BONNES FEUILLES. D'une carte postale à l'autre, le sociologue, spécialiste de la politique de la ville et des politiques urbaines, Renaud Espstein, livre une vision nouvelle de l'histoire des grands ensembles de l'après-guerre, dans son ouvrage On est bien arrivés, publié aux éditions Le Nouvel Attila. Une histoire à double face, un ouvrage à ne pas manquer.

"(…) Il s'agit d'objets à double face, offrant au recto des images diversifiées de l'urbanisme et de l'architecture de ces cités modernes et, au verso, un aperçu de la vie sociale de celles et ceux qui y résidaient." La carte postale révèle ainsi dans l'ouvrage On est bien arrivés de Renaud Epstein, paru aux éditions Le Nouvel Attila, toute son importance : elle permet, pour l'auteur qui est sociologue et spécialiste de la politique de la ville et des politiques urbaines, de rééquilibrer tout ce qui a pu être dit, écrit, décrit, décrété, jugé sur les grands ensembles, ces cités HLM mais pas que, de l'après-guerre, aujourd'hui tant décriées.

 

Entre la promesse, "celui d'un volontarisme bâtisseur mâtiné d'utopie sociale", et le "désastre socio-urbain", le récit des cartes postales donne ainsi une vision nouvelle de cette histoire, au carrefour du "raccourci biaisé" délivré jusqu'alors, cette "lecture partielle et partiale" qui partait des "dominants pour l'histoire de quartiers construits par et pour des dominés", souligne le sociologue.

 

Un témoignage inédit et révélateur

 

"À travers ses milliers de cartes postales, Renaud Epstein nous rappelle que des milliers de personnes ont habité ces lieux, bâti une vie entre ces murs, ont eu foi en l'avenir pour leurs enfants (...) Il nous montre enfin, que la légèreté et la banalité d'un support comme la carte postale dont l'usage était programmé pour être éphémère peut être un témoin redoutablement efficace de notre histoire, petite ou grande." Xavier Capodano, Le Genre urbain - Librairie, in On est bien arrivés, un tour de France des grands ensembles, Renaud Epstein, éd. Le Nouvel Attila, 2022.

 

Alors qu'il commence ses travaux sur la politique de la ville, l'achat d'une carte postale dans un bar-tabac de la ZUP des Trois Ponts à Roubaix marque le début de cette aventure pour Renaud Epstein. Il comprend, lors du lancement en 2003 du programme national de démolition-reconstruction des quartiers d'habitat social, que ces cartes pourraient être bien plus que des bouts de cartons aux photos imprimées. Le voilà à écumer les brocantes et vide-greniers : "Il ne s'agissait plus seulement de conserver des images des quartiers dans lesquels j'avais travaillé, tel un touriste qui souhaite rapporter des souvenirs de ses lieux de villégiature, mais d'archiver les traces d'un monde en voie de disparition."

 

L'introduction fournie de l'ouvrage, nous conte ainsi l'histoire de ces grands ensembles, de l'aventure et toutes les promesses que portaient en elle leur construction, jusqu'à leur déclin. En parallèle, une abondante production d'images officielles, médiatiques ou encore cinématographiques l'ont accompagnée, nous rappelle Renaud Epstein : autant de regards positifs puis négatifs, voire carrément sombres dans les années 90, ainsi posés sur ces quartiers ; et de citer, par exemple, le film La Haine de Matthieu Kassovitz.

 

"(...) Avec la carte postale, la photographie des bâtiments et les mots des habitants se mêlent, pour construire une autre représentation du grand ensemble." Renaud Epstein, On est bien arrivés, éd. Le Nouvel Attila, 2022.

On est bien arrivés, Renaud Epstein, 2022
"Le soir, tous reviennent dans leur cité, mais ont-ils le courage de s'interesser aux copins après une rude journée de labeur." L'ouvrage donne à voir le recto et le verso de certaines cartes postales. Double-page intérieure (p.58-59) de On est bien arrivés, Renaud Epstein, 2022. © éd. Le Nouvel Attila, 2022

Une histoire de diversités

 

Grâce aux cartes postales, Renaud Epstein nous permet d'aborder les diversités géographiques, architecturales et structurelles que sont ou ont été ces grands ensembles et remplit parfaitement son ambition de "casser l'image stéréotypée et stigmatisée des grands ensembles, qui rejaillit sur leurs habitants et vient renforcer les discriminations dont ils sont victimes." Là où au recto, la carte postale montre un ensemble souvent photographié sans trace de vie humaine, le verso nous permet par la lecture, de rencontrer et donc d'entendre ces habitants.

 

Une histoire à double face riche, émouvante, étonnante (au sein des 3000 cartes qu'il a recueillies, le sociologue s'étonne ainsi de "l'absence de toute mention des maux auxquels sont désormais associés les cités de banlieue"), qui nous dit beaucoup. Le sociologue accompagne les cartes postales et certains de leurs versos, de citations de politiques, d'articles de presse, de chansons ou autres, qui nous rappellent le contexte et les représentations associées.

 

Enfin, l'histoire à double face s'est prolongée à travers un nouveau prisme, numérique celui-là.

 

Un jour, une ZUP, une carte postale

 

Paradoxalement, cet ouvrage n'aurait peut-être jamais existé sans lui. À l'heure où les sms et autres réseaux sociaux ont remplacé les cartes postales (même si elles font de la résistance !), tout est parti d'un compte Twitter. Un fil quotidien "Un jour, une ZUP, une carte postale" que Renaud Epstein a créé (@renaud_epstein) en 2014. Quelle bonne idée d'en avoir fait un livre - merci à Xavier Capodano, de la librairie Le Genre urbain*, de l'y avoir aidé et encouragé. Et merci à Renaud Epstein de prolonger son expérience sur Twitter.

 

On est bien arrivés, un tour de France des grands ensembles, Renaud Epstein, éditions Le Nouvel Attila, prix éditeur : 18 euros.

*Librairie Le Genre Urbain, 60 Rue de Belleville, 75020 Paris.

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