REACTION. Alors que les architectes sont mobilisés comme jamais pour défendre la loi Mop et l'obligation de concours, Christophe Boucaux, directeur de la maîtrise d'ouvrage de l'Union sociale pour l'habitat, explique à Batiactu pourquoi les bailleurs sociaux ne souhaitent pas y être soumis.

Alors que des menaces pèsent sur la loi Mop dans le cadre du projet de loi Logement, les architectes font front commun pour la défendre : pétition, lettre au Gouvernement, tribune... Cette unanimité fait suite à la demande des organismes HLM, via l'Union sociale pour l'habitat (USH) de ne plus être assujettis à l'obligation de concours d'architecture, instaurée par la loi Cap de 2016.

 

"Nous partageons le même souci que le Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa) et que l'Union nationale des syndicats français d'architectes (Unsfa) : comment pouvons-nous renforcer la commande HLM ? Mais nous ne proposons pas les mêmes remèdes", observe Christophe Boucaux, directeur de la maîtrise d'ouvrage de l'Union sociale pour l'habitat (USH), contacté par Batiactu. "Nous partageons même certains des points évoqués dans la tribune publiée dans Le Monde, signée par plus de deux cents architectes. Notamment la partie qui dit qu'il faut être attentif à la durée de vie des bâtiments. Mais c'est précisément en renforçant le rôle des organismes HLM en tant que maîtres d'ouvrage que nous pourront répondre à ces problématiques."

 

L'obligation de concours "empêche les organismes HLM d'accéder au rôle de maître d'ouvrage"

 

Or, pour l'USH, l'obligation de concours est, de ce point de vue, un obstacle. Ce dispositif est vu comme coûteux et constituerait "une façon d'empêcher les organismes HLM d'accéder au rôle de maître d'ouvrage". "La réalité, c'est que quand le foncier est mis en vente, il est pris par un promoteur qui fournit au donneur d'ordres un projet architectural ad hoc. Nous, organismes HLM, avons à peine le temps d'organiser un concours. Pour un lycée, une philharmonie, un gymnase, on peut lancer un concours d'architecture et réunir un jury. Mais est-ce pertinent, par exemple, pour un programme d'une vingtaine de logements, ce qui correspond à la dimension moyenne de nos programmes ?", questionne Christophe Boucaux.

 

Autre dossier épineux, en partie lié au précédent : près de 50% des logements sociaux sont aujourd'hui construits en Vefa. "Nous sommes, comme les architectes, préoccupés par ce chiffre", assure François Boucaux. "Cette tendance est issue de trois facteurs : la volonté stratégique de certains organismes HLM d'être présents sur des zones où ils ne le sont pas encore, le souhait des collectivités territoriales d'avoir de la mixité sociale et la dure réalité des difficultés d'accès au foncier." Pour l'USH, l'obligation de concours, qui tendrait à exclure les organismes HLM du jeu, ne peut qu'aggraver cette situation.

 

"Le concours n'est pas l'alpha et l'oméga de la qualité architecturale", Christophe Boucaux (USH)

 

Au contraire, les contrats conception-réalisation, ou marchés globaux, considérés comme étant un "massacre" par Francis Soler, grand prix national de l'architecture, emportent les faveurs de l'USH. "Ils permettent d'aller plus vite et d'optimiser les coûts", détaille Christophe Boucaux. "Il faut bien comprendre que notre position n'est pas anti-architecture. Nous voulons au contraire renforcer le rôle de maîtrise d'ouvrage des organismes. Et rappeler que le concours n'est pas une garantie de qualité architecturale, pas plus qu'il n'en est l'alpha et l'oméga. Certaines opérations réalisées en Vefa sont remarquables architecturalement parlant. Le souci, c'est que l'on veut nous faire prendre un seul chemin, celui du concours, alors qu'il en existe une multitude."

