoir retourner au travail en toute sécurité, nos salariés et nous, le plus rapidement possible. Il nous a fallu également rassurer les adhérents, les tenir informés de ce qu'il se passait, les renseigner sur le plan juridique, sur leurs responsabilités. La participation à la réalisation du guide de l'OPPBTP a bien sûr constitué un objectif prioritaire. Nous avons dû échanger jours et nuits entre plusieurs acteurs impliqués : trois organisations patronales, cinq syndicats de salariés, quatre ministères… Le document a finalement été publié le 2 avril, en n'étant malheureusement pas signé par toutes les organisations salariales.

 

Batiactu : Comment se sont organisés les contacts avec les pouvoirs publics durant la crise ?

 

O.S. : Jacques Chanut m'a imposé en duo dès les premières minutes, et nous avons été en contact quotidien avec les pouvoirs publics pour sortir de la phase de confinement 'dur', et entamer une reprise rapide des chantiers. Nous avons notamment beaucoup échangé avec la secrétaire d'État à la Transition écologique et solidaire, Emmanuelle Wargon. Nos discussions ont notamment permis d'aboutir à la diffusion d'une lettre, signée par les ministères, encourageant les clients particuliers à nous rouvrir leurs portes pour reprendre certains travaux de rénovation [lire notre article ici, NDLR]. Dès le début du mois de mai, une grande majorité d'entre eux ont d'ailleurs recommencé à nous accueillir chez eux, si bien qu'aujourd'hui ce n'est plus un problème. Je salue l'efficacité du Gouvernement sur ce point.

 

Batiactu : Aujourd'hui, l'État parle de 15% de chantiers de Bâtiment qui n'auraient pas repris. Cela correspond-il à ce que vous récoltez comme données ?

 

O.S. : En province, je dirais que 95% des chantiers ont repris, peut-être davantage. Dans certaines métropoles, les situations sont parfois plus complexes. Certains chantiers sont particulièrement délicats à faire repartir, comme les interventions en hôpital ou en Ehpad.

 

Le surcoût covid-19, "entre 5 et 15% du prix du marché"

 

Batiactu : Comment se décomposent les surcoûts covid sur les chantiers ?

 

O.S. : Vous avez une série de surcoûts fixes, au quotidien, que nous évaluons à 2,5 - 3% du prix du marché signé avant covid. Ce sont les EPI, la désinfection des équipements, le transport des équipes (puisque pendant un certain temps nous n'avons pu entrer à deux dans une même camionnette)… Puis vous avez le surcoût lié au nouveau mode d'organisation des chantier : moins de coactivité, mise en place des cheminements, moins de salariés sur site pour éviter les croisements… Donc au final, perte de temps et perte d'argent. Nous chiffrons ce type de surcoûts à environ 10%. Tous types de surcoûts et de chantiers confondus, nous arrivons à un chiffre oscillant entre 5 et 15% du prix du marché signé. Charge à nous, à présent, de négocier cela avec nos clients, la maîtrise d'œuvre et la maîtrise d'ouvrage publique.

 

Batiactu : Qu'en est-il de la maîtrise d'ouvrage privée ?

 

O.S. : Dans ce cas, plusieurs chartes régionales ont été signées en logement, même si malheureusement certains promoteurs ont été bloqués par leur fédération au niveau national. Nous devons, dans ce cas, négocier au cas par cas, chantier par chantier, maître d'ouvrage par maître d'ouvrage.

 

"Nous demandons l'annulation des charges fiscales et sociales jusqu'à la fin de l'année 2020"

 

Batiactu : Le Gouvernement vient d'annoncer un pan de soutien aux entreprises de BTP. Les mesures vous satisfont-elles ?

 

O.S. : C'est totalement insuffisant. Nous souhaitons bien sûr une reprise, mais pas à n'importe quel prix, et nous attendons toujours les détails sur la participation de l'État aux surcoûts. Le Gouvernement nous propose notamment une annulation de charges sociales en mars, avril et mai pour les entreprises de moins de 50 salariés qui ont perdu plus de 50% de leur chiffre d'affaires. Cela ne devrait pas concerner un grand nombre de sociétés du bâtiment, puisqu'en mars, nous avons travaillé durant quinze jours, et qu'en mai nous avons progressivement repris l'activité. Nous ne demandons d'ailleurs pas à ce que l'État annule les charges qui datent du confinement, puisque nous avions recours, à ce moment-là, au chômage partiel. Ce que nous demandons, c'est une annulation exceptionnelle des charges fiscales et sociales jusqu'à la fin de l'année 2020. C'est à ce prix que nous dégagerons un peu de rentabilité et passerons ce cap.

