ACCABLANT. La presse britannique vient de se faire l'écho d'un rapport d'experts pointant les mauvais choix opérés au moment de la réhabilitation du bâtiment. La conception du bardage est notamment mise en cause, accusée d'avoir transformé le bâtiment en "poudrière".

La réhabilitation de la tour Grenfell a fait l'objet de "déficiences calamiteuses". C'est ce que rapporte un article du journal britannique Evening standard. Le média a fait fuiter, le 16 avril 2018, un rapport de 210 pages réalisé par le groupe spécialisé dans la sécurité incendie BRE Global, analysant les causes exactes du drame qui a fait 71 morts en juin 2017. Ce document montre ainsi comment, alors qu'il était une structure relativement protégée du risque d'incendie massif, le bâtiment est devenu une "poudrière" du fait de sa réhabilitation entre 2014 et 2016.

 

Mauvaise conception du bardage

 

Comme de nombreux experts l'avaient expliqué à Batiactu, la seule présence de matériaux combustibles en panneaux de façades et en isolant n'explique pas tout, loin de là. Le problème vient d'une mauvaise conception du bardage en général. "Le rapport expose des niveaux d'incompétence jusqu'ici inconnus au niveau de la conception et l'installation des fenêtres", ainsi que de la disposition des matériaux offrant une barrière de compartimentage (cavity barrier). Ils permettent d'éviter l'effet-cheminée d'une lame d'air en comblant l'espace existant entre les peaux intérieure (le béton) et extérieure du bâtiment (le bardage).

 

 

Tout est parti, le 14 juin 2017, de l'explosion d'un réfrigérateur, dans un studio situé au quatrième étage de la tour. Le feu est ensuite passé par une fenêtre laissée ouverte, à un mètre de l'équipement. Puis s'est propagé par le bardage. D'après le rapport, en l'absence de ce nouveau bardage installé lors de la réhabilitation, le feu serait resté confiné au sein de l'appartement où il a débuté [dans un premier temps, nous avions écrit par erreur que le feu n'aurait alors pas dépassé le seizième étage de la tour, NDLR], et aucune victime n'aurait été à déplorer. BRE estime également qu'il s'en est fallu de peu pour que le bâtiment ne s'effondre pas à la suite du sinistre.

 

Un effet cheminée dévastateur

 

Vient ensuite la série des malfaçons, qui semblent criantes et étonnantes pour un projet de cette ampleur, au cœur d'une capitale internationale. Ainsi, les matériaux employés en tant que barrière de compartimentage n'étaient pas assez bien dimensionnés pour 'boucher les trous' : ils ne pouvaient combler que 25 millimètres, alors qu'en réalité le filet d'air pouvait atteindre jusqu'à 50 mm de large.

 

Mais comment le feu, ayant atteint le bardage, a pu entrer à l'intérieur du bâtiment ? Par les cadres de fenêtres, incroyablement mal disposés - ce point était évoqué par un expert auprès de Batiactu en septembre 2017.

 

Ainsi, ces équipements étaient "significativement plus courts que l'espace existant entre le béton des colonnes, de l'ordre de 150 mm". De quoi créer "une route directe pour la propagation du feu autour des cadres de fenêtres dans la cavité de la façade, et de là à l'intérieur des appartements". Dans l'appartement 16, d'où le feu est parti, le cadre n'a ainsi pas joué le rôle de barrière, mais au contraire a permis au feu de gagner en intensité. Les espaces autour des cadres étaient, eux, remplis de produits inflammables, d'une qualité visiblement discutable en matière de résistance au feu, qui ont pu jouer le rôle de "carburant" - caoutchouc, mousse d'isolant, panneaux en PVC. Autre incongruité notée par le rapport : une certaine quantité d'isolants retrouvés sur les lieux ne disposaient d'aucune marque permettant d'identifier l'industriel l'ayant fabriqué. S'agissait-il bien du produit prévu lors de la conception, ou celui-ci a-t-il été finalement remplacé par un produit générique de mauvaise qualité, en cours de route ? Sur ce point, le rapport n'en dit pas plus.

 

Des portes laissées ouvertes par les occupants après leur fuite

 

Enfin, en matière de sécurité incendie, le rapport regrette l'absence de système de fermetures de portes, ce qui a eu pour conséquence que de nombreuses d'entre elles ont été laissées ouvertes à la suite de la fuite des occupants. Ce qui est à l'origine d'un enfumage massif de l'immeuble, et notamment de l'unique escalier, devenu ainsi impraticable.

 

Un architecte interviewé par l'Evening standard est formel : "Les choix constructifs concernant les fenêtres et les barrières de compartimentage ont été particulièrement mauvais. L'uPVC utilisé dans les panneaux pour fermer le vide autour des fenêtres a été une terrible erreur. [...] Ces découvertes pourraient envoyer des gens en prison. Mais le rapport laisse ouverte la question de savoir si la conception ou l'installation est en faute, si les travaux ont été approuvés et/ou inspectés, ou bien s'il y a eu une combinaison de ces trois facteurs." Les regards se tournent, quoi qu'il en soit, vers la municipalité de Kensington et Chelsea, responsable en bout de chaîne de cette opération de rénovation urbaine. Les membres du groupes de survivants "Grenfell united" affirment pour leur part n'être pas surpris du contenu de ce rapport. "Il était évident pour nous que la réhabilitation n'était pas de première qualité."

 

Un audit des bâtiments "à risques" attendu en France

 

Pour rappel, en France, le Gouvernement a demandé au CSTB un rapport, publié en juin 2017, sur la réglementation incendie dans les bâtiments résidentiels, à la suite de ce drame. La réglementation devrait en être modifiée dans les mois à venir. Un autre rapport est attendu dans le courant de l'année, devant évaluer le nombre de bâtiments "à risques", de type Grenfell, en France. Les pouvoirs publics travaillent dessus en ce moment, mais aucune date de publication n'a été donnée. Le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, avait affirmé à Batiactu, fin 2017, qu'il serait porté à la connaissance du public.

 

Une enquête conséquente
D'après les informations de l'Evening standard, près de 30 millions d'e-mails ont été téléchargés par les services de police chargés de l'investigation, et 500 personnes impliquées dans la réhabilitation du bâtiment seront en tout interrogées.

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