Pour un pays en crise, le boom immobilier sans précédent que connaît la capitale libanaise peut paraître paradoxal. Mais c'est sans compter l'appétit des promoteurs et les liquidités en provenance du Golfe et de richissimes Libanais.

Le Liban a accumulé une dette publique de 38 milliards de dollars depuis la fin de la guerre (1975-90), soit 170% de son PIB. Pourtant, Beyrouth ressemble aujourd'hui à un immense chantier où chaque parcelle de terrain vide fait l'objet d'âpres marchandages pour construire des immeubles résidentiels dont n'ose rêver le Libanais moyen.

Le visage de la capitale change au gré des nouvelles constructions, menées notamment par le géant Solidere qui gère un immense stock immobilier évalué à 5 milliards de dollars en plein centre-ville. La façade maritime de la capitale est désormais méconnaissable. A proximité de l'hôtel Saint Georges en bord de mer ?où l'ancien dirigeant libanais Rafic Hariri a été assassiné en février 2005? des tours résidentielles, financées avec des capitaux libanais et du Golfe, sont dans leur phase finale, et d'autres en chantier. «Entre 75 et 80% de ces projets sont déjà vendus, en majorité avant le premier coup de pioche, à de riches particuliers libanais ou du Golfe», confie à l'AFP Raja Makarem, qui dirige la société de conseil immobilier Ramco.

Victor Najjarian, directeur général du groupe immobilier CARE, est enthousiaste: «Nous gérons une quinzaine de projets d'une valeur d'un milliard de dollars qu'on espère doubler d'ici un an». «Sur le front de mer, la surface des appartements varie entre 600 à 1.000 m2 dont 60% appartiennent à des Arabes du Golfe et le reste à des Libanais. Ils se vendent entre 5 et 6.000 USD le m2. Plus en retrait, les projets résidentiels, appartenant en majorité à des Libanais, dont la surface varie de 250 à 500 m2, se vendent entre 3.400 et 4.500 USD», dit-il, avant d'ajouter : «Le potentiel est immense pour les cinq prochaines années». Cinq grands hôtels et une dizaine de projets sont en cours de construction, et une trentaine d'autres en préparation, sur la corniche, selon lui.

«Les investisseurs du Golfe ont probablement renfloué la balance des paiements du Liban de plus d'un milliard USD pour la seule année de 2005», écrit Ramco dans son dernier rapport. De fait, les entrées de capitaux ont totalisé 3,9 milliards USD au cours des quatre premiers mois de 2006, selon la Banque du Liban (BdL), gonflant l'excédent de la balance des paiements à 1,4 milliard USD.

Perché sur une colline surplombant la mer, Achrafieh, autrefois quartier résidentiel tranquille, avec ses belles demeures début du siècle, est en train de changer de caractère. En quelques années, restaurants, boutiques de mode, tours et nouveaux immeubles ont complètement transformé le visage de ce secteur chrétien où les prix flambent. «Il y a deux ans, les appartements se vendaient maximum autour de 1.100 dollars le m2. Aujourd'hui, on commence à 1.600 USD», expliquent Jacques Ligier Belair et Jean-Pierre Mégarbané, du cabinet Atelier des architectes associés.

Selon la dernière étude de Ramco, la surface des terrains achetés par des Arabes du Golfe a été multipliée par quatre entre 2002 et 2005, à 2 millions de m2. Solidere a réalisé au premier trimestre 2006 des ventes de terrains pour plus de 1,1 milliard USD, cinq fois plus qu'en 2005. Leur valeur à la vente, une fois construits, est de l'ordre de 4 milliards USD, selon Raja Makarem. Récemment, le groupe koweïtien al-Sayer a acheté à Solidere un terrain pour construire un immense projet résidentiel et commercial. Sa valeur à la vente est estimée à plus d'un milliard USD pour 206.000 m2 constructibles.

Mais cette folie immobilière suscite des inquiétudes sur le patrimoine architectural. «Dans les années 1990, 2.200 immeubles traditionnels étaient répertoriés à Beyrouth. Aujourd'hui, ils ne sont plus que le quart», constate Jacques Ligier Belair.

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