INTERVIEW. Nommée rapporteure du projet de loi d'urgence sur la conservation-restauration de Notre-Dame de Paris, la députée (LREM) du Rhône Anne Brugnera a fait voter ce 2 mai en commission un premier texte. Elle déroule auprès de Batiactu les procédures auxquels la restauration pourra déroger, et assure que le délai de 5 ans fixé par le président de la République sera "affiné au fur et à mesure du diagnostic" mais reste "atteignable".

Batiactu : L'article 9 du projet de loi pour la restauration de Notre-Dame doit permettre de déroger à certaines réglementations. Cela s'inscrit-il dans l'objectif d'un chantier en 5 ans voulu par le Président de la République ?

 

Anne Brugnera : Dans l'article 9, il est prévu d'habiliter le gouvernement à légiférer par ordonnance afin de prendre les mesures nécessaires pour le chantier se passe au mieux et dans les meilleurs délais. Mais cela n'est pas uniquement en rapport au délai des 5 ans. C'est un sujet, certes, que certains mettent en cause. J'ai entendu une majorité de personnes me disant qu'un chantier ambitieux avait besoin d'un objectif ambitieux. Tout en sachant pertinemment que le respect de ce délai sera surtout soumis aux aléas du diagnostic du bâtiment qui n'a pas encore commencé. L'architecte en chef des monuments historiques chargé de la cathédrale Philippe Villeneuve, que j'ai auditionné, a estimé que c'était un objectif atteignable, et non une lubie ou une vue d'esprit du Président de la République.

 

 

Batiactu : Quels sont les éléments qui nécessitent de déroger à certaines règles patrimoniales, environnementales ou liées au chantier ?

 

Anne Brugnera : Dans l'article 9, nous affirmons que le chantier sera hors-norme. Il l'est pour trois raisons à mes yeux. Sur l'exemple de l'archéologie préventive que nous avons abordé en commissions, nous savons que compte tenu de l'ampleur des dégâts et des dimensions de Notre-Dame, seul l'Institut national d'archéologie préventive serait en capacité de réaliser des travaux d'exploration. Il n'est donc pas nécessaire de faire un appel d'offres dont on sait qu'il est inutile, et nous envisageons une dérogation au code du patrimoine dans ce cas. Sur le chantier, nous aurons probablement besoin de dérogations sur le plan organisationnel, dans la mesure où de nombreux artisans et métiers seront à l'oeuvre en même temps. Se pose aussi la question de l'installation du chantier et du transport des matériaux qui se fera sur le parvis, et de l'afflux des touristes, même s'ils sont tenus à distance. Nous voudrions également donner à voir ce chantier qu'on espère exemplaire et ses différents métiers d'art, de la conservation-restauration et de la construction. Notre vraie problématique à ce stade, est celle de la temporalité. Le bâtiment est tout juste sécurisé mais la flèche n'a pas encore été déblayée, et nous ne sommes pas près d'avoir une visibilité complète sur les travaux à venir. Il est donc difficile d'imaginer toutes les dérogations dont nous aurions besoin, tant que nous n'avons pas encore tout découvert dans Notre-Dame. Ce qui est certain, est que nous ne dérogerons pas aux règles du patrimoine et de la conservation-restauration. Ce chantier se doit d'être exemplaire, je pense et espère qu'il sera très suivi.

 

Batiactu : Si l'on comprend bien, le délai de 5 ans n'est donc pas à graver dans le marbre ?

 

Anne Brugnera : On ne l'inscrit pas dans le marbre, c'est un objectif que l'on se donne, et que toute la communauté du patrimoine a en tête, de même pour tous ceux qui attendent de retrouver la cathédrale. Le délai sera affiné au fur et à mesure du diagnostic.

 

Batiactu : Vous avez auditionné la communauté du patrimoine, des professionnels de la conservation-restauration, le diocèse, des élus. Que retenez-vous de leurs inquiétudes et attentes ?

 

Anne Brugnera : J'ai surtout retenu l'envie que la cathédrale soit rapidement restaurée. Une envie qui se justifie par le fait que c'est un lieu de vie, de travail, de culte. Il y a de nombreuses personnes orphelines de cette cathédrale, cela pose des problèmes d'organisation au diocèse qui employait 60 personnes, aujourd'hui au chômage technique. L'envie qui est encore plus forte est celle de la communauté du patrimoine, qui est au chevet de la cathédrale, et s'est proposée de participer à la sécurisation et la restauration. Sans compter les Compagnons et tous les jeunes en formation qui rêvent d'être sur ces chantiers.

 

Les craintes se concentrent bien entendu sur l'article 9 et l'ordonnance qui fait craindre le pire à chacun. Nous devons rassurer, et cerner le problème. Un autre point très important de ce projet de loi est celui de la transparence. Suite au sinistre, nous avons vu un afflux de dons inédit, du moins dans les promesses. Ces dons doivent être sécurisés et leur utilisation garantie pour Notre-Dame et rien que Notre-Dame. C'est ce que permet ce projet de loi avec la création d'un comité de suivi des fonds et de leur gestion, nous serons visibles sur tous les sujets: le chantier, le choix architectural, la gestion des dons.

 

Batiactu : La loi ne fait pas mention de la sécurisation du chantier et de la prévention du risque incendie, qui font débat depuis le sinistre...

 

Anne Brugnera : A ce stade, il n'y a effectivement rien dans le projet de loi sur ce sujet. Nous sommes dans l'attente des résultats de l'enquête, qui risque d'être un peu longue. Nous envisageons avec le président de la commission des affaires culturelles (ndlr- le député Bruno Studer) de créer une mission, ou un autre cadre à ce sujet. Pour l'heure, l'urgence est au projet de loi dont nous avons besoin pour financer le travaux. Mais il est certain que l'Assemblée nationale se saisira des deux sujets, plusieurs députés sont déjà intéressés.

 

Batiactu : Dans son avis sur l'étude d'impact du texte de loi, le Conseil d'Etat note une imprécision quant aux possibilités de déroger à certains points du code de la commande publique. Cela a-t-il été précisé ?

 

Anne Brugnera : Je n'ai pas encore d'exemple à donner sur ce sujet. Il inquiète, dans la mesure où qui dit dérogation aux règles de la commande publique dit suspicion, entente. Le monde professionnel concerné, notamment les architectes et les artisans ont insisté sur cette inquiétude, que j'ai relayé, en espérant préciser tout cela.

 

Batiactu : Peu après le sinistre, nous avons pu assister à un débat quant à une reconstruction à l'identique ou plus contemporaine de la flèche et du toit de Notre-Dame. L'Etat, propriétaire de Notre-Dame a signifié qu'il donnerait les lignes directrices, mais le diocèse en reste le premier locataire, et nous avons bien l'attachement des Français à ce lieu. Ne faudrait-il pas élargir la concertation ?

 

Anne Brugnera : Je sais que les modalités de lancement du concours seront très importantes car elles montreront l'ambition que nous avons pour cette flèche et pour la cathédrale. Je dois admettre que l'idée d'une concertation citoyenne sur le concours n'a pas été évoquée mais il y a un sujet sur les donateurs. Nous entendons déjà certains évoquer un 'excédent de dons', et des questionnements sur leur affectation mais nous n'avons aucun moyen pour l'heure de l'évaluer car nous n'avons ni les dons annoncés ni le coût des travaux. Il y a un vrai sujet de respect de l'intention des donateurs, je comprends qu'il y a du patrimoine en danger en France, mais j'estime qu'il faut respecter la volonté des donateurs. Dans tous les cas, nous ne jetterons pas l'argent par les fenêtres, et le gérerons correctement de manière transparente.

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