LOGEMENT SOCIAL. Les bailleurs sociaux se sont mobilisés pour accompagner leurs locataires dans la crise : équipes dédiées au contact avec les personnes isolées, cellules sociales spécifiques pour les difficultés financières... Et jusqu'à l'annulation pure et simple des loyers pour le mois d'avril.

Les bailleurs sociaux n'étaient pas plus préparés que le reste de la société à gérer la pandémie qui s'est abattue sur le pays (et le monde). En revanche, ils ont l'habitude - c'est même une de leurs raisons d'être - d'être confrontés aux difficultés sociales d'une partie de la population. Nombreux ont été les organismes HLM à avoir mis en place des mesures spécifiques, pour à la fois lutter contre l'isolement des personnes fragiles, et atténuer les difficultés économiques de certains de leurs locataires. Passage en revue d'initiatives.

 

Lutte contre l'isolement

 

"Beaucoup de sociétés ont décidé de réaffecter des équipes aux opérations de contacts des locataires", indique, le 14 avril, la Fédération des ESH (entreprises sociales pour l'habitat). L'Aorif (qui rassemble les bailleurs sociaux franciliens) a effectivement recensé les organismes ayant mis en place des actions à destination de leurs locataires les plus fragiles, "en particulier les seniors, mais aussi les personnes en situation d'isolement ou de handicap". Les équipes des organismes se mobilisent ainsi pour passer des appels de 20 à 30 minutes, "afin de garder un lien, de lutter contre l'isolement en les rassurant, en rappelant les consignes sanitaires et en les orientant vers les bons services des collectivités et des partenaires".

 

Les gardiens, employés d'immeubles et conseillers sociaux, rappelle l'Aorif, "sont aussi là pour porter une attention particulière à ces locataires". Elle cite Batigère, Adoma, Elogie-Siemp, Emmaüs Habitat, Erigère, Gambetta, ICF Habitat La Sablière, IDF Habitat, l'OPH d'Aubervilliers, l'OPH de Villejuif, Poste Habitat, RIVP, Seine-Saint-Denis Habitat, ou encore Seqens. Du côté de Paris Habitat, ce sont 30.000 appels qui avaient été menés mi-avril selon le bailleur, en partenariat avec la Protection civile.

 

CDC Habitat indique, le 23 avril, avoir lancé une campagne d'appels de vigilance auprès de plus de 45 300 locataires âgés de plus de 70 ans. "Tous seront appelés au moins une fois par les équipes, pour prévenir le sentiment d'isolement qui se durcit avec le confinement et recenser les éventuels besoins dont ils n'auraient pas déjà informé leurs proches", précise le bailleur. Plus de 26.300 locataires ont déjà été appelés, soit 58% à ce jour, en métropole. Outre-mer, plus de 10.000 locataires de plus de 60 ans ont également bénéficié de ce dispositif.

 

Contacts réguliers

 

ICF Habitat (SNCF Immobilier), affirme le 15 avril avoir "multiplié" les initiatives pour "renforcer le lien avec les locataires, en particulier les personnes seules ou âgées". "Les équipes en charge de cette mission (conseillers sociaux, employés d'immeubles, gardiens, gestionnaires clientèle…) entretiennent un contact régulier avec elles par téléphone pour s'enquérir de leur santé et de leur moral, et prévenir les situations d'isolement". ICF a également "renforcé les échanges" avec les associations et amicales de locataires, ainsi que les partenariats avec les acteurs locaux (municipaux, associatifs…).

 

 

Clésence (groupe Action Logement) a également mis en place une cellule d'aide avec une ligne téléphonique dédiée afin de les accompagner. Erigère, autre filiale de l'organisme paritaire, affirme que "sur le terrain, les 93 gardiens et gardiennes restent les interlocuteurs privilégiés des habitants". "Il se tiennent à la disposition des plus fragiles pour leur porter assistance" : distribution d'attestations de sortie pour les locataires ne disposant pas d'imprimante à domicile, prises de contacts avec les plus âgés pour leur proposer des services, aide pour descendre les ordures ménagères ou encore maintiens de contacts avec les personnes isolées.

 

Report de charges et aides spécifiques

 

Pour la Fédération des ESH, si une majorité des locataires ne devraient pas connaître de difficultés majeures pour acquitter leurs loyers "du fait de la politique de soutien sociale très active de l'Etat dans la crise" (maintien des rémunérations du fait du chômage partiel indemnisé, maintien des aides sociales, des pensions, efforts supplémentaires en direction des indépendants...), "certains, pour des raisons matérielles (blocage de certains services) ou autres, ont besoin d'être contactés pour avoir un appui individuel de leur situation et un accompagnement personnalisé". La Fédération incite donc ses membres à traiter chaque situation individuelle "en proposant, en fonction des besoins, différentes solutions et afin de mobiliser les aides possibles (telles que le Fonds de solidarité logement, FSL)".

