La France peut s'enorgueillir d'une production électrique parmi les moins carbonées au monde, un atout majeur dans la lutte contre le réchauffement climatique. Cette performance ne doit toutefois pas masquer une réalité plus préoccupante : la consommation énergétique finale du pays demeure, elle, majoritairement tributaire des énergies fossiles. Dans cette équation, le chauffage occupe une place centrale puisqu'il représente près de la moitié de cette consommation. Réduire drastiquement les besoins énergétiques de ce poste de consommation constitue donc un impératif pour atteindre nos objectifs climatiques, alléger les factures énergétiques des ménages, et renforcer notre souveraineté.
Pour ce faire, notre pays s'est jusqu'ici surtout concentré sur la production de chaleur, notamment en encourageant le déploiement de pompes à chaleur (Pac) dans le résidentiel, et sur la réduction des déperditions grâce à l'isolation. Si ces approches demeurent essentielles, elles ne sont cependant plus suffisantes aujourd'hui. Comme le note aujourd'hui le projet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE3), "des leviers complémentaires [doivent] être identifiés et actionnés pour sécuriser l'atteinte des objectifs de réduction des consommations d'énergie." Or il existe une troisième piste majeure d'économies qui demeure, en France, largement inexploitée à ce jour : la distribution de la chaleur à l'intérieur des logements.
Pour les 60 % des foyers français qui possèdent un système de chauffage hydraulique, cette fonction est assurée par des circulateurs de chauffage : c'est-à-dire par de petits dispositifs dont le rôle est d'assurer la circulation contrôlée du fluide caloporteur (eau chaude) depuis l'unité de production de la chaleur (ex., la chaudière) jusque dans les émetteurs (ex., les radiateurs). Or un nouveau livre blanc révèle aujourd'hui que plus de 5 millions de circulateurs - soit plus d'un tiers du parc français - peuvent être considérés comme inefficaces au regard de la réglementation en vigueur.
Accélérer leur remplacement représente une mesure simple et peu onéreuse, doublement porteuse d'économies. Tout d'abord, les circulateurs modernes ne fonctionnent plus en continu comme les anciens modèles, et consomment donc nettement moins d'électricité. Le remplacement d'un circulateur inefficace peut ainsi permettre à un ménage d'économiser de 360 à 420 kWh par an - soit environ 10 % de la facture électrique annuelle d'un logement, tous appareils et postes de consommation confondus. Mais les gains réalisables à l'échelle du système de chauffage sont plus importants encore.
Aujourd'hui, l'immense majorité des réseaux de chauffage dans le résidentiel ne sont pas équilibrés. En pratique, cela signifie que la majorité des réseaux domestiques envoient trop d'eau chaude aux radiateurs les plus proches et pas assez aux émetteurs éloignés. Cette mauvaise distribution de la chaleur au sein d'un même logement impose d'accroître la production de la chaleur à la source. Résultat : un inconfort thermique, une usure accélérée des équipements, et une surconsommation estimée à quinze pour cent, qui se traduit par un surcoût annuel de 400 euros pour un ménage chauffé au gaz. Et à l'échelle de la France, ce n'est pas moins de 1 652 000 tonnes de CO2éq/an qui pourraient être évitées, soit l'équivalent des émissions de 630 000 véhicules thermiques.
Pourquoi un tel gisement demeure-t-il sous-exploité ? D'abord parce qu'un circulateur a une longue durée de vie. Si l'efficacité des circulateurs s'est nettement accrue sous l'effet combiné de l'innovation et d'une réglementation exigeante, on ne remplace pas spontanément un dispositif qui fonctionne toujours - surtout si on méconnait son existence. Ensuite parce que l'équilibrage hydraulique était autrefois une opération longue et complexe à réaliser. Elle est par conséquent demeurée très peu pratiquée dans le parc résidentiel. Or les circulateurs connectés de dernière génération simplifient désormais l'opération : le temps d'intervention est divisé, les mesures sont automatisées et l'ajustement se fait en temps réel sur smartphone. Si ce gisement d'économies était auparavant difficile à mobiliser, il ne l'est donc plus aujourd'hui.
Le moment est propice pour agir. La directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments, récemment révisée, invite explicitement les États membres à généraliser l’équilibrage. Sa transposition dans le droit national à venir offre à la France l’opportunité d’aménager en ce sens la réglementation encadrant les entretiens obligatoires des systèmes de chauffage. Le diagnostic de performance énergétique (DPE) pourrait, lui, reconnaître l’impact d’un réseau équilibré et ainsi refléter plus fidèlement la performance réelle du système de chauffage. L'Allemagne, pour sa part, encourage le remplacement des circulateurs inefficaces et l'équilibrage hydraulique par le biais de mesures incitatives. La France pourrait également s'inspirer de cet exemple au travers de dispositifs, tels que MaPrimeRenov' ou la TVA à taux réduit, en sus d'accompagner la montée en compétence des professionnels de la filière.
Comme l'a souligné le dernier Conseil de planification écologique, il nous faut aujourd’hui conjuguer écologie et pouvoir d’achat, tout en faisant de la transition énergétique un vecteur de souveraineté. Remplacer les cinq millions de circulateurs inefficaces existants en France, et ainsi démocratiser les opérations d’équilibrage hydraulique, représentent des mesures simples et peu coûteuses, qui répondent à l'ensemble de ces impératifs. Face à ces défis, il est donc urgent de se saisir des opportunités existantes, et de mobiliser enfin l'ensemble des leviers à notre disposition en matière de rénovation énergétique.