Après l'effondrement des Twin Towers à New York, experts et architectes du monde entier ont tenté de donner une explication technique à cette catastrophe que personne n'avait osé imaginer. L'architecte français Denis Sloan va bien plus loin. Considérant que les tours sont affligées de défauts importants qui résultent de leur concept même - le noyau central - Denis Sloan ressort de ses cartons un projet imaginé dans les années 80 à partir d'un concept radicalement différent : la tour polycentrique.

Lorsqu'on l'interroge sur son projet, Denis Sloan est presque surpris. Car si son concept est plus que jamais d'actualité en raison de la catastrophe des Twin Towers, cela fait plusieurs dizaine d'années que l'architecte français l'avait imaginé. " J'ai commencé à m'intéresser à cette question lorsque que j'étais étudiant et que je voyais se construire la tour Montparnasse " se souvient-il. Au début des années 80, ce concept prend peu à peu forme pour aboutir à un premier projet en 1987.

Avec l'enthousiasme du créateur, Denis Sloan entreprend la tournée des maîtres d'ouvrage qui l'écoutent poliment mais sans aller jusqu'à se lancer dans l'aventure. Très rapidement, les réalités professionnelles prennent le dessus et l'architecte se lance dans d'autres projets comme l'extension de la ville d'Erbil (Irak), la construction du centre de transmission mondial TV et radio des Jeux Olympiques d'Alberville ou encore une salle de concert de 8.500 personnes à Marseille - le Dôme - réalisée par un chantier naval tant sa conception est innovante.

Le projet de tour polycentrique de Denis Sloan aurait donc pu rester dans les cartons de l'architecte de longues années encore si un ami de ce dernier ne s'était pas enflammé à son tour pour ce concept. L'ami en question : Claude Delalande, un ancien commandant des Pompiers de Paris aujourd'hui responsable de la sécurité de Paris Expo. Pour ce professionnel de la protection incendie " ce projet exceptionnel concoure à l'obtention d'une sécurité maximale ".

Une conception radicalement nouvelle

En fait, que se soit en terme de sécurité, d'économie ou d'architecture, la force du projet Sloan réside dans le concept même. Ainsi, Denis Sloan rompt avec le principe du noyau central abritant tous les moyens de circulation verticale et autour duquel s'articulent les surfaces. Pour l'architecte, dans les configurations traditionnelles, " les locaux situés à plus de 8 à 10 mètres de la façade sont condamnés à la lumière artificielle permanente ". Par ailleurs, une agression atteignant le noyau central peut provoquer une catastrophe aux conséquences dramatiques comme l'on a pu le constater avec l'effondrement des Twin Towers.

Denis Sloan a donc fait le choix d'une puissante structure apparente, périphérique, aux mailles très larges, qui encadre des blocs d'immeubles indépendants, légers et à l'échelle humaine.
Ces immeubles forment un mince anneau discontinu construit autour d'un vaste espace central et bénéficient entièrement de la lumière naturelle.

Une méga structure polycentrique et stable

La structure offre une grande stabilité mais elle se caractérise par son aspect aérien. Elle est composée de 8 piliers et de 4 plates-formes associées qui se développent entre une "base" et un "couronnement". Une telle structure permettrait d'atteindre une hauteur de 600 mètres et d'insérer 48 blocs d'immeubles.

En fait, cette structure est modulable et permet de réaliser des bâtiments plus modestes. " Chaque plate-forme, les 8 piliers et les 12 blocs d'immeubles qui leur sont rattachés forment un module " indique l'architecte. Une structure avec 6 piliers peut même être envisagée.

Ces piliers tubulaires, équidistants d'environ 30 mètres, sont placés à la périphérie d'une figure représentant au sol un cercle ou un polygone régulier dont le diamètre (ou l'apothème) est de l'ordre de 120 mètres.

