PROSPECTIVE. La France pourrait produire et consommer l'intégralité de son gaz grâce au développement de toutes les filières des bioénergies d'ici à la moitié du siècle. C'est en tout cas ce qu'envisage l'Ademe, dans un scénario dédié au biogaz, qui démontre la possible indépendance énergétique de l'Hexagone.

Il n'y a pas que l'électricité renouvelable dans la vie, il y a le gaz aussi ! Ce vecteur énergétique a été étudié par l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'énergie (Ademe) dans le cadre de ses scénarios d'anticipation, cette fois avec le concours de GRDF et GRTgaz, afin d'examiner la faisabilité technique et économique d'un gaz d'origine 100 % renouvelable. Et les conclusions sont claires : il existe plusieurs options pour que la France puisse couvrir seule ses besoins grâce à une production locale de biogaz. "On a un potentiel de gaz renouvelable très important, sans commune mesure avec ce qu'on exploite aujourd'hui", résume Fabrice Boissier, le directeur général délégué de l'Ademe.

 

 

Le potentiel théorique de ressources primaires identifié atteint effectivement les 460 TWh de gaz renouvelable injectable. Ce total est obtenu en identifiant le gisement mobilisable total (620 TWh) et en prenant en compte les rendements de conversion. L'Ademe et les distributeurs de gaz estiment que 30 % pourraient provenir de la méthanisation, qui convertirait des intrants d'origine agricole mais également des biodéchets et des résidus d'algues pour produire jusqu'à 140 TWh de gaz. Environ 40 % pourraient être fournis par la filière de pyrogazéification du bois et de ses dérivés, ainsi que par les combustibles solides de récupération (CSR), ceci jusqu'à hauteur de 180 TWh. Enfin, les 30 % restant proviendraient des technologies "power-to-gas" où l'excédent d'électricité renouvelable est converti en gaz de synthèse (soit 140 TWh). Des potentiels qui n'entrent pas en concurrence avec les usages alimentaires ou les besoins de matières premières, mais qui nécessitent de développer les différentes filières, de généraliser des cultures intermédiaires (cultures temporaires qui protègent les sols entre deux cultures commerciales) et une mobilisation des ressources forestières plus soutenue.

 

Moins de CO2 et moins de déficit

 

En tenant compte des autres usages de la biomasse, ce potentiel de 460 TWh serait suffisant pour satisfaire la demande de gaz à l'horizon de 2050, évaluée entre 276 et 361 TWh selon les variantes du scénario. Car la consommation devrait décroître à l'avenir, grâce à des gains d'efficacité dans les bâtiments et l'industrie. Comme le rappelle l'Ademe, un mix 100 % renouvelable pour le gaz "permettrait d'éviter les émissions directes d'environ 63 Mt CO2/an, ce qui représente 12,6 Mrds € pour une taxe carbone à 200 €/tonne de CO2 en 2050". Un atout environnemental qui se doublerait d'un renforcement de l'indépendance énergétique national au profit de la balance commerciale, puisque annuellement, l'Hexagone importe pour environ 10 Mrds € de gaz naturel. Selon le scénario considéré, le coût de cette énergie "made in France" oscillera entre 116 et 153 €/MWh, en incluant la production, le stockage et le transport via des réseaux adaptés. "Ces coûts sont comparables aux 120 à 130 €/MWh évalués pour l'électricité dans l'étude Un mix électrique 100 % renouvelable", signale l'Ademe. Rappelons toutefois que le prix actuel du gaz naturel n'est que de 42 €/MWh. L'ajout d'une taxe carbone devrait toutefois le renchérir à l'avenir. L'étude note également que les coûts du réseau et du stockage ne représentent qu'une faible part du total (à peine plus de 20 €/MWh) et que les seuls coûts de raccordement n'excèdent pas les 3 €/MWh, illustrant les besoins de renforcement très limités du réseau de distribution.

 

L'étude démontre donc plusieurs choses : tout d'abord qu'il est possible de collecter la majeure partie des ressources disséminées en milieu rural sans recourir massivement à du gaz porté ou d'autres solutions techniques non matures. Les réponses techniques visant à rendre le réseau existant bidirectionnel (rebours) existent déjà, et l'anticipation doublée d'optimisation de leur déploiement permettraient d'en maîtriser les coûts. L'étude conforte également la complémentarité des systèmes gaziers et électriques, qui seront à l'avenir fortement interactifs. Les auteurs estiment que le power-to-gas apportera un stockage inter-saisonnier de l'électricité et optimisera géographiquement sa répartition. "Il permettra également de fournir une source supplémentaire de gaz renouvelable pour le vecteur gaz (de 34 à 135 TWh)", ajoutent-ils. Le gaz renouvelable contribuera aussi à l'équilibre du système électrique français par le biais de centrales thermiques à gaz qui entreront en action pour effacer les pointes de consommation (10 à 46 TWh).

 

 

Lever les freins qui existent

 

Restent plusieurs problèmes : le scénario de l'Ademe nécessitera un déploiement intensif d'installations dédiées sur tout le territoire, dont environ 8.000 méthaniseurs, sachant qu'à ce jour, moins de 500 sont en fonctionnement dans le pays. "Il peut y avoir des limites d'installations des technologies pour des raisons d'acceptabilité. Cela reste un enjeu", admet Fabrice Boissier. Les créations d'emplois non délocalisables pourraient toutefois résoudre une partie de la question. Un autre enjeu sera celui de la collecte des ressources, qu'il s'agisse de déchets agricoles, de bois ou autres, pas assez développée. Mais pas de quoi inquiéter les acteurs de la filière, comme Coénove qui estime que tous les signaux passent au vert pour la méthanisation. Bernard Aulagne, son président, déclare : "La décarbonation de notre mix énergétique passe notamment par la décarbonation du gaz. La méthanisation en est la première brique et les projets actuellement dans la file d'attente des opérateurs de réseaux nous montrent que les 8 TWh inscrits dans la PPE pour 2023 sont d'ores et déjà réalistes". Coénove souhaite qu'une trajectoire ambitieuse soit donc fixée dès à présent pour les 12 ans qui viennent et que le gaz renouvelable atteigne les 30 % en 2030. Le groupe de travail sur la méthanisation, présidé par Sébastien Lecornu (secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Transition écologique), aura pour mission de simplifier les règles afin de favoriser son essor.

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