 

 

Pour en revenir à l'activité partielle : c'est un dispositif qui a bien fonctionné, mais la participation des employeurs au coût s'est portée à 15% au 1er juin. C'est la double peine pour les entreprises, encore nombreuses, qui y avaient toujours recours en juin : non seulement elles ne peuvent pas reprendre l'activité comme elles le souhaiteraient, mais en plus elles prennent un coup de fusil social. Cela a été très mal accepté sur le terrain.

 

Batiactu : L'État a également augmenté d'un milliard d'euros sa dotation aux collectivités. Est-ce suffisant ?

 

O.S. : C'est une bonne décision, mais cela ne sera effectif que l'année prochaine. Or, nous avons besoin de mesures d'aide immédiates ! Nous ne souhaitons pas de reports de charges, mais des annulations. Quand nous nous retrouverons en fin d'année avec 15% de moins de chiffre d'affaires, et qu'il restera des charges en retard à payer, nos comptes passeront instantanément du vert au rouge, et cela sera la liquidation. Nous estimons que 40.000 entreprises et entre 100 et 200.000 salariés sont en danger en début d'année 2021. Dix mille sont déjà sur le carreau.

 

La FFB présentera un plan de relance fin juin

 

Batiactu : Quels seraient les moyens de reprendre rapidement une activité permettant d'éviter qu'il n'y ait trop de casse ?

 

O.S. : Nous préparons, à la FFB, ces plusieurs semaines, un plan de relance très précis que nous présenterons dans sa totalité fin juin. Ce que nous pouvons d'ores et déjà dire, c'est que la rénovation énergétique sont les travaux les plus simples et les plus rapides à mettre en œuvre. C'est pourquoi nous demandons un retour au crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), tel qu'il existait l'année dernière, et ce sur une période limitée, par exemple jusqu'à la fin de 2021. Avec MaPrimeRénov, les pouvoirs publics ont décidé de cibler les ménages les plus précaires, en réalisant des économies budgétaires puisque la somme affectée a été diminuée. Mais le défaut de ce dispositif est connu : il a sorti les ménages les plus aisés, ceux qui font le plus de travaux. Et quand leur artisan leur apprend qu'ils sont sortis du champs de l'aide financière, ces ménages décident de remettre leurs travaux à plus tard. Quant à l'efficacité de MaPrimeRénov, dont les premiers chiffres laissent à désirer [près de 3.000 primes versées à mai 2020, NDLR], nous avons pu voir sur le terrain, avant même le confinement, que les demandes de devis avaient baissé sur les travaux énergétiques, alors même que les premiers mois de l'année sont en général les plus propices à faire réaliser ce type de devis. Rétablissons donc le CITE qui a fait ses preuves : c'est le meilleur moyen de faire travailler des dizaines de milliers d'artisans, de redonner espoir à la profession, et cela rapidement.

 

L'autre défaut de MaPrimeRénov, qui avait été repéré très tôt, c'est l'existence d'un reste à charge, qui peut parfois aller jusqu'à 500, 1.000 euros… De très nombreux ménages n'ont pas les moyens de les payer. Bien sûr, l'État insiste sur le fait que le dispositif semble, pour l'instant, au niveau du dépôt des dossiers, profiter aux ménages les plus modestes ; mais nous pouvons prendre le sujet dans l'autre sens et mettre en avant tous les ménages qui sont oubliés par le dispositif.

 

"Nous risquons de perdre six mois"

 

Enfin, l'autre levier pour le redémarrage de l'activité constitue les chantiers d'été, la rénovation d'établissements scolaires notamment. Nous avons mis le paquet ces dernières semaines pour faire en sorte que toutes les opérations déjà budgétées puissent se faire. Il semble y avoir eu une prise de conscience au niveau territorial. Il faut savoir que ce type de chantiers sont très importants pour nous, ils se font très vite et apportent un bon rendement. Cette reprise dépend toutefois de la mise en place des conseils municipaux, du vote des budgets… Et nous attendons toujours le deuxième flot de communes, souvent les plus importantes, car les communautés d'agglomérations n'ont pas beaucoup fonctionné ces dernières semaines. Elles attendent que l'ensemble des maires soient élus. Nous risquons de perdre six mois.

 

Batiactu : Quelle est la situation dans les territoires les plus touchés par le covid-19 ?

 

O.S. : Les territoires les plus touchés, comme l'Est, étaient dans un premier temps très en attente du guide de l'OPPBTP. Il y a eu une forme de peur, bien compréhensible au vu des ravages provoqués par le virus. Le décès de Bernard Stalter, président de CMA France, a particulièrement traumatisé le secteur. Il va sans dire que les entreprises de ces régions sont particulièrement en attente par rapport aux aides, à la reprise, et recourent encore au chômage partiel.