Coupe-feu 4 heures, chaque pilier contient 12 ascenseurs capables d'acheminer en même temps 2.400 personnes. Deux larges escaliers associés à ce dispositif offrent une capacité additionnelle instantanée de 600 personnes. Ces piliers contiennent également les réseaux et fluides nécessaires à la vie de l'ensemble.

Egalement coupe-feu 4 heures, les plates-formes annulaires de résistance ont une hauteur de 8 mètres pour une largeur de 20 mètres. Chacune d'elles est l'équivalent d'un tablier de pont continu, dans lequel les piliers sont encastrés. Le résultat donne un anneau constitué de trois caissons parallèles, étanches, indéformables et indestructibles.

Mais indépendamment de leur rôle structural, les plates-formes ont également pour fonction de supporter et de porter les blocs d'immeubles. Elles jouent aussi un rôle primordial dans la sécurité générale de l'ouvrage en mettant en relation tous les piliers et leurs moyens de communication verticale, par une triple circulation qui est associée à des locaux d'accueil et à d'importants postes relais de sécurité-incendie assurant la protection des modules qu'elles commandent.

Un maillage urbain léger et transparent dans l'espace

L'ensemble de la méga structure et des 48 blocs inscrits dans ses mailles peut former un quartier voire une petite ville d'environ 40.000 habitants. Ce sont ces blocs qui sont la partie utile de la tour.

Dans un des projets - celui d'une tour de 600 mètres -, l'architecte a prévu des blocs de 15 étages, tous identiques, en forme de trapèzes de bases 45 x 25 mètres. D'une largeur inférieure à 20 mètres, ce sont volontairement des éléments légers et transparents, capteurs de lumière et de clarté, à l'avantage de tous les occupants qui ont des vues directes sur l'extérieur.

Chaque bloc est en effet assimilable à un immeuble courant où le souci majeur est d'offrir aux occupants des planchers simples, à échelle humaine, (850 m² environ par unité) dont toute la surface est éclairée naturellement par la lumière du jour. Les " pignons " de chaque bloc sont accolés aux 2 piliers entre lesquels ils sont placés. C'est par eux qu'on accède, à chaque extrémité d'étage, aux escaliers et aux ascenseurs protégés des piliers.

Les deux façades parallèles sont donc totalement ouvertes au jour. L'une d'elles regarde directement l'environnement extérieur, l'autre est tournée vers l'intérieur de la structure. " Son vis à vis le plus proche est distant de l'ordre de 45 mètres dans l'hypothèse la plus modeste, (soit plus que la largeur de l'avenue de George V) et atteint 75 mètres dans la solution développée, à comparer avec les 70 mètres des Champs-Élysées ! " commente Denis Sloan qui précise que l'organisation en spirale ou en quinconce des " fenêtres ", d'un module sur l'autre, favorise l'ensoleillement continu des façades, tout au long de la journée et à tous les niveaux.

La moitié des 48 blocs de 15 étages, disposés dans la méga structure, est portée par les plates-formes de résistance, l'autre moitié leur est suspendue. Ainsi, chaque plate-forme porte donc 6 blocs au-dessus et en retient 6 autres au-dessous. L'ensemble ainsi formé avec les 8 piliers est un module.

Les 15 étages d'un bloc sont, très classiquement, constitués de structures mixtes acier et béton, comportant un petit plénum technique. L'épaisseur du tout est de l'ordre de 0,80 m. La hauteur utile dans les bureaux est d'environ 2,70 mètres par étage. La trame des poteaux, dans le cas d'un bloc porté sur la plate-forme de résistance, est de 6 x 9 ; elle reste identique lorsqu'il s'agit de tirants, dans le cas d'un bloc suspendu. Le contreventement général des blocs est assuré par les piliers qui les encadrent.

De plus deux éléments de rigidité supplémentaires sont prévus dans chaque bloc. L'un au 8ème étage est constitué de deux poutres parallèles de la hauteur de l'étage (3,5 m). Il forme un caisson et offre une circulation protégée médiane d'un pilier à l'autre. Un autre caisson identique est placé soit au sommet du bloc quand celui-ci est porté, soit sous l'étage inférieur, dans le cas du bloc suspendu.

