FICHE PRATIQUE. C'est un type de mésaventures auxquelles de nombreux architectes sont visiblement confrontés : les réclamations financières des entreprises. Quels sont les signes avant-coureurs de ces opérations et comment s'en prémunir ? Réponses avec Michel Klein, directeur des sinistres à la Mutuelle des architectes français (Maf) et Ludovic Patouret de la société Gecamex.

De plus en plus de réclamations financières d'entreprises impactent la maîtrise d'œuvre dans le secteur de la construction. Ainsi, en 2018, la Mutuelle des architectes français (Maf) a ouvert 224 dossiers de ce type, ce chiffre étant à peu près stable année après année. Pourquoi ces réclamations retombent-elles sur la maîtrise d'œuvre ? "Le maître d'ouvrage va être sollicité mais va automatiquement se tourner vers l'architecte qui est trop souvent considéré comme sachant", nous explique Michel Klein, directeur des sinistres à la Maf. "Dans les faits, l'entreprise, dans son décompte final, va demander une rallonge, rajouter des travaux et des délais liés aux imprécisions supposées de la maîtrise d'œuvre."

 

De quoi s'agit-il exactement ? Quels sont les moyens pour un architecte de s'en protéger ? Réponses avec Michel Klein, directeur des sinistres de la Maf et Ludovic Patouret de la société Gecamex.

 

Réclamations financières des entreprises : de quoi s'agit-il ?

 

"J'ai vu arriver les premières réclamations financières durant la crise de 1990-1992", se souvient Michel Klein. L'objectif est alors clair : venir chercher l'argent où il y en a, en l'occurrence chez l'assureur de la maîtrise d'œuvre. "C'était une stratégie qui s'affichait en tant que telle, de manière assumée." La baisse des prix avait en effet incité certaines entreprises à aller récupérer de la marge là où cela était possible.

 

Quelle est la stratégie des entreprises ?

 

"Dans les années 90, on a vu des entreprises passer des annonces pour recruter des juristes afin de les aider à monter des réclamations ; aujourd'hui le procédé s'est développé", assure Ludovic Patouret (Gecamex), qui travaille sur ce dossier main dans la main avec la Maf. "Certains groupes disposent à présent, en interne, d'une cellule de juristes dédiée à ce travail. Les patrons de chantiers sont également formés à la gestion contractuelle." Ainsi, le but avoué de ces entreprises est d'exploiter de supposées failles ou incohérences dans l'appel d'offres, et de construire un dossier au fur et à mesure de l'avancement du chantier. "A la fin de celui-ci, le dossier de réclamation est parfaitement monté."

 

 

Ce qui dessine une stratégie financière pour ces entreprises : proposer des prix de prestation inférieurs, jusqu'à -10%, pour décrocher un marché, puis récupérer cet argent en décalé par le biais des réclamations financières (parfois après cinq années de procédure, voire davantage). "Il finit par y avoir une récurrence", décrypte Ludovic Patouret. "A l'année N, ce sont les réclamations de l'année N-5 qui tombent. Cela devient une composante du compte d'exploitation de l'entreprise."

 

Quels types d'entreprises pratiquent ces réclamations ?

 

Les réclamations sont l'œuvre de groupes de construction disposant d'assez de moyens pour dédier une cellule de juristes spécifique pour la constitution de dossiers de réclamations financières ou le fait de petites PME du bâtiment rencontrant un important problème ponctuel.

 

Quels sont les signes avant-coureurs d'une réclamation financière ?

 

"Les signes annonciateurs sont la fréquence des courriers recommandés, la remise en cause de choix conceptuels de la maîtrise d'œuvre dans le document de consultation des entreprises, ou encore des aller-retours de fiches questions-réponses." Ces dernières peuvent en effet contenir des questions insidieuses, destinées à 'piéger' l'architecte. "L'objectif est de créer un nuage de doute visant à mettre en cause la compétence de la maîtrise d'œuvre." Le maître d'ouvrage lui-même peut finir par douter de son architecte.

 

Comment l'architecte doit-il s'en prémunir ?

 

"Ce que je dis aux architectes, c'est tout simplement : maîtrisez bien vos dossiers", analyse Ludovic Patouret. Autre règle : "Ne laissez pas de courriers ou de mails sans réponse." L'idée étant de montrer à la maîtrise d'ouvrage que la maîtrise d'œuvre fait bien son travail. "Vos actions doivent rétablir la confiance." La Maf invite également ses assurés à la contacter le plus rapidement possible en cas de soupçon de coup fourré. "Ce système d'accompagnement fait partie de notre offre", assure Michel Klein, directeur des sinistres. Un besoin qui serait d'autant plus prégnant que de nombreux architectes, 'le nez dans le guidon', manquent de recul pour évaluer leurs propres dossiers, surtout dans une situation de pression.

 

La loi Scrivener, le caillou dans la chaussure des architectes
La loi Scrivener, datant de l'année 1978, du nom de la secrétaire d'État Christiane Scrivener, fait visiblement toujours des dégâts auprès des architectes. Dans un souci de protection du consommateur, elle stipule que si le maître d'ouvrage (en l'occurrence, un particulier) n'obtient pas le crédit qu'il a demandé pour son projet de construction, l'architecte va devoir rembourser les honoraires qu'il a perçus. "Il a fait la mission, conçu l'ouvrage, déposé le permis, mais si la banque refuse le prêt, il ne sera pas payé", tempête Michel Klein de la Maf. "Je conseille ainsi aux architectes de se limiter à une mission de faisabilité tant que le particulier n'a pas obtenu son financement."

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