ENTRETIEN. La Fondation Abbé Pierre pour la région Paca a déroulé le 10 octobre à Marseille un état des lieux du mal-logement dans la cité phocéenne. Avec 100.000 personnes vivant dans "des taudis", le drame de la rue d'Aubagne (qui a fait huit morts) a assombri le constat avec 3.100 personnes délogées. Directeur de l'agence régionale, Florent Houdmon craint que la campagne municipale occulte l'urgence du relogement et de la réhabilitation.

BATIACTU: Cela fera bientôt un an que deux immeubles se sont effondrés dans la rue d'Aubagne à Marseille, avez-vous constaté, depuis, l'arrivée des engins de chantier dans le centre-ville ?

 

Florent Houdmon: Pas beaucoup de la part de la puissance publique, il n'y a pas encore de réel lancement de chantiers de réhabilitation. En tout cas, l'approche des élections municipales nous inquiète, puisque la Métropole a décidé de reporter le vote de son Plan local de l'habitat après cette échéance. Nous ne pouvons pas comprendre que la campagne électorale empêche ces décisions urgentes. Nous espérons néanmoins que tous les candidats auront conscience que la question du logement devra être au cœur de la campagne. Nous avons d'ailleurs réuni 160 acteurs de la société civile afin d'émettre des propositions sur l'habitat indigne et le logement qui puissent être reprises par les candidats à la mairie de Marseille. Elles seront présentées à l'occasion du premier anniversaire de l'effondrement de la rue d'Aubagne, le 5 novembre.

 

B: Lors d'une conférence de presse, vous avez indiqué qu'il y avait 3.100 délogés à Marseille qu'il a fallu héberger dans l'urgence. Ont-ils été relogés de manière pérenne ?

 

FH: Il y a officiellement 3.100 délogés, et nous pensons que ce chiffre est quelque peu sous-estimé car certains ne se sont pas fait connaître des services. Il reste encore quelques personnes à l'hôtel mais une grande majorité a été relogée. Dans cette population, une partie a pu réintégrer son logement après des travaux de sécurisation, cela nous inquiète car même si le danger est levé, les immeubles restent dans un état déplorable. L'autre partie a été relogée dans le cadre de baux temporaires dans l'espoir que les travaux puissent être réalisés dans leur immeuble. Les seuls cas de relogement définitif relèvent de situations où il est financièrement et techniquement impossible de réhabiliter les immeubles.

B: Les cas de réintégration dans des logements jugés insalubres, malgré la levée d'un péril, vous inquiètent-ils ?

FH: Cela est arrivé beaucoup trop souvent. Des évacuations ont été ordonnées dans des cas où les immeubles menaçaient de s'écrouler, avec un risque pour la sécurité des passants ou d'emporter l'immeuble mitoyen. Très souvent, des arrêtés de péril imminent ont été levés, en mettant un étai sur une cage d'escalier qui menaçait de s'effondrer sans vérifier la salubrité des logements. Nous avons eu des cas complètement fous de personnes ayant dû réintégrer leur logement, alors qu'il n'y avait plus d'eau chaude, ni d'électricité.

B: Comment expliquez-vous ce deux poids deux mesures entre sécurité et salubrité ?

FH: Cela est dû à la nature même des procédures et la multiplicité d'acteurs. Juridiquement, des travaux sont prescrits après l'activation par le maire d'un arrêté de péril imminent. Si les travaux sont faits, on ne peut plus s'opposer à ce que le propriétaire reloue ses logements, sauf si l'Agence régionale de santé constate l'insalubrité des logements. C'est cet enchaînement qui n'a pas toujours eu lieu, ce que les associations ont réclamé lors de la signature de la Charte du relogement à savoir la mise en place d'un contrôle de salubrité quelques jours après la main levée sur un arrêté de péril imminent. Cela renvoie à la nécessité de mieux coordonner les réponses publiques et d'utiliser l'ensemble des procédures qui existent à ce jour. Il a fallu attendre le mois d'août, soit neuf mois après le drame de la rue d'Aubagne, pour que la mairie de Marseille organise une direction unique qui regroupe les services et les élus concernés.

B: Cette charte du relogement a été signée en juillet par les associations et les collectivités. Est-elle respectée depuis ?

FH: L'Etat et la Ville l'ont signée, et nous réunissent régulièrement dans le cadre du comité de suivi de cette charte. Nous sommes cependant obligés de les alerter régulièrement sur le non-respect de certains points, concernant la réintégration dans des logements insalubres, et des dysfonctionnements réguliers. A ce jour, la Métropole n'a toujours pas voulu signer ce document, alors qu'elle sera chargée de la stratégie à long terme de résorption de l'habitat indigne aux côtés de l'Etat. Un projet partenarial d'aménagement a été signé entre la Métropole et l'Etat sur le centre ancien, avec une société publique locale d'aménagement d'intérêt national (SPLA-In) qui devrait être effective d'ici le début de l'année 2020. Or, nous avons des signaux très contradictoires de la part de la Métropole qui vient d'annoncer le report du vote de son Plan local de l'habitat (PLH) après les élections municipales. C'est un très mauvais signal pour nous, Marseille sera la deuxième ville de France qui n'aura pas son PLH, et l'urgence de la situation ne doit pas être freinée par l'échéance électorale.

 

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