Qu'elle était verte, leur vallée: les défenseurs de la ruralité affirment que la campagne anglaise pourrait avoir disparu en 2035, victime de l'éparpillement des activités et des logements.

Les régions proches de Londres sont les plus menacées, comme le «jardin de l'Angleterre» , le Kent, ou le Cambridgeshire aux horizons réputés, mais toute l'Angleterre serait concernée par ce scénario-catastrophe.

En 2035, «la ville n'a plus de fin, la campagne plus de commencement» , écrit la Campagne pour la protection de la campagne anglaise (CPRE) dans un rapport alarmiste publié vendredi 9 septembre.
Le document présage des territoires mornes, «éclaboussés de taches d'habitation (et) parcourus par un réseau routier variqueux». Selon les cas, l'agriculture a disparu ou est devenue une industrie.
«Partout, cela ressemble à partout ailleurs» : l'espace séparant deux centres urbains est une succession de zones commerciales, de «lotissements en méandres» et de bretelles d'autoroutes. Les villages sont coupés de ce qui reste de nature environnante.
En cause, le mitage, c'est-à-dire la progression désordonnée des constructions, et qui change dès à présent les couleurs de l'«English countryside», ce paradis de collines grasses, de forêts profondes et de routes bordées de vieilles pierres menant à des villages aux murs pastel, aux toits d'ardoise et aux jardins savamment négligés.
Une zone non-bâtie de taille équivalente à la ville de Southampton (220.000 habitants) disparaît ainsi chaque année, sans compter les routes nouvelles encombrées de camions de livraison et les projets d'aéroports régionaux, aux pistes dévoreuses d'espace.
Ces constructions affectent directement de nombreuses espèces sauvages. Depuis 1970, la population d'hirondelles a décliné de 95%, celle des colombes de 70%, tandis que le nombre d'alouettes a été divisé par deux.
«Le plus triste», note Tom Oliver, l'auteur du rapport, «c'est que tant de gens tiennent passionnément à notre campagne, adorent y passer du temps et la voient comme le coeur de l'identité du pays».
Des auteurs ont relevé depuis longtemps ce décalage entre la perception de leur pays par les Britanniques (Anglais surtout) et sa réalité, faite d'une industrialisation ancienne et d'une forte densité de population, tout au moins selon les standards européens.
Les propositions du CPRE font appel au bon sens («concentrer 75% des constructions nouvelles dans des zones déjà aménagées») et à la volonté politique («respecter les zones naturelles fragiles»), mais frôlent aussi parfois l'utopie («encourager l'approvisionnement alimentaire local pour réduire la dépendance envers les transports»).
Le gouvernement, accusé de promouvoir la construction de logements tous azimuts pour faire baisser les prix astronomiques de l'immobilier, a rejeté le scénario du rapport comme «apocalyptique».
Cette polémique, venant quelques mois après la rude bataille qui a abouti à l'interdiction de la chasse à courre, nourrit en tous cas le malentendu entre le Labour au pouvoir et l'Angleterre rurale.
Les promoteurs nient eux aussi le risque de bétonnage de la campagne et répliquent sur le terrain de l'environnement.
«Les logements neufs ont une efficacité énergétique 4 à 8 fois supérieure à ceux du XIXe siècle, a expliqué à la BBC Pierre Williams, de la fédération des constructeurs. Or nos maisons sont les plus vieilles d'Europe. Si elles étaient toutes récentes, nous ferions mieux que notre objectif» de réduction d'émissions de gaz à effet de serre.
Et d'ajouter, perfide, que «les jardins respectent bien mieux la biodiversité que ne le font les prétendus prés naturels».

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