DÉCISION. La Cour de cassation vient d'étendre le champ de l'indemnisation du préjudice d'anxiété lié à l'amiante. Les salariés du secteur du Bâtiment peuvent donc aujourd'hui effectuer une demande. Détails.

C'est une décision marquante dans ce domaine : la Cour de cassation vient d'annoncer qu'elle étendait l'indemnisation du préjudice d'anxiété lié à l'amiante, par un arrêt du 5 avril 2019. Jusqu'à présent, seuls les salariés ayant officié dans l'un des établissements listés dans l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 pouvaient faire une demande. A présent, "un salarié exposé à l'amiante et ayant, de ce fait, un risque élevé de développer une maladie grave peut demander la réparation d'un préjudice d'anxiété, sur le fondement du droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur", résume la Cour. "Il devra en apporter la preuve." Il n'est donc plus obligatoire d'avoir travaillé dans un établissement listé.

 

Pour rappel, le préjudice d'anxiété correspond à la crainte de développer, un jour, une maladie grave, en lien avec une exposition passée à l'amiante. Une personne déjà malade n'est ainsi pas concernée par celui-ci.

 

Une décision "très importante", pour l'avocat Frédéric Quinquis (cabinet Michel Ledoux)
"Cet arrêt de la Cour de cassation a été pris en assemblée plénière, ce qui lui donne une importance particulière", explique à Batiactu Frédéric Quinquis, avocat associé au cabinet Michel Ledoux, spécialisé dans la prévention des risques et la problématique amiante. "La Cour demande aux salariés de justifier un risque élevé de développer une pathologie grave, ce qui pose une première question : nous savons qu'en matière d'amiante il n'y a pas de relation dose-effets. L'inhalation d'une seule fibre peut provoquer un mésothéliome. Nous pouvons donc imaginer que la Cour souhaite limiter le contentieux, ce qui est une bonne chose : il vaut mieux se concentrer sur les cas d'exposition à l'amiante les plus flagrants - nous pouvons objectivement dire, en effet, que plus on est exposé, plus le risque grandit."

 

L'avocat note que cette décision met en avant le principe de prévention des risques, plutôt que celui de réparation. "Le salarié devra prouver l'exposition à l'amiante, mais également le fait que l'employeur n'a pas mis en œuvre tous les moyens de prévention auxquels ils était tenu (informer le salarié individuellement du risque, mesure de l'empoussièrement...). L'employeur pourra, lui, prouver qu'il a bien mis en œuvre ces moyens de prévention. La Cour vient ainsi insister fortement sur le devoir de prévention de l'employeur, s'il veut éviter d'être mis en cause par rapport à des préjudices d'anxiété."

"Les employeurs doivent se poser la question : quel est le niveau de prévention que je mets à la disposition de mon salarié ?"

L'avocat pointe enfin un autre sujet qui devrait alimenter les discussions : la période de prescription. "Nous faisons démarrer ce délai, d'une durée de cinq ans, à partir du moment où le salarié a pris conscience du risque, ou aurait dû." Un point de départ qui va visiblement se définir au cas par cas.

 

Quoi qu'il en soit, s'il y a une chose à retenir de cette décision, selon Frédéric Quintis, c'est que les employeurs seraient bien inspirés de mettre en place les moyens de prévention attendus par la réglementation aujourd'hui. "C'est d'ailleurs autant bénéfique à l'employeur, qui échappera aux risque de préjudices d'anxiété, qu'à l'employé, qui restera en bonne santé. Il faut se poser la question : quel est le niveau de prévention que je mets à la disposition de mon salarié ?"

 

Un "nouveau champ de bataille qui s'ouvre"

 

"C'est un nouveau champ de bataille qui s'ouvre", réagit Alain Bobbio, membre de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva), contacté par Batiactu. Car toute la difficulté pour un salarié du bâtiment, estimant avoir été exposé à l'amiante de manière importante, sera de prouver la réalité de cette exposition. "Avec l'aide d'associations et d'avocats spécialisés, cela n'est pas mission impossible", assure Alain Bobbio. L'un des enjeux sera de définir à partir de quel moment apparaît un "risque élevé de développer une maladie grave".

 

 

Michel Parigot, porte-parole de l'association des victimes de l'amiante et autres polluants (Ava) se montre relativement pessimiste. "Prouver la faute d'un employeur, dans le secteur du Bâtiment, ou une exposition, est toujours compliqué", explique-t-il à Batiactu. Les entreprises ont changé de nom ou ont disparu, les activités ont évolué, certains bâtiments concernés sont détruits, les témoignages sont difficiles à trouver... "Aujourd'hui, 25% des victimes de l'amiante sont issues du secteur de la construction, ce qui en fait le secteur le plus touché, malheureusement. Ne pas disposer d'un préjudice d'anxiété constitue une forme de double peine, sachant qu'il est déjà exclu du bénéfice de la préretraite amiante."

 

Une décision qui ouvre une "loterie"

 

L'Ava n'hésite pas à affirmer que la décision de la Cour de cassation ouvrira une "loterie" dans la mesure où "pour la même situation individuelle, un tribunal attribuera le bénéfice du préjudice d'anxiété et un autre le refusera, sans aucune raison objective". La solution serait de mettre en place des règles d'évaluation des situations individuelles qui valent pour tous et qui soient les mêmes sur tout le territoire, d'après l'organisation.

 

Et que peut attendre, financièrement parlant, un salarié victime d'exposition à l'amiante en matière de préjudice d'anxiété ? Michel Bobbio, de l'Andeva, chiffre l'indemnité moyenne à 8.000 euros.

 

Nouvelle démarche pour un procès pénal : où en est-on ?
En janvier 2019, les victimes de l'amiante avaient décidé, par l'intermédiaire de l'Ava, d'enclencher une nouvelle procédure au tribunal correctionnel contre un série de responsables nationaux du scandale, principalement des personnes gravitant autour du Comité permanent amiante (CPA). Où en est ce travail ? Michel Parigot nous en dit plus. "Nous n'avons pas encore déposé la citation directe, nous continuons la recherche de preuves, collectons tous les dossiers des gens. Nous avons des importantes remontées d'informations."

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