 

Obligation de concours : l'argumentaire de l'USH

 

Dans le cadre de la conférence de consensus sur le logement, menée au Sénat en décembre 2017 et janvier 2018, l'USH a eu l'occasion de coucher sur le papier ce qu'elle reprochait à l'obligation de concours et pourquoi elle défendait les contrats globaux :

 

"La procédure de concours est longue et coûteuse :
- Le concours prévoit d'indemniser les candidats pour le travail fourni en esquisse. L'indemnisation représente en moyenne entre 20.000 et 36.000 euros par projet, ce qui représente un surcoût pour l'opération.
- Les délais peuvent être allongés de 6 à 8 mois en raison de la longueur de la consultation relative au choix des concourants pour l'esquisse. Ce délai a un coût, qui peut être évalué de 40 000 à 56 000 euros de perte de loyers (350 euros mensuels par logement) par opération.
La procédure de concours d'architecture peut conduire les élus soucieux de produire vite à préférer une maîtrise d'ouvrage soumise à moins de contraintes, c'est-à-dire la maîtrise d'ouvrage des promoteurs privés, ce qui in fine conduit à sortir du cadre de la commande publique, synonyme de transparence et d'égalité de traitement, la production des logements sociaux. Par ailleurs, cette procédure est un frein pour accéder au foncier. En effet, organiser un concours pour candidater avec un maître d'œuvre sur un foncier lorsque les organismes Hlm sont mis en compétition avec des acteurs qui ont toute liberté de missionner qui ils veulent, sans contraintes ni délais, les disqualifie. Il en est de même pour les mises en concurrence dans le cadre des appels à projets lancés par les collectivités (Réinventer Paris, Réinventer la Seine...) ou pour les projets de co-construction dans le cadre de projets urbains, car la rigidité de la procédure ne correspond plus aux attentes des acteurs qui imaginent et construisent les villes. La qualité d'une architecture ne dépend pas du choix de la procédure, mais d'une volonté, d'une capacité d'ingénierie à passer une commande architecturale. De nombreux exemples d'opérations réalisées par les organismes Hlm en dehors de la procédure de concours en témoignent."

L'argumentaire de l'USH en faveur des contrats de conception-réalisation

"Avec la conception-réalisation ouverte sans condition jusqu'au 31 décembre 2013 par la loi du 25 mars 2009, et prolongée jusqu'au 31 décembre 2018 par la loi du 1er juillet 2013, les organismes Hlm disposent aujourd'hui d'un mode d'action qui contribue significativement à la production neuve et aux opérations de rénovation énergétique.
Ce mode de production, représente aujourd'hui, pour de nombreux organismes Hlm, entre 15% et 25% de leur production. La conception-réalisation est un mode d'exercice à part entière de la maîtrise d'ouvrage directe Hlm. Les retours d'expériences montrent que la conception-réalisation s'avère positive en matière de coûts de construction (de l'ordre de 5% à 8%), celui-ci étant fixé dès le choix du projet, et de réduction des délais (de 6 à 12 mois) du fait d'une consultation unique et d'un temps d'étude de projet fusionné avec les actes administratifs. Elle contribue en outre à l'émergence de la maquette numérique dans la conception et construction des bâtiments, du fait du travail collaboratif inhérent, puis dans la gestion patrimoniale, permettant ainsi d'optimiser la maintenance et l'entretien des bâtiments. Elle participe également au développement des innovations au service de performances énergétiques et environnementales élevées. Ces éléments ont été confirmés en 2013 par le Conseil général de l'environnement et du développement durable, qui, a conclu que le marché de conception-réalisation représente une condition nécessaire au développement de nouveaux procédés constructifs, favorise la diversité des matériaux utilisés et contribue à l'amélioration des techniques de la construction, notamment dans le domaine thermique. Il a également souligné que cette procédure ne nuit ni à la qualité architecturale, ni à la durabilité des ouvrages et contribue à mieux maîtriser les délais et les coûts. Il indique également que la candidature des groupements d'entreprises doit être encouragée."

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