Tant au niveau de la sécurité des personnes que du confort d'occupation avec un maximum de luminosité naturelle, le concept de Denis Sloan apporte une réponse simple et précise. Encore faut-il arriver à se débarrasser de cette encombrante culture constructive et architecturale qui ne conduit souvent qu'à innover exclusivement par le dessin en se contentant d'adapter les techniques constructives existantes.

Jean-Philippe Defawe


La sécurité, l'élément fondamental de la conception

Quel que soit le type et l'ampleur de l'agression, notamment l'incendie, ce projet est conçu dans le but d'assurer une meilleure stabilité de la construction et la sécurité maximale en fragmentant les risques.

Alors que la résistance des immeubles de grande hauteur est principalement assurée par 2 éléments : un noyau vertical central, fortement ancré au sol pour résister aux poussées latérales et contenant toutes les circulations et gaines techniques et la façade dans laquelle l'ossature est généralement noyée, le projet de Denis Sloan repose sur structure externe qui, selon le concepteur " rend pratiquement impossible le sinistre total ".

En effet, les drames récents survenus dans des volumes confinés comme les deux tunnels alpins et dans les tours jumelles de Manhattan dont la partie centrale constitue également un volume fermé, ont montré de façon spectaculaire que le confinement des gaz entraîne très rapidement une élévation si considérable de la température qu'elle empêche l'évacuation et les secours et provoque l'effondrement des ouvrages.

Par sa conception, l'ensemble de la structure de Denis Sloan interdit l'extrême élévation de température qui peut se produire dans une structure traditionnelle fermée, avec les conséquences que l'on connaît.

Outre l'implantation des piliers à la périphérie de la méga structure qui assure la plus haute résistance de la construction aux secousses sismiques comme à l'incendie ou aux autres types d'agressions, les plates-formes de résistance jouent un rôle important dans le dispositif sécuritaire. En effet, elles offrent des possibilités supplémentaires de circulation entre tous les piliers et d'importantes surfaces pour l'accueil et les secours. " On y trouve de véritables relais de secours contre l'incendie dont les équipements sont mis en oeuvre immédiatement, avant l'arrivée des secours extérieurs " explique le spécialiste en matière de sécurité incendie Claude Delalande.

Le parti constructif empêche également qu'un sinistre grave n'affecte en même temps plus de deux piliers ou deux blocs d'immeubles, chaque bloc d'immeubles étant indépendant des autres. " Un tel fractionnement physique offre, lui aussi, une garantie de sécurité bien supérieure à celle qui existe aujourd'hui dans les immeubles de grande hauteur. Il supprime pratiquement les risques de propagation du sinistre et de sinistre global " poursuit Claude Delalande.

Enfin les tours Sloan peuvent disposer d'un réseau de circulation dense. " A l'étage où se déclare un sinistre éventuel, chaque personne peut accéder, à moins de 15 mètres de l'endroit où elle est située et sans encombrement, à l'une des issues des 2 piliers voisins " affirme Claude Delalande en indiquant que la capacité de circulation est quadruplée au niveau de chaque plate-forme de résistance qui donne accès aux équipements de l'ensemble des piliers.
" Dans le pire des cas, 15 étages au plus séparent la plate-forme de l'étage sinistré " poursuit-il.

" Ce dispositif de circulations multiples et centrifuges évite les situations d'engorgement, voire de paralysie des manoeuvres d'évacuation ou de secours auxquelles les immeubles de grande hauteur peuvent être confrontés aujourd'hui. Il permet au contraire d'accélérer le rythme des mouvements des personnes et de combattre le sinistre dans les meilleures conditions d'intervention " indique cet ancien commandant des pompiers de Paris. " Aucun immeuble de grande hauteur n'offre actuellement de telles capacités d'évacuation et d'intervention " conlut-il.

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