 

Batiactu : Y a-t-il des éléments qui tendraient à vous rendre optimiste malgré tout ?

 

O.S. : Oui : si l'État applique l'ensemble des mesures que nous proposerons fin juin, nous serons en mesure de garder nos équipes, avec l'objectif de construire et rénover 1 million de logements par an ! 500.000 rénovations, 500.000 constructions neuves. C'est ce dont la France a besoin, relativement à la croissance de sa population.

 

Après cette crise, "veut-on continuer à assembler toute la population dans les grandes agglomérations" ?

 

Batiactu : Peut-on construire autant en respectant le "zéro artificialisation nette" (Zan) ?

 

O.S. : Après cette crise où toute la population a été confinée, voulons-nous continuer à rassembler toute la population dans les grandes agglomérations ? Ou plutôt construire intelligemment - je dis bien "intelligemment" - et rénover dans nos bourgs et nos villages ? Le plan Action cœur de ville a été lancé il y a deux ans, c'est une très bonne chose, mais les crédits ne sont pas tous dépensés. Y a-t-il vraiment un suivi ? Les acteurs locaux ont-ils pris la main ? Force est de constater qu'il a encore beaucoup de travail devant nous. Y aura-t-il vraiment, comme de nombreux acteurs du secteur y appellent, un "monde de demain", ou aura-t-on tout oublié dans six mois ?

 

Batiactu : Justement, de quelle manière le covid-19 fera-t-il évoluer le secteur selon vous ? Y aura-t-il un "avant" et un "après" ?

 

O.S. : Le covid a accéléré certaines transitions, en premier lieu le numérique dans le bâtiment. J'espère que cette crise nous fera rattraper les années que nous avons en retard. Nos grandes entreprises nous montrent l'exemple en adoptant le Bim, méthode que les PME et TPE peuvent tout à fait utiliser à leur échelle. De nombreuses subventions territoriales existent sur les formations, les logiciels, le matériel, profitons-en ! Lançons des chantiers expérimentaux. Je compte, durant mon mandat, insister sur notre commission innovation, pour vraiment lancer des projets concrets et innovants - je pense aussi au lean management, aux start-up de la construction, aux exosquelettes... N'est-ce pas le meilleur moyen d'attirer de jeunes talents ? Et de moins jeunes, puisqu'il arrive de plus en plus souvent de rencontrer des jeunes adultes, d'une trentaine d'année, se réorientant vers des métiers manuels car ils s'ennuient devant un écran. Le travail concret semble revenir à la mode depuis une dizaine d'années. Nos ouvriers sont de plus en plus techniciens, les ports de charges sont moins fréquents, les procédés de travail se motorisent : à nous de le montrer, par exemple par de grandes campagnes de communication. C'est devenu le quotidien des entreprises, aujourd'hui.

 

Batiactu : Les pouvoirs publics vont lancer de nouvelles primes pour l'embauche d'apprentis…

 

O.S. : C'est une bonne décision, tout comme celle qui permet d'embaucher un apprenti à n'importe quelle époque de l'année. Sur ce dossier, les réformes nous semblent aller dans le bon sens.

 

Batiactu : Quel message souhaitez-vous faire passer aux professionnels du Bâtiment ?

 

O.S. : Cette crise peut être l'occasion d'une prise de conscience, et pour nous cela doit constituer une formidable voie d'opportunités pour la suite. Nous devons relancer l'activité, rebondir plus fort, notamment sur la rénovation énergétique, attirer des talents, montrer un secteur du Bâtiment optimiste et dynamique. Sans notre secteur, l'économie française ne pourra pas tourner.

 


L'équipe du nouveau président de la FFB, Olivier Salleron :

 

• Conseil des Régions : Patrick RAMÉ
• Conseil des Professions : Franck PERRAUD
• Commission Développement des compétences : Marie DUPUIS-COURTES
• Conseil de l'Artisanat : Henry BRIN
• Conseil National de la Sous-traitance du Bâtiment et Commission Marchés : Christophe POSSÉMÉ
• Commission Sociale : Anthony LAUDAT
• Jeunes dirigeants et Communication : Marie-Ange GAY-RAMOS
• Commission Économique : Samuel MINOT
• Commission Transition écologique : Jean PASSINI
• Femmes dirigeantes : Valérie COPIN
• Commission Innovation et Transition numérique : Emmanuel GRAVIER
• Commission Stratégie et prospective : Edouard BASTIEN
• Développement : Frédéric CARRÉ
• Trésorier : Jacques BLANCHET

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