Tribunaux, prisons, hôtels de luxe, grands magasins : le patrimoine architectural, en pleine mutation, a conquis architectes, promoteurs et collectivités locales. Que représente le marché de la reconversion ? Décryptage avec le spécialiste de la restauration, Pierre-André Lablaude, architecte en chef et inspecteur général honoraire des monuments historiques.

La ville de Marseille a inauguré début avril un nouvel hôtel de luxe cinq étoiles aménagé par Anthony Béchu (agence AAAB), Emmanuel Dujardin (Tangram) et Jean-Philippe Nuel (Ocre Bleu), dans l'ancien Hôtel-Dieu, un monument historique municipal surplombant le Vieux-Port. A Lyon, le Grand Hôtel-Dieu est lui aussi en cours de rénovation : datant du 16ème siècle et réinventé au 18ème par Soufflot, le bâtiment vieillissant renaîtra en 2016 grâce au projet conduit par Eiffage Construction.

 

Si les projets de restauration et de requalification aussi de vieilles pierres sont nombreuses à l'instar du palais de justice de Nantes transformé en hôtel Radisson Blu, des reconversions de casernes de gendarmerie ou militaires, des entrepôts, voire des moulins et des phares, il semble que ce soit un mouvement plutôt discret.

 

"Sauver et non défigurer"
"Depuis effectivement trente ans dans le secteur et parmi plus de 300 chantiers, j'ai à peine 10 chantiers de reconversion à mon actif, nous souligne Pierre-André Lablaude, architecte en chef et inspecteur général honoraire des monuments historiques. Les problématiques posées étant très majoritairement celles de conservation pure du patrimoine monumental, pour cette raison, je ne pense pas que l'on puisse dire, que le mouvement de la reconversion s'accélère. De telles opérations sont très limitées en France. Les reconversions ont toujours existé à travers l'histoire. Elles sont un moyen de sauver quelques éléments du patrimoine, à condition cependant de ne pas les défigurer par la même occasion ! Ce n'est pas donc pas une solution miracle, mais cela permet de résoudre certains cas."

 

Il faut également souligner que le patrimoine national est à la charge de propriétaires individuels. On recense ainsi principalement sur le territoire, 43.000 monuments historiques privés alors qu'à peine une centaine de ceux-ci sont gérés par l'Etat. "De même de nombreux conseils régionaux ou généraux se sont vu obligés de renoncer à subventionner des monuments historiques privés, obligeant encore plus les propriétaires à se tourner vers d'autres sources de revenus pour conserver et entretenir leur patrimoine", poursuit Pierre-André Lablaude.

 

"10.000 monuments sont aujourd'hui dans un état criant"
La Fondation pour les Monuments Historiques qui a attribué, depuis 2009, plus de 650.000 euros d'aides à projets et bourses d'études, grâce au soutien de particuliers et d'entreprises qui partagent ses valeurs, confirme que l'ensemble de ses fonds provient de particuliers. "Il existe près de 40.000 monuments historique. Le mécénat prend de plus en plus de place car l'Etat et les collectivités territoriales ne peuvent pas tout faire : nous estimons que près de 10.000 monuments sont aujourd'hui dans un état criant, nous signale Benoît Bassi, vice-président de la Fondation des Monuments Historiques et propriétaire-gestionnaire du château de La Roche Amenon (Vienne). C'est pourquoi, nous menons des actions de sensibilisation pour informer le public sur les enjeux modernes de ces témoins de notre histoire à l'occasion de 2013, année du centenaire de la loi relative à la protection des monuments historiques." De son côté, Xavier Greffe, professeur d'économie a évalué à travers une enquête réalisée en 2012, à la demande de l'association La Demeure historique, qui regroupe 3.000 propriétaires privés, que malgré la baisse des aides des collectivités et des crédits de l'Etat, 90.000 emplois sont directement liés à la sauvegarde et au patrimoine.

 

Pierre-André Lablaude spécialiste de la restauration des Monuments historiques
Pierre-André Lablaude, architecte en chef et inspe
Pierre-André Lablaude, architecte en chef et inspe © Stéphane Compoint
Après vingt ans passés au Mont-Saint-Michel, Pierre-André Lablaude, ce spécialiste de la restauration des Monuments historiques a reçu en 1997 celle de l'ensemble archiépiscopal de Rouen, où il a conduit par la suite de nombreux projets et chantiers d'aménagement. Après avoir parallèlement développé une importante activité spécialisée dans la conservation et la restauration des jardins et paysages historiques, il a, par ailleurs, été en charge des jardins et parcs du domaine national de Versailles et du domaine national de Saint-Cloud. Inspecteur général honoraire, ancien membre de la Commission nationale des monuments historiques et auteur de nombreuses publications, il exerce également une activité d'enseignement spécialisé en France et à l'étranger.

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