 

"Un bilan de toutes ces actions sera mené au fil de l'eau durant toute la période d'état d'urgence qui court jusqu'au 24 mai par le lancement d'une remontée fédérale en continue", indique la Fédération des ESH. La fédération des coopératives HLM s'est également engagée à assurer "un suivi individualisé des locataires rencontrant des difficultés à régler leurs loyers et qui n'étaient pas jusqu'alors identifiés comme tel", donnant lieu à "une évaluation personnalisée de chaque situation permettant de définir la réponse la plus adaptée : saisine du Fond de solidarité logement (FSL) du Conseil départemental, aides aux salariés d'Action Logement, échelonnement du loyer en cours, etc."

 

Bobigny annule les loyers d'avril

 

Le maire (UDI) de Bobigny, Stéphane de Paoli, suit une toute autre voie. Il s'est engagé, le 23 avril, à annuler l'ensemble des loyers du mois d'avril pour les 4.000 locataires de son office public de l'habitat (OPH), évoquant une première en France pour "privilégier le pouvoir d'achat des familles". Cette mesure sera financée à 50% par la Ville et à 50% par l'OPH, indique l'AFP. Une mesure que juge "un peu démesurée, dans le sens où la plupart des locataires n'ont pas de baisse de revenus", Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, qui est favorable à "un dispositif ciblé pour aider les personnes en difficulté".

 

Cellules sociales spécifiques

 

C'est effectivement pour l'option du dispositif ciblé qu'ont opté la majorité des bailleurs. Certains ont ouvert des cellules sociales spécifiques pour aider les locataires qui rencontrent des difficultés économiques, fait savoir l'Aorif. C'est le cas de Seine-Saint-Denis habitat et Plaine Commue habitat : "à distance, une équipe de gestionnaires locatives et sociales et de conseillères sociales est à l'écoute des locataires, pour analyser les difficultés de paiement et proposer une solution adaptée à leur situation". IDF Habitat a mis en place une cellule d'appel des locataires pour faire le point de leur situation et les rassurer sur les possibilités d'étalement des échéances si nécessaire. 3F, ICF Habitat, Toit et joie ou encore Val-d'Oise Habitat incitent eux aussi les locataires qui rencontrent des difficultés à les contacter, afin de trouver une solution ou les diriger vers des aides, comme le FSL. Seqens(Action Logement) a adopté, en concertation avec plusieurs confédérations de locataires, une charte pour venir en aide à ceux qui rencontrent des difficultés financières liées à la crise. Erigère (également Action Logement) envisage "davantage de souplesse dans la gestion des échéanciers mis en place".

 

Les bailleurs sociaux de la ville de Paris, Paris Habitat, Elogie-Siemp et la RIVP, mettent également en place des moyens et dispositifs dédiés pour renforcer l'accompagnement des locataires et le traitement des demandes spécifiques. Paris Habitat a même décidé, sur décision de la maire Anne Hidalgo, un moratoire sur les contentieux liés aux difficultés de paiement de loyers du fait de la crise, pour tous les locataires concernés. Le bailleur de la Ville a également décidé de modifier la régularisation des charges qui a habituellement lieu au mois de juin. S'il est débiteur, le locataire se verra reporter son rappel de charges sur l'avis d'échéance du 1e juillet, tout en bénéficiant des aides mises en place par l'Office pour en faciliter le règlement. Un report qui va également "permettre de travailler individuellement sur les situations et étudier les meilleures solutions de reports et d'étalements". S'il est créditeur, le locataire à jour de ses loyers bénéficiera d'une anticipation du remboursement de son solde de charges, qui viendra en déduction de l'avis d'échéance du 1e mai au lieu du 1e juin.

 

Patrice Bessac, président de l'OPHM et maire de Montreuil, a également pris des mesures, indique la mairie le 22 avril : échelonnement des loyers impayés d'une durée adaptée à la situation, moratoire sur les contentieux liés aux dettes de loyer générées par la crise, prise en compte de l'évolution des revenus en temps réel pour ajuster le montant du surloyer de solidarité à la baisse et, comme pour Paris Habitat, ajustement du calendrier des régularisations de charges initialement prévues fin juin. Elles s'appliqueront dès la fin du mois de mai pour les locataires créditeurs.

 

Des initiatives qui vont au-delà des locataires

 

Plusieurs bailleurs sociaux sont allés plus loin qui l'assistance aux locataires en difficulté. L'aorif indiquait par exemple, le 14 avril, que 3F, RIVP et Vilogia avaient mis des logements à disposition des soignants. Certains bailleurs ont noué des partenariats afin que ces logements soient meublés et utilisables dans l'immédiat. 3F précise que 45 appartements, soit 75 lits à proximité des hôpitaux, ont été proposés aux soignants.
Le groupe Gambetta a décidé de maintenir une résidence hôtelière ouverte en renonçant à en percevoir les loyers pour une période initiale de deux mois. L'association Fac Habitat, qui gère la résidence, peut ainsi loger environ 300 personnes, migrants ou sans domicile fixe. L'organisme Seqens a sollicité sa filiale Seqens Solidarités pour mobiliser un ex-Ehpad afin de venir en aide aux personnes sans domicile fixe ou logées dans des structures d'hébergement d'urgence touchées par le Covid